Bibliothèque historique et militaire/Histoire générale/Livre XXXIII

Histoire générale
Traduction par Vincent Thuillier.
Texte établi par Jean-Baptiste Sauvan, François Charles LiskenneAsselin (Volume 2p. 991-997).
FRAGMENS
DU

LIVRE TRENTE-TROISIÈME.


I.


Députation des Romains vers Prusias en faveur d’Attalus. — Délibération du sénat sur les Achéens relégués en Italie.


Sur la fin de l’hiver, le sénat, sur le rapport que Publius Lentulus lui avait fait, à son retour, de ce qu’il avait vu chez Prusias, fit appeler Athénée, frère d’Attalus, et, sans perdre le temps en longues discussions, le fit partir avec trois députés, C. Claudius Centon, Lucius Hortensius et C. Arunculéius, qui tous trois eurent ordre d’empêcher que Prusias ne fît la guerre à Attalus. Il arriva en même temps à Rome des ambassadeurs de la part des Achéens, Xénon d’Égium et Téléclès de Tégée, pour demander qu’on renvoyât enfin dans leur pays les Grecs accusés d’avoir été partisans de Persée, et dispersés pour cette faute dans l’Italie. Le sénat s’assemble à ce sujet, l’affaire se propose, et peu s’en fallut qu’on ne les remît en liberté. Le préteur Aulus Postumius fut cause que la chose ne réussit pas. Les avis étaient partagés : les uns voulaient qu’on les renvoyât, les autres qu’on les retînt, et un troisième parti qu’on leur accordât la liberté, mais non pas pour le présent. De ces trois opinions Postumius n’en fit que deux, et demandant leur avis : « Que ceux, dit-il, qui sont pour le renvoi des exilés passent ici, et que ceux qui sont d’un autre sentiment passent là. » Or ceux qui étaient d’avis qu’on différât encore à les renvoyer se joignirent à ceux qui voulaient qu’on les retînt ; par là ce parti devint beaucoup plus nombreux que l’autre, et les exilés restèrent dans le même état. (Ambassades.) Dom Thuillier.


Ambassade des Achéens à Rowe.


Quand, au retour des députés, on apprit dans l’Achaïe qu’il ne s’en était presque rien fallu que tous les exilés ne revinssent dans leur patrie, on conçut de grandes espérances qu’enfin cette grâce leur serait accordée ; c’est pourquoi ils envoyèrent à Rome Téléclès de Mégalopolis et Anaxidame pour faire de nouvelles instances. (Ibid.)


..... De lui offrir cinquante talens s’il venait à Chypre, et de lui mettre sous les yeux en son nom l’espoir d’autres émolumens et honneurs s’il se rangeait en cela de son côté. (Suidas in Προτείνειν.) Schweighæuser.


Archias.


Ce malheureux traître avait formé le projet de livrer l’île de Chypre à Démétrius. La mine ayant été éventée, il fut conduit devant les juges et, pour éviter le supplice qui lui était destiné, il se pendit au cordon d’une tapisserie. Ainsi les hommes vains se flattent toujours de vaines espérances. Celui-ci, espérant recevoir cinq cents talens de sa trahison, perdit avec la vie tous les biens qu’il possédait déjà. (Vertus et Vices.) Dom Thuillier.


II.


Les Marseillais demandent du secours aux Romains.


Les Marseillais avaient déjà été autrefois inquiétés par les Liguriens ; mais au temps dont nous parlons, réduits aux dernières extrémités et voyant deux de leurs villes, Antipolis et Nicée, assiégées, ils dépêchèrent à Rome des ambassadeurs, tant pour informer le sénat de ce qu’ils souffraient, que pour prier qu’on leur envoyât du secours. Ces députés entrèrent dans le sénat, déclarèrent les ordres dont ils étaient chargés, et il fut résolu qu’on députerait sur les lieux pour être éclairci de ce qui s’était passé, et pour essayer de ranger par des négociations les Barbares à leur devoir. (Ambassades.) Dom Thuillier.


Le plus jeune des deux Ptolémées vient à Rome et obtient des secours.


