Bibliothèque Canadienne/Tome I/Numéro 1/Topographie

Bibliothèque Canadienne/Tome I/Numéro 1
La Bibliothèque Canadienne, Tome I, Numéro 1, Texte établi par M Bibaud, éditeur et propriétaire, Imprimerie J. LaneVolume I, Numéro 1 (juin 1825) (p. 12-15).
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TOPOGRAPHIE, &c.

Les connaissances topographiques doivent être d’une grande importance dans un pays où la moitié, les trois quarts, peut-être, des terres fertiles sont encore à défricher ; où les manufactures et le commerce doivent faire tous les jours des progrès, et où la population s’accroît rapidement et a besoin de s’étendre. Nous croirons donc joindre l’utile à l’agréable, en publiant de tems à autre quelques morceaux sur ce sujet intéressant. Nous commencerons dans ce premier numéro, par l’endroit du Canada qui a été fréquenté le premier par les Européens, et a été un poste de commerce, longtems avant que Québec fût fondé, Tadoussac, ou plutôt la rivière Saguenay qui se décharge dans le St. Laurent, au lieu ainsi nommé, et le lac St. Jean, où cette rivière a sa source. Mr. Bouchette, dans sa Topographie du Bas-Canada, fait du Saguenay une description propre à faire regarder cette rivière comme une des merveilles de la nature. Nous espérons qu’on ne trouvera pas mauvais de voir ici cette description, avant de passer outre.

« La Rivière Saguenay qui se décharge dans le St. Laurent, a la Pointe aux Alouettes, est la plus grande de toutes celles qui apportent le tribut de leurs eaux à la Grande Rivière ; elle prend su source dans le Lac St. Jean, pièce d’eau d’une étendue considérable, par 48 degrés 20 minutes de latitude nord, et par 79 degrés 30 minutes de longitude ouest, du méridien de Londres ; il reçoit plusieurs grandes rivières qui coulent du nord et du nord-ouest, à une distance immense dans l’intérieur, et dont le Pikouagami, la rivière de Sable, et le Pariboaca sont les principales. À l’extrémité orientale du lac, il en sort deux grands courants d’eau, l’un appellé la grande Décharge, et l’autre la rivière de Kinogmiland ; lesquels après avoir coulé environ 57 milles, et renfermé un terrain d’une largeur moyenne de douze milles, réunissent leurs eaux et forment l’irrésistible Saguenay qui de cette pointe continue son cours dans la direction de l’est, pendant environ cent milles jusqu’au St. Laurent. Les bords de cette rivière, dans tout son cours, sont pleins de rochers et d’une hauteur immense, s’élevant de 85 toises jusqu’à même 170 audessus du niveau de l’eau. Son courant est large, profond, et violent : dans quelques endroits, où il se trouve des précipices, il y a des chûtes de cinquante à soixante pieds de hauteur, où le volume entier des eaux s’élance avec une furie qu’on ne saurait décrire, et avec un bruit épouvantable. La largeur de la rivière est en général de deux milles et demi à trois milles, mais à son embouchure, la distance se réduit à environ un mille. La profondeur de cette énorme rivière est aussi extraordinaire : à son embouchure, on a essayé d’en trouver le fond avec une sonde de 500 brasses, mais sans effet ; à environ deux milles plus haut, on a plusieurs fois trouvé de 130 à 110 brasses ; et entre 60 et 70 milles du St. Laurent, sa profondeur est de 50 à 60 brasses. Le cours de cette rivière, malgré sa grandeur, est très sinueux, à cause du grand nombre de pointes saillantes de chaque côté du rivage ; la marée la remonte à environ 70 milles ; et à raison des obstacles occasionnés par les montagnes nombreuses, le reflux est beaucoup plus tard que dans le St. Laurent ; en conséquence, à la basse eau dans le dernier, la force des eaux descendantes du Saguenay se fait sentir à plusieurs milles. À l’embouchure de cette rivière, tout vis-à-vis la Pointe aux Alouettes, se trouve le port de Tadousac, qui est très bien abrité par les hauteurs qui l’entourrent, et qui a un bon ancrage pour un grand nombre de grands vaisseaux, où ils peuvent rester en parfaite sûreté. »

MM. J. M’Kenzie et J. M’Douall, traiteurs, qui ont paru, il y a deux ans, devant un comité de la Chambre d’Assemblée, ont beaucoup ajouté aux renseignemens que l’on avait déjà sur ce sujet. Voici en substance comment Mr. M’Douall répond aux questions du comité.

