Bas de soie (Théodore Hannon)

Parnasse de la Jeune BelgiqueLéon Vanier, éditeur (p. 159-162).


Bas de soie


Il est des vitrines joyeuses
Comme les magots de là-bas :
Ce sont celles où les hauts bas
Sonnent leurs fanfares soyeuses.

Voyez-les, aux lueurs du gaz,
Développer leurs enfilades,
Provocants comme des œillades,
Fous comme un chapeau Rabagas.

Les crépons arborent ces gammes
Qui dans les bas vont crescendo ;
Les écrans vernis d’Yeddo
S’allument de ces amalgames.

Arrière les cotons écrus
Ravis aux dents de la machine !…
Les éventails que peint la Chine
Ont ces feux cruellement crus.


Il en est de teinte bizarre ;
D’autres apparaissent d’un ton
Lamentable comme Lazare
Le Pâtre, un mélo de carton !

Il en est de nuance mauve,
Fleur de pêcher, cœur de souci,
Azur zébré de cramoisi,
Véronèse jaspé de fauve.

D’autres sont blancs à pois barbeau,
Violets annelés d’orange,
À côtes cerise que frange
Un reflet d’aile de corbeau ;

D’autres encore, à l’émeraude,
À la turquoise, aux grenats clairs,
Empruntent leurs riches éclairs ;
Il en est d’unis que l’on brode.

J’en sais d’un tissu mat et cher
Sculptant le contour et la ligne,
D’autres, de trame plus maligne,
Laissent transparaître la chair.


À l’assaut des cuisses prônées
Ils monteront insolemment
Prenant, en leur enroulement,
Roturières et blasonnées !

La jouvencelle choisira
Les couleurs chastes : bleu, blanc, rose ;
La matrone d’humeur morose,
Le noir, que le temps roussira.

Seule, la fille aux lèvres blêmes
Enfile les terribles bas
Qui font ses jambes de combats
Plus mortelles que ses bras mêmes !

Et ces interminables gants
De pieds — pour ces filles de soie
Se transforment en bas de joie
Aux empires extravagants !

Car ces étuis, rêve des gouges,
À l’égal des fards enchanteurs,
Des eaux, des pâtes, des senteurs,
Des poivres longs, des piments rouges,


Rayonnent parmi les engins
Des galants arsenaux du vice
Où s’arme l’amour peu novice
Des paradoxales catins.