Dans le temps que le sénat envoya Opimius contre les Oxybiens, on vit arriver à Rome le plus jeune des Ptolémées, qui, introduit dans le sénat, se plaignit amèrement de son frère et rejeta sur lui le cruel projet qu’on avait formé de l’assassiner. Les cicatrices des plaies qu’il montra, jointes au discours touchans qu’il fit, émurent l’assemblée d’une compassion si vive, qu’en vain Néolaïdas et Andromachus s’efforcèrent de justifier leur maître ; non-seulement on refusa de les écouter, mais on leur donna ordre de sortir sans délai de Rome. On choisit ensuite cinq députés, du nombre desquels étaient Mérula et Lucius, Thermus. Ils eurent ordre de prendre chacun une galère et de conduire Ptolémée en Chypre, et l’on écrivit aux alliés de Grèce et d’Asie qu’on leur permettait d’aider Ptolémée à rentrer dans son royaume. (Ibid.)


Dix commissaires sont envoyés en Asie pour réprimer la témérité de Prusias.


À leur retour de Pergame, Hortensius et Arunculéius font savoir au sénat que Prusias se moque de ses ordres ; que, contre la foi des traités, il les avait enfermés dans Pergame, eux et Attalus ; en un mot, qu’il n’était pas de mauvais traitement qu’il ne leur eût fait. Les Pères, indignés de cet étrange procédé, députèrent dix commissaires, dont les principaux étaient Lucius Anicius, C. Fannius et Quintus Fabius Maximus, avec ordre de finir cette guerre et d’obliger Prusias de donner satisfaction à Attalus pour les dommages qu’il lui avait causés. (Ibid.)


Guerre des Romains en faveur des Marseillais contre les Oxybiens et les Décéates.


Sur les plaintes que les Marseillais avaient portées à Rome contre les Liguriens, le sénat députa sur-le-champ Flaminius, Popilius Lænas et L. Puppius, qui, partant avec les ambassadeurs de Marseille, vinrent par mer dans le territoire des Oxybiens, dans le dessein de débarquer devant Ægitna. Les Liguriens, sur la nouvelle qu’ils reçurent que ces commissaires étaient venus pour leur commander de lever le siége de cette ville, s’opposèrent à la descente de ceux qui étaient encore dans le port. Mais on n’arriva pas à temps pour empêcher Flaminius de descendre ; il était débarqué et ses ballots étaient déjà sur la rive. D’abord ils lui ordonnent de sortir de leur pays. Il méprise ces ordres ; on pille ses bagages. Ses domestiques les veulent défendre ; on les repousse et on les insulte ; Flaminius lui-même vient au secours ; on le couvre de blessures et on jette à terre deux de ses gens, on poursuit les autres jusqu’à leur vaisseau, et Flaminius, remonté sur son bord, est obligé, pour sauver sa vie, de couper les câbles des ancres. On le transporta à Marseille, où rien ne fut négligé pour le guérir.

Le sénat, informé de ces tristes événemens, fait partir au plus vite, avec une armée, le consul Quintus Opimius, pour se venger des Oxybiens et des Décéates. Les troupes se rendirent à Placentia ; de là, le long de l’Apennin. Le consul vint dans le pays des Oxybiens et campa sur les rives de l’Apron, où il attendit les ennemis, dont il avait ouï dire qu’ils s’assemblaient, bien résolus à combattre. Il conduisit de là son armée devant Ægitna, où le droit des gens avait été violé d’une manière si criante dans sa personne et dans celle de ses collègues. Il prit la ville d’assaut, en réduisit les habitans à l’esclavage, et envoya liés et garrottés à Rome les principaux auteurs de l’insulte qui leur avait été faite. Après cet exploit, il alla au-devant des Oxybiens qui, désespérant de fléchir le courroux des Romains, venaient, par un excès de témérité, les attaquer, au nombre d’environ quatre mille hommes, avant que les Décéates les eussent joints. Opimius, capitaine habile et expérimenté, fut frappé de leur hardiesse ; mais voyant qu’elle n’était fondée sur aucun principe, il s’attendit bien que de pareils ennemis ne feraient pas longue résistance. Il sort donc de son camp, il range ses troupes, les anime à bien faire et marche aux Oxybiens au petit pas. Le choc fut si vif qu’en un moment ils furent défaits. Plusieurs restèrent sur le champ de bataille, les autres prirent la fuite et se dissipèrent.