Le Saguenay est navigable pour des vaisseaux de toute grandeur jusqu’à Chicoutimy, à 30 lieues environ de son embouchure dans le St. Laurent. On y trouve plusieurs rades et plusieurs ports, et il reçoit un grand nombre de rivières, dont les plus considérables sont celles de Ste. Marguerite, la Trinité, le Petit Saguenay, et Chicoutimy. La Trinité est de la même largeur que la rivière St. Charles, à Québec : elle forme un beau port à son confluent, et dans les endroits où elle se rétrécit, on a établi des pêches au saumon. La rivière Ste. Marguerite est plus large que celle de St. Charles : elle est navigable pour les canots à une grande distance, jusqu’à une centaine de milles, au rapport des sauvages. Le Chicoutimy n’est pas tout à fait aussi large que la rivière Batiscan, mais il y a autant d’eau. Cette rivière serait navigable pour des canots l’espace de dix lieues, si ce n’était de trois chûtes, ou forts rapides, qui se trouvent à son confluent. Mr. M’Douall ne connaît le Petit Saguenay que pour en avoir entendu parler, À 20 lieues de l’embouchure du Saguenay est la baie de Ha-Ha, dans laquelle tombent deux petits cours d’eau où il y a des pêches au saumon. Cette baie forme un beau port de trois lieues de circuit, où l’ancrage est sûr, et où les vaisseaux sont à l’abri de tous les vents. Au delà de Chicoutimy, le Saguenay n’est plus navigable, à cause des précipices et des chûtes épouvantables dont parle le Colonel Bouchette, et dont, suivant Mr. M’Douall, nul homme, soit Canadien, soit sauvage, n’a jamais ôsé approcher. La plus terrible de ces chutes est à trois lieues au delà de Chicoutimy.

Le climat, sur les bords du Saguenay, est, suivant Mr. M’Douall, ou plutôt, suivant ce qu’on lui en a dit, plus tempéré qu’à Québec : la végétation y est aussi rapide, plus même peut-être, que dans le voisinage de cette capitale du Canada. Les grains et les légumes qu’on a semés ou plantés au poste de Tadoussac sont bien venus. À Chicoutimy, le sol est meilleur encore qu’à Tadoussac. Les arbres les plus communs sont le bouleau, le frêne, l’orme, le pin rouge et le pin blanc, l’épinette et le peuplier.

Mr. M’Douall ne connaît pas, pour les avoir vus, le lac St. Jean, non plus que les rivières qui y portent le tribut de leurs eaux : mais il tient de personnes qui ont exploré le pays, que les terres sur les bords de ce lac et de ces rivières sont bonnes et propres à la culture, et qu’on y trouve beaucoup de bois dur, tels que le merisier et l’érable. Il est persuadé qu’on pourrait cultiver dans ces contrées tous les grains, végétaux et arbres fruitiers que l’on cultive dans les parties habitées du Bas-Canada, particulièrement les pommiers, auxquels il croit le sol plus favorable que celui même de Montréal. C’est au confluent des rivières et aux environs des baies que les terres sont les plus fertiles. Audessus et audessous de l’embouchure du Saguenay, le long du St. Laurent, cent cinquante familles trouveraient des terres fertiles, des marais salins, du foin naturel, du poisson et du gibier en abondance. Si l’intérieur du pays s’établissait, Chicoutimy, qui est à la tête de la navigation du Saguenay, deviendrait une ville de commerce, d’où l’on exporterait d’abord des pelleteries, du poisson, de l’huile et des bois de construction de toutes sortes : ensuite, de la potasse, du bled, de la farine, des viandes salées, du chanvre, &c.

