Bladé - Contes populaires de la Gascogne, t. 2, 1886.djvu/L’Innocent

XI

l’innocent



Il y avait, une fois, une veuve qui avait un fils innocent. Cette veuve demeurait avec les parents de son mari ; mais ils la méprisaient, elle et l’enfant.

— « Quelle charge pour nous que ces deux créatures ! Nuit et jour, la mère est à soigner cet imbécile d’enfant. Et dire qu’il nous les faudra nourrir à rien faire jusqu’à la mort. Si le Bon Dieu était juste, nous serions vite débarrassés de ces sangsues. »

La veuve ne répondait rien, et continuait à soigner son fils. Mais le chagrin la rongeait, si bien qu’un jour, on l’emporta, les pieds en avant, jusqu’au cimetière.

— « Allons, la mère est partie. Quand viendra le tour de l’enfant ? »

Mais le pauvre innocent n’avait pas l’air de vouloir mourir. Nul ne pensait à le tenir propre. On lui donnait bien juste de quoi ne pas mourir de faim. Pourtant, il était toujours gras et frais, avec du linge blanc, les mains et le visage nets, et les cheveux bien peignés.

Les gens de la maison n’y comprenaient rien.

— « Imbécile, comment fais-tu, pour être toujours si bien portant et si propre ?

— Chaque nuit, pendant que vous dormez, ma pauvre mère vient me trouver. Elle m’apporte de la soupe, du pain et du vin. Elle me lave, me peigne, et me change de chemise. »

Les parents de l’Innocent épouvantés, s’en allèrent trouver le curé de la paroisse.

— « Bonjour, Monsieur le curé. Nous avons une morte qui revient chaque nuit à la maison. Voici de l’argent. Dites des messes, s’il vous plaît, pour que le Bon Dieu tire la morte du purgatoire, et pour qu’elle nous laisse en repos.

— Mes amis, vous aurez contentement. »

Les parents de l’Innocent s’en retournèrent chez eux. Mais, chaque jour, le pauvre enfant se levait mieux portant et plus propre que jamais.

— « Imbécile, comment fais-tu, pour être toujours si bien portant et si propre ?

— Chaque nuit, pendant que vous dormez, ma pauvre mère vient me trouver. Elle m’apporte de la soupe, du pain et du vin. Elle me lave, me peigne, et me change de chemise. »

Les parents de l’Innocent épouvantés, revinrent chez le curé de la paroisse.

— « Bonjour, Monsieur le curé. La morte revient toujours chaque nuit à la maison. Voici de l’argent. Dites d’autres messes, s’il vous plaît, pour que le Bon Dieu tire la morte du purgatoire, et pour qu’elle nous laisse en repos.

— Mes amis, que vient faire la morte, chaque nuit, dans votre maison ?

— Monsieur le curé, elle vient faire manger et nettoyer son fils imbécile.

— Mes amis, reprenez cet argent. Je ne dirai pas de messes. Faites le travail de la morte, et elle ne reviendra plus. »

Les parents de l’Innocent firent le travail de la morte, et elle ne revint plus[1].

  1. Dicté par Pauline Lacaze, de Panassac (Gers). Feu Cadette Saint-Avit, du hameau de Cazeneuve, commune du Castéra-Lectourois (Gers), savait aussi cette légende.