Les Décéates en corps d’armée se présentèrent pour secourir les Oxybiens ; mais il était trop tard. Ils rallièrent cependant les fuyards, et avec ce renfort ils vinrent attaquer les Romains. Ils combattirent avec beaucoup de courage et de vivacité. Enfin ils cédèrent, se rendirent aux Romains et leur livrèrent la ville capitale de leur pays. Le vainqueur distribua aux Marseillais toutes les terres qu’il venait de conquérir. Il voulut que les Liguriens envoyassent à Marseille des ôtages qu’on échangerait à certaine époque. Il désarma les ennemis, et fit prendre à ses soldats des quartiers d’hiver dans leurs villes. Ainsi commença et finit, en peu de temps, la guerre contre les Oxybiens et les Décéates. (Ibid.)


Aristocrate, préteur de Rhodes.


À juger de ce Rhodien par son air noble et sa taille avantageuse, on ne pouvait s’empêcher de le respecter et de le craindre. Il n’en fallut pas davantage aux Rhodiens pour lui donner le commandement de leurs armées ; mais ils se repentirent dans la suite de ne l’avoir pas bien étudié. L’occasion se présenta d’agir ; à l’épreuve de ce creuset, il ne parut plus le même. Il démentit par ses actions le jugement qu’on en avait trop légèrement porté. (Vertus et Vices.) Dom Thuillier.


Les Romains rompent avec Prusias et se disposent à lui faire la guerre.


En Asie, l’hiver n’était pas encore passé qu’Attalus se trouva un très-grand nombre de troupes. Ariarathe et Mithridate, en vertu de leur alliance avec le roi de Pergame, lui avaient envoyé de la cavalerie et de l’infanterie sous le commandement de Démétrius, fils d’Ariarathe. Tout se disposait pour la campagne, lorsqu’on apprit que les commissaires romains étaient arrivés à Quades. Attalus les y joignit, et après quelques conférences sur l’affaire présente, ils partirent pour la Bithynie. Là, ils déclarent à Prusias les ordres dont ils étaient chargés pour lui de la part du sénat. Ce prince veut bien se soumettre à quelques-uns, et refuse d’obéir à la plupart des autres. Les commissaires, choqués de cette résistance, renoncent à son amitié et à son alliance, et reprennent sur-le-champ la route de Pergame. Prusias se repent de sa faute, les suit pendant quelque temps, tâche de les toucher ; ses efforts sont inutiles, il retourne chez lui et ne sait plus quel parti prendre. De retour chez Attalus, les envoyés de Rome lui conseillèrent de se tenir avec son armée sur les frontières de son royaume sans faire le premier aucun acte d’hostilité, et de mettre à couvert de toute insulte les villes et les bourgs de sa domination. Ils se partagèrent ensuite ; les uns retournèrent à Rome pour y informer le sénat de la rébellion de Prusias, les autres se répandirent dans l’Ionie, quelques-uns prirent leur route vers l’Hellespont et les villes voisines de Byzance ; et dans tous ces endroits ils ne travaillèrent, car c’était l’unique but qu’ils s’étaient proposé, qu’à détourner les peuples de l’alliance de Prusias et à rassembler des forces en faveur d’Attalus. (Ambassades.) Dom Thuillier.


Paix entre Prusias et Attalus.


Attalus, avec le secours de tant d’alliés, se vit bientôt une flotte nombreuse. Rhodes lui fournit cinq galères à trois rangs, qui avaient été envoyées pour la guerre de Crète ; Cyzique lui en donna vingt ; lui-même il en avait équipé vingt-sept ; de sorte qu’avec celles que d’autres alliés encore lui envoyèrent il composa une flotte de quatre-vingts galères, dont il donna le commandement à Athénée, son frère. Ce prince, cinglant vers l’Hellespont, faisait de continuelles descentes sur la côte de la Bithynie et y mettait tout au pillage. Heureusement pour Prusias, le sénat, sur le rapport des députés qu’il lui avait envoyés, en nomma promptement trois autres, Appius Claudius, Lucius Oppius et Aulus Postumius, qui, arrivés en Asie, finirent la guerre en obligeant les deux rois à souscrire à ce traité : Que Prusias donnerait, pour le présent, vingt galères pontées à Attalus ; qu’il lui payerait cinq cents talens dans l’espace de vingt ans ; que l’un et l’autre se renfermeraient dans les bornes de leur état, telles qu’elles étaient avant la guerre ; que Prusias, en réparation des dommages qu’il avait causés dans les terres de Méthymne, d’Égium, de Cumes et d’Héraclée, restituerait à ces villes cent talens. Ces conditions acceptées, Attalus ramena ses troupes, tant de terre que de mer, dans son royaume. Ainsi fut conduite la guerre que les différends d’Attalus et de Prusias avaient allumée. (Ibid.)