Les réponses de Mr. M’Kenzie au même comité ajoutent quelque chose aux éclaircissemens donnés par Mr. M’Douall ; mais nous les remettrons à une autre fois.


Du Voyage de Franchère.

La rivière Saskatchiwine coule sur un lit composé de sable et d’argile ; ce qui ne contribue pas peu à diminuer la pureté et la transparence de ses eaux, qui, comme celles du Missouri, sont épaisses et blanchâtres. À cela près, c’est une des plus jolies rivières du monde. Les bords de la Saskatchiwine sont tout-à-fait charmants, et offrent, en plusieurs endroits, la scène la plus belle, la plus riante et la mieux diversifiée que l’on puisse voir ou imatoner : des collines de formes diverses, couronnées de superbes touffes de peupliers ; des vallons agréablement rembrunis, le soir et le matin, par l’ombre prolongée des coteaux et des bosquets qui les décorent ; des troupeaux de légers cabris, et de lourds bœufs Illinois — ceux-là bondissant sur le penchant des collines, ceux-ci foulant de leurs pieds pesants la verdure des prés ; toutes ces beautés champêtres réfléchies et doublées, pour ainsi dire, par les ondes du fleuve ; le chant mélodieux et varié de mille oiseaux divers perchés sur la cime des arbres ; l’haleine rafraîchissante des zéphirs ; la sérénité du ciel ; la pureté et la salubrité de l’air : tout, en un mot, porte le contentement et la joie dans l’âme du spectateur enchanté. C’est surtout le matin, quand le soleil se lève, et le soir, quand il se couche, que le spectacle est vraiment ravissant. Je ne pus détacher mes regards de ce superbe tableau, que quand l’obscurité naissante l’eut un peu rembruni. Alors, au doux plaisir que j’avais goûté succéda une triste, pour ne pas dire une sombre, mélancolie. Comment se fait-il, dis-je en moi-même, qu’un si beau pays ne soit point habité par des créatures humaines ? Les chansons, les hymnes, les prières, du laboureur et de l’artisan, heureux et paisible, ne seront-ils jamais entendus dans ces belles campagnes ? Pourquoi, tandis qu’en Europe, et en Angleterre surtout, tant de milliers d’hommes ne possèdent pas un pouce de terre, et cultivent le sol de leur patrie pour des propriétaires qui leur laissent à peine de quoi subsister ; pourquoi tant de millions d’arpens de terres, en apparence grasses et fertiles, restent-ils incultes et absolument inutiles ? ou, du moins, pourquoi ne nourrissent-elles que des troupeaux de bêtes fauves ? Les hommes aimeront-ils toujours mieux végéter toute leur vie sur un sol ingrat, que d’aller chercher au loin des régions fertiles, pour couler dans la paix et l’abondance, au moins la dernière partie de leurs jours ? Mais, je me trompe : il est moins aisé qu’on ne pense à l’homme pauvre d’améliorer sa condition : il n’a pas les moyens de se transporter dans des contrées lointaines, où il n’a plus ceux d’y acquérir une propriété : car ces terres incultes, désertes, abandonnées, ne sont pas « à quiconque veut s’y établir et les cultiver ; elles ont des possesseurs, et il faut acheter d’eux le privilège de les rendre fertiles et productives ! On ne doit pas, d’ailleurs, se faire illusion : ces contrées, par fois si délicieuses, ne jouissent pas d’un printems perpétuel ; elles ont leur hiver, et un hiver rigoureux : un froid perçant est répandu dans l’atmosphère ; une neige épaisse couvre la surface du sol ; les fleuves glacés ne coulent plus que pour les poissons ; les arbres sont dépouillés de leurs feuilles, et couverts de verglas ; la verdure des prés a disparu ; les collines et les vallons n’offrent plus qu’une uniforme blancheur ; la nature a perdu toute sa beauté ; et l’homme a assez à faire de se mettre à l’abri des injures du tems.