Barzaz Breiz/1846/Lez-Breiz/Bilingue-Maure

Barzaz Breiz, édition de 1846
Lez-Breiz




IV


LE MAURE DU ROI.


I.


Le roi des Gaulois (des Franks) disait aux seigneurs de sa cour, un jour :

— Celui-là me rendra un hommage véritable qui viendra à bout de Lez-Breiz.

Me combattre ; il ne fait pas autre chose, et tuer mes guerriers. —

Quand le Maure du roi entendit ces paroles, il se leva, en face du roi :

— Seigneur, je vous ai rendu un hommage véritable, et je vous ai souvent donné des garants ;

Mais puisque vous le voulez, aujourd’hui, le chevalier Lez-Breiz me servira de garant nouveau.

Si je ne vous apporte pas sa tête dès demain, je vous apporterai la mienne avec plaisir. —


II.


Le lendemain de grand matin, le jeune écuyer de Lez-Breiz courait trouver son maître, tout tremblant :

— Le Maure du roi est venu, et il vous a défié.

— S’il m’a défié, il faut que je réponde à son défi.

— Cher seigneur, vous ne savez donc pas ? c’est avec les charmes du démon qu’il combat.


— S’il combat avec les charmes du démon, nous combattons, nous, avec l’aide de Dieu !

Va vite m’équiper mon cheval noir, tandis que je serai à me revêtir de mes armes.

— Sauf votre grâce, seigneur, si vous m’en croyez, vous ne combattrez pas sur votre cheval noir.

Il y a trois chevaux dans l’écurie royale ; vous pourrez choisir entre eux trois.

Maintenant, s’il vous plaît de m’écouter, je vous apprendrai un secret.

C’est un vieux clerc qui me l’a enseigné, un homme de Dieu, s’il en est un au monde.

Vous ne prendrez pas le cheval bai, ni le cheval blanc non plus ;

Vous ne prendrez point le cheval blanc ; le cheval noir je ne dis pas ;

Celui-là est placé entre les deux autres, et c’est le Maure du roi qui l’a dompté.

Si vous m’en croyez, prenez celui-là pour aller vous battre avec lui.

Quand le Maure entrera dans la salle, il jettera son manteau à terre.

Pour vous, ne jetez pas votre manteau à terre, mais suspendez-le.

Si vous mettez vos habits sous les siens, la force du noir géant doublera.

Quand le noir géant s’avancera pour vous attaquer, vous ferez le signe de la croix avec le fût de votre lance ;


Puis, quand il fondra sur vous furieux et plein de rage, vous le recevrez avec le fer.

Avec l’aide de vos deux bras et de la Trinité, votre lance ne se rompra pas dans vos mains. —


III.


Sa lance ne se rompit pas dans ses mains, avec l’aide de ses deux bras et de la Trinité !

Sa lance en ses mains ne branlait pas, quand ils chevauchèrent l’un contre l’autre ;

Quand ils chevauchaient dans la salle, front contre front, fer contre fer, leurs lances rapides-aveugles en arrêt.

Rapides-aveugles leurs coursiers hennissants, s’entre-mordant à faire jaillir le sang ;

Le roi frank, assis sur son trône, regardant avec ses nobles,

Regardant et disant : « Tiens, tiens bon, noir corbeau de mer ! plume ce merle ! »

Quand le géant l’assaillait furieux, comme la tempête le corsaire.

Sa lance en ses mains ne branlait pas ; et ce fut celle du Maure qui se brisa.

La lance du Maure vola en éclats, et il fut démonté violemment ;

Et lorsqu’ils furent à pied tous deux, ils fondirent l’un sur l’autre avec rage ;

Et ils se donnèrent de tels coups d’épée. que les murs tremblaient d’épouvante ;


Et que leurs armes jetaient des étincelles comme le fer rouge sur l’enclume.

Enfin le Breton, trouvant le joint, enfonça son épée dans le cœur du géant.

Le Maure du roi tomba : et sa tête rebondit sur le sol.

Lcz-Breiz, voyant cela, lui mit le pied sur le ventre :

Et en retirant son épée, il coupa la tête du géant maure.

Et quand il eut coupé la tête du Maure, il l’attacha au pommeau de sa selle.

Il l’attacha au pommeau de sa selle par la barbe qui était grise et tressée.

Mais voyant son épée ensanglantée, il la jeta bien loin de lui.

— Moi, porter une épée souillée dans le sang du Maure du roi ! —

Puis il monta sur son cheval rapide, et il sortit, son jeune écuyer à sa suite ;

Et quand il arriva chez lui, il détacha la tête du Maure ;

Et il l’attacha à sa porte, afin que les Bretons la vissent.

Hideux spectacle ! Avec sa peau noire et ses dents blanches, elle effrayait ceux qui passaient,

Ceux qui passaient et qui regardaient sa bouche ouverte qui bâillait.


Or, les guerriers disaient : — Le seigneur Lez-Breiz, voilà un homme ! —

Et le seigneur Lez-Breiz, alors, parlait lui-même ainsi :

— J’ai assisté à vingt combats, et j’ai vaincu vingt mille hommes ;

Eh bien, je n’ai jamais eu autant de mal que m’en a donné le Maure.

Dame sainte Anne, ma chère mère, que vous faites de merveilles à mon occasion !

Je vous bâtirai une maison de prière, sur la montagne, entre le Léguer et l’Indi[1]. —


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  1. « Heureuse, heureuse la maison bâtie entre l’embouchure du Léguer et la rivière d’Indi ! » avait dit autrefois le barde Gwenc’hlan.