III.


Députation des Achéens en faveur de leurs exilés.


Il arriva encore dans ce même temps à Rome une nouvelle députation des Achéens en faveur de ceux de leur nation qui avaient été évoqués en Italie. Les députés demandèrent grâce au sénat pour ces infortunés ; mais les Pères jugèrent qu’il fallait s’en tenir à ce qui avait été décidé. (Ibid.)


Polybe raconte, dans son livre xxxiii, que Démétrius, roi de Syrie, était un fort grand buveur et qu’il était ivre presque toute la journée. (Athenæi lib. x, c. 2.) Schweigh.


Héraclide arrive à Rome avec les enfans d’Antiochus. — Ambassade des Rhodiens au sujet de leur guerre contre les Crétois.


Pendant l’été, Héraclide vint à Rome et y amena avec lui Laodice et Alexandre, enfans d’Antiochus. Durant le séjour qu’il fit dans cette ville, il n’y eut point d’artifice dont il ne se servît pour obtenir du sénat ce qu’il en souhaitait. Le Rhodien Astymède, député et amiral de sa république, parut en même temps dans le sénat, et parla de la guerre que les Rhodiens avaient avec les Crétois. Les Pères, après l’avoir entendu avec beaucoup d’attention, députèrent Quintus sur les lieux et le chargèrent de terminer cette guerre. (Ambassades.) Dom Thuillier.


Les Crétois et les Rhodiens députent aux Achéens. — Éloge d’Antiphate de Crète.


Le conseil des Achéens assemblé à Corinthe, il y vint deux ambassades : l’une de la part des Crétois, dont le chef était le Gortynien Antiphate, fils de Télemnaste ; l’autre, de la part des Rhodiens, à la tête de laquelle était Théophanès. Ces ambassadeurs demandèrent du secours pour leur patrie ; mais dans le conseil la plupart penchaient plus en faveur des Rhodiens. La célébrité de cette république, la forme de son gouvernement, le caractère de ses citoyens, réunissaient presque tous les suffrages. Antiphate en fut averti, et voulut rentrer dans l’assemblée. Il y rentra, en effet, avec la permission du préteur ; il y parla avec plus de poids et de dignité qu’on ne devait en attendre d’un Crétois. Aussi ce jeune homme n’avait-il rien des défauts de son pays. La liberté avec laquelle il plaida la cause de sa patrie plut par elle-même aux Achéens ; mais ce qui l’aida à gagner ses auditeurs, c’est que, pendant la guerre de Nabis, Télemnaste, son père, était venu au secours des Achéens, avec cinq cents Crétois. Malgré cela, on allait accorder aux Rhodiens les forces qu’ils demandaient, lorsque Callicrate dit que, sans l’aveu des Romains, il ne fallait ni faire la guerre contre personne, ni donner de secours à personne. Il ne fallut que ce mot pour empêcher qu’on ne prît quelque résolution. (Ibid.)


IV.


Attalus, fils d’Eumène, et Démétrius, fils de Démétrius Soter, viennent à Rome. — Héraclide obtient du sénat que les enfans d’Antiochus retournent en Syrie.


Entre les ambassadeurs qui étaient venus à Rome de différens endroits, Attalus, fils d’Eumène, fut le premier à qui le sénat donna audience. Quoique fort jeune encore, il avait fait ce voyage pour se faire connaitre au sénat, et demander la continuation de son amitié et du droit d’hospitalité que son père avait toujours si constamment conservé avec le peuple romain. Il reçut du sénat et des amis du roi son père toutes les marques d’amitié qu’il devait attendre. On lui accorda tout ce qu’il souhaitait ; on lui fit tous les honneurs qui convenaient à son âge, et, quelques jours après, il repartit pour ses états. Dans toutes les villes de Grèce où il passa, il fut reçu avec de grandes démonstrations de joie.

