Biographie nationale de Belgique/Tome 2/BIOLLEY, Marie-Anne

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BIOLLEY (Marie-Anne), née Simonis, industrielle, naquit à Verviers le 17 janvier 1758 et mourut au château de Hodbaumont, près Theux, le 21 novembre 1831. Elle était fille de Jacques Joseph Simonis, seigneur de Barbençon et de Senzeille, issu d’une ancienne famille liégeoise, les Simonis de Liverloo, dont une branche était depuis longtemps établie à Verviers. Elle montra de bonne heure les qualités qui la distinguèrent plus tard et qui furent bien dirigées par une éducation aussi solide que religieuse. Elle épousa à Verviers, le 11 décembre 1777, Jean François Biolley, seigneur de Champlon, chef de la maison François Biolley et fils, dont le décès prématuré laissa la direction des affaires à sa veuve, connue désormais sous le nom de madame Biolley de Champlon.

L’industrie de la laine, chassée des Pays-Bas par les troubles qui désolèrent nos provinces depuis le règne de Philippe II jusqu’à, celui de Marie-Thérèse, s’était partiellement réfugiée dans le pays de Liége, qui faisait partie de l’empire d’Allemagne et était resté plus paisible ; attirée par l’abondance et la pureté des eaux, elle se fixa surtout à Verviers et aux environs où elle prospéra pendant le cours du xviiie siècle. Plusieurs familles du pays se mirent à la tête des ouvriers flamands et, aidées d’étrangers actifs, posèrent ainsi les fondements de ce centre manufacturier dont la Belgique s’enorgueillit aujourd’hui. Depuis sa fondation, en 1725, jusqu’en 1790, la maison Biolley avait fait faire de grands progrès à la fabrication et envoyait ses produits même en Russie et dans l’Orient ; elle se trouvait à la tête de l’industrie verviétoise lorsque la révolution française éclata.

Vers cette époque la ville de Spa, alors à l’apogée de sa splendeur, voyait réunies autour de ses eaux minérales les illustrations les plus diverses, de la naissance comme du talent. Madame Biolley de Champlon rencontra ainsi une société aussi choisie que brillante, dans laquelle son esprit et son caractère lui conquirent bientôt une position privilégiée. Lorsque l’ancien ordre social fut renversé en France, elle s’empressa d’offrir aux émigrés une généreuse hospitalité. Ses relations, établies dans des circonstances si diverses, persistèrent jusqu’à la mort et contribuèrent beaucoup à faire citer son nom, mais la véritable source de sa renommée fut l’industrie et le commerce.

Madame Biolley entretint l’activité du travail malgré les commotions populaires et Verviers était tranquille lorsque les soldats de la république française en prirent possession. Entraînée par ses relations, elle émigra alors en Allemagne avec sa famille et habita successivement Brunswick et Hambourg. Toutefois le calme se rétablit peu à peu dans le pays de Liége, mais le travail avait cessé et les ouvriers étaient dans la misère la plus profonde. On supplia de divers côtés la famille Biolley de rentrer dans ses foyers. Madame Biolley possédait une grande fortune, solidement assise et n’avait point d’enfants : elle eût pu vivre riche et tranquille en Allemagne, mais elle comprit le bien qu’elle était appelée à faire. « Femme, a dit un historien, aussi remarquable par sa prodigieuse activité que par l’aménité et l’élévation de son caractère, » elle se sentait passionnée pour les luttes de l’intelligence humaine dans les arts mécaniques et se considérait comme obligée à faire participer largement la population au milieu de laquelle elle était née, aux bienfaits que la Providence lui avait abondamment départis. Ce fut là le trait distinctif de sa popularité et de la considération qui entoura son nom sur le sol natal. Aussi, lorsqu’elle rentra à Verviers, les autorités républicaines se portèrent en corps au-devant d’elle pour la féliciter et recommander à sa sollicitude les intérêts de la classe ouvrière, qui accueillait son retour avec transports.

La maison Biolley reprit donc avec ardeur la fabrication drapière et vit bientôt refleurir ses établissements. Lorsque le premier consul, après avoir rétabli l’ordre en France, porta ses vues du côté de l’iudustrie où l’Angleterre régnait alors sans rivale, de jeunes fabricants d’Elbœuf, de Sedan, de Louviers furent envoyés à Verviers pour se perfectionner, et cette maison compta parmi ses commis une foule d’hommes qui portèrent dans la suite des noms éclatants. On peut citer entre autre, le célèbre et malheureux Ternaux, Cunin-Gridaine, qui fut ministre sous Louis-Philippe, les Bacot, et, parmi les Belges, Engler, Rittweger, Brugmann et plusieurs autres. Madame Biolley, loin de redouter la concurrence, prêtait aide et capitaux à ceux qui lui paraissaient dignes de sa confiance, mais elle avait soin de s’entourer des hommes les plus habiles et de protéger toutes les inventions nouvelles. C’est ainsi que, en 1799, elle accueillit William Cockerill, que la Suède n’avait pas compris et qui devait préparer l’immense essor des fabriques de Verviers par ses machines à carder et à filer la laine. Nous ne connaissons pas assez ces matières pour exposer les détails des progrès qu’on doit à la maison Biolley ; nous rappellerons seulement que la filature à la mécanique, les métiers perfectionnés, etc., ne trouvèrent nulle part de plus ardents promoteurs. Aussi est-il reconnu aujourd’hui que c’est à madame Biolley que Verviers et ses environs doivent la prospérité extraordinaire à laquelle ils sont parvenus depuis.

Malgré la fondation de succursales à Eupen, à Cambrai et ailleurs, la fabrication des draps n’absorbait pas seule l’activité et les capitaux de cette puissante maison ; l’agriculture, l’élève des moutons, le coton, le chanvre, le lin, les mines, l’industrie du fer, occupaient simultanément le talent de ses directeurs. Si toutes ces entreprises ne furent point couronnées de succès, elles n’en ont pas moins leur mérite.

Les soins moraux occupaient, dans les sollicitudes de madame Biolley, la part éminente qui leur revient. Elle favorisait la religion, propageait l’instruction ; sa charité était sans bornes et sa bourse n’était fermée pour aucune bonne œuvre. Elle exerçait chez elle une hospitalité grandiose. Elle avait retrouvé à Spa, où Napoléon tolérait le séjour d’anciens seigneurs de tous pays, rendus inoffensifs par les événements, la meilleure compagnie possible et de vieux amis qu’elle comblait discrètement des attentions les plus délicates.

Lors de la crise amenée par les événements de 1814-1815, la maison Biolley résista à cette commotion terrible. Toutes ses relations, établies avec la France ou les pays soumis à la domination française, furent brusquement arrêtées ; mais elle tint tête à l’orage et réussit, en peu de temps, à donner à sa fabrication un développement plus considérable que par le passé. C’est alors que se montra le talent de M. Raymond Biolley que sa tante s’adjoignit comme premier collaborateur et son héritier présomptif. Nous parlerons eu détail de ces efforts à l’article suivant.

Madame Biolley continua à diriger les affaires et à imprimer le sceau de son énergie à tout ce qui l’entourait ; elle mourut en 1831. C’est assurément une belle figure historique, et dans l’ordre matériel, notre patrie ne compte guère de noms, depuis plusieurs siècles, qui puissent être comparés à celui-là.

G. Dewalque.

Bec-de-Lièvre, Biographie liégeoise. — Renseignements particuliers.