Avis (1761)/Édition Garnier

Œuvres complètes de VoltaireGarniertome 24 (p. 159-160).


AVIS



Ayant vu dans plusieurs journaux l’Ode et les Lettres de M. Le Brun[1], secrétaire de Son Altesse Royale monseigneur le prince de Conti, avec mes réponses annoncées sous le titre de Genève, je suis obligé d’avertir que Duchesne les a imprimées à Paris ; que je ne publie point mes Lettres, encore moins celles des autres, et qu’aucun des petits ouvrages qu’on débite à Paris sous le nom de Genève n’est connu dans cette ville.

C’est d’ailleurs outrager la France que de faire accroire qu’on ait été obligé d’imprimer en pays étranger l’ode de M. Le Brun, laquelle fait honneur à la patrie par les strophes[2] admirables dont elle est pleine, et par le sujet qu’elle traite. Les Lettres dont M. Le Brun m’a honoré sont encore un monument très-précieux ; c’est lui, et M. Titon du Tillet, si connu par son zèle patriotique, qui seuls ont pris soin dans Paris de l’héritière du nom du grand Corneille, et qui m’ont procuré l’honneur inestimable d’avoir chez moi la descendante du premier Français qui ait fait respecter notre patrie des étrangers dans le premier des arts. C’est donc à Paris, et non à Genève, ni ailleurs, qu’on a dû imprimer, et qu’on a imprimé en effet ce qui regarde ce grand homme. Les petits billets que j’ai pu écrire sur cette affaire ne contiennent que des détails obscurs, qui assurément ne méritent pas de voir le jour.

Je dois avertir encore que je ne demeure, ni n’ai jamais demeuré à Genève, où plusieurs personnes mal informées m’écrivent ; que si j’ai une maison de campagne dans le territoire de cette ville, ce n’est que pour être à portée des secours dans une vieillesse infirme ; que je vis dans mes[3] terres en France, honoré des bienfaits du roi, et des priviléges singuliers qu’il a daigné accorder à ces terres ; qu’en y méprisant du plus souverain mépris les insolents calomniateurs de la littérature, de la philosophie, je ne suis occupé que de mon zèle et de ma reconnaissance pour mon roi, du culte et de tous les exercices de ma religion[4], et des soins de l’agriculture.

Je dois ajouter qu’il m’est revenu que plusieurs personnes se plaignent de ne recevoir point de réponses de moi ; j’avertis que je ne reçois aucune lettre cachetée de cachets inconnus, et qu’elles restent toutes à la poste.

Fait au château de Ferney, pays de Gex, province de Bourgogne, le 12 janvier 1761.

Voltaire.
FIN DE L’AVIS.
  1. La brochure est intitulée Ode et Lettres à M. de Voltaire, en faveur de la famille du grand Corneille, par M. Le Brun, avec la réponse de M. de Voltaire, à Genève ; et se trouve à Paris, chez Duchesne, 1760, in-8o » de trente-deux pages. Dans ce temps-là rien ne pouvait, en France, s’imprimer sans une permission qu’on appelait privilége. En refusant le privilége, on accordait quelquefois une permission tacite. Il fallait alors, tout en imprimant en France, mettre l’adresse d’une ville étrangère ; et ce n’était qu’à la suite que pouvait être placé le nom du libraire français. Les permissions tacites étaient des permissions non avouées.

    L’Avis de Voltaire a été imprimé dans le Mercure de février 1761, pages 223-24 ; et aussi dans le Journal encyclopédique du 1er février 1761, pages 145-46. (B.)

  2. Dans le Mercure et dans le Journal encyclopédique, au lieu de strophes admirables, on avait imprimé sentiments admirables. Voltaire s’en plaint dans sa lettre à Damilaville, du 2 février 1761. (B.)
  3. Dans ses lettres à Thieriot, du 31 janvier 1761, et à Damilaville, du 2 février, Voltaire se plaint de ce que, dans le Mercure et dans le Journal encyclopédique, on a imprimé des terres au lieu de mes terres, que portait son manuscrit. (B.)
  4. Dans le Mercure et dans le Journal encyclopédique on a imprimé : « De mon zèle et de ma reconnaissance pour mon roi, de ce qui intéresse mes amis, et des soins de l’agriculture. » Voltaire se plaint très-vivement de cette altération ; voyez les lettres à Thieriot et à Damilaville, citées en la note qui précède. (B.)