Démétrius était arrivé en même temps à Rome. Comme ce n’était qu’un enfant, l’appareil de sa réception fut médiocre, et il ne fit pas long séjour. Quand il fut parti, Hiéroclès, qui depuis long-temps était dans la ville, conduisit avec lui dans le sénat Laodice et Alexandre. D’abord le jeune prince pria les Pères Conscrits en peu de mots de se rappeler combien Antiochus leur était cher, et l’alliance qu’ils avaient avec lui ; de le mettre en possession du trône que son père avait occupé, ou du moins de lui accorder la liberté de retourner en Syrie, et de ne pas empêcher qu’on ne l’aidât à recouvrer le royaume de ses pères. Héraclide prenant ensuite la parole, fît un grand éloge d’Antiochus, s’éleva vivement contre Démétrius et conclut en disant que l’on devait accorder au jeune prince et à Laodice, sa sœur, la liberté de retourner dans leur patrie ; que rien n’était plus juste, puisqu’ils étaient enfans naturels d’Antiochus. Tout ce qu’il y avait de gens sensés parmi les sénateurs fut choqué de ce discours. On regarda cela comme une de ces fictions que les poëtes produisent sur la scène, et on n’eut que de l’horreur pour l’auteur de cette intrigue. Le plus grand nombre cependant, fasciné par l’artificieux Héraclide, conclut à dresser un décret en ces termes : « Alexandre et Laodice, enfans d’Antiochus, qui a été notre ami et notre allié, ont demandé, dans le sénat, qu’il leur fût permis de retourner dans leur patrie et d’implorer le secours de leurs amis, pour remonter sur le trône de leur père, et le sénat leur permet l’un et l’autre. » Ces permissions obtenues, Héraclide leva sur-le-champ des troupes étrangères et attira dans son parti tout ce qu’il put de personnages illustres. De Rome il alla à Éphèse, et là il fit les préparatifs de la guerre qu’il méditait. (Ambassades.) Dom Thuillier.


V.


Beaucoup d’hommes, par avarice ou par ambition, sont précipités du haut de leur fortune, comme Holopherne, roi de Cappadoce, qui finit par se perdre et tomber du trône. Quant à nous, racontant succinctement le retour d’Ariarathe dans son royaume, nous continuerons l’histoire suivant l’ordre que nous nous sommes imposé pour tout notre ouvrage. En effet, après avoir négligé les affaires de la Grèce, nous avons entrepris celles d’Asie en Cappadoce, parce qu’on ne peut raisonnablement séparer le départ d’Ariarathe pour l’Italie, de son retour au trône ; nous donnerons ensuite une esquisse des affaires grecques, à l’époque où arriva l’étrange événement au sujet de la ville d’Orope. Nous en parcourrons quelques points, nous en laisserons d’autres, resserrant ainsi toute l’aventure, de peur que l’obscurité qui enveloppe une partie de ces faits ne rende notre narration diffuse et difficile à comprendre ; car si le tout paraît à peine digne de l’attention d’un lecteur, comment une partie, tronquée comme elle l’est, satisferait-elle des gens peu curieux de s’instruire ?


Ordinairement, dans le succès on trouve des partisans, et l’on devient à charge à ses amis dans l’infortune. C’est ce qui arriva à Holopherne quand il fut ruiné ; c’est aussi l’histoire de Théotime et de bien d’autres.

Les Rhodiens accablés par ces événemens, s’abandonnèrent aux résolutions les plus absurdes, et en vinrent à l’état de ces gens qui, découragés par une longue maladie, font une mauvaise fin. Ces gens, en effet, quand ils ont pris mille espèces de remèdes, consulté tous les médecins, et que rien ne les a rétablis, fatigués de ce retard, commencent à désespérer ; ils se fient aux oracles, aux devins ; quelques-uns essayent des charlatans et de la magie. Ainsi firent les Rhodiens. Tout ayant trompé leur attente, ils se virent forcés d’en croire à des paroles, de donner du corps à des espérances, à des ombres ; et ce malheur parut mérité. Car, lorsqu’on n’a pas agi d’après un calcul sage, il faut bien que la fatalité s’accomplisse, et que l’on vienne aboutir à des événemens hors de toute prévision. Ainsi donc, placés dans cette position, les Rhodiens reprirent pour chef le chef qu’ils avaient improuvé d’abord, et firent mille autres inconséquences.


Quand une fois on s’est senti du penchant à aimer ou à haïr fortement quelqu’un, le moindre prétexte suffit pour décider ce penchant ou l’établir.

Mais je crains de divaguer malgré moi, et, comme dit le proverbe, de n arriver qu’à traire un oiseau, ou à recevoir du lait dans un crible ; en effet, si j’insistais plus long-temps sur des fables aussi manifestes, tout en visant à l’exactitude, je ne produirais qu’un récit vide de sens ; je m’arrête donc pour ne pas écrire des songes, et n’exposer personne à lire les songes d’un homme éveillé. (Angelo Mai et Jacobus Geel, ubi suprà.)