Augustin d’Hippone/Deuxième série/Solennités et panégyriques/Sermon CLXXXIX. Pour le jour de Noël. VI. Vérité et justification

Sermons détachées de Saint Paul
Œuvres complètes de Saint Augustin (éd. Raulx, 1864)


SERMON CLXXXIX. POUR LE JOUR DE NOËL. VI. VÉRITÉ ET JUSTIFICATION.

ANALYSE. – Le Verbe naissant de la Vierge est la Vérité s’élevant de la terre. Or, ce qu’il se propose n’est pas seulement de nous éclairer, mais encore de nous justifier. Donc allons à lui et nous y attachons.

1. Le Jour, auteur de chaque jour, a pour nous, mes frères, sanctifié le jour présent. C’est de ce Jour suprême qu’il est dit dans un psaume : « Chantez au Seigneur un cantique nouveau ; que toute la terre célèbre le Seigneur. Célébrez le Seigneur et bénissez son nom ; bénissez son Sauveur, le Jour issu du Jour[1] ». Quel est ce Jour issu du Jour, sinon le Fils issu du Père, lumière de lumière ? Le Jour donc a engendré le Jour qui jaillit aujourd’hui du sein de la Vierge ; et ce Jour par conséquent n’a ni lever ni coucher. J’appelle ici Jour Dieu le Père. Ce Jour en effet n’est-il pas lumière, non pas cette lumière que voient les yeux du corps et qui éclaire les animaux aussi bien que nous ; mais la lumière qui brille aux yeux des anges et qui demande, pour arriver jusqu’à nous, que nous purifiions nos cœurs. Ne vivons-nous pas dans une nuit qui passe et durant laquelle sont allumés pour nous les flambeaux de l’Écriture ? À cette nuit succédera le matin dont il est parlé dans ces mots d’un psaume : « Je me lèverai le matin devant vous et je vous contemplerai[2] ».

2. Ce Jour donc qui n’est autre que le Verbe de Dieu, ce Jour qui éclaire les anges et qui rayonne dans cette patrie dont nous sommes exilés, s’est revêtu de chair et il est né de la Vierge Marie. Naissance merveilleuse ! qu’y a-t-il de plus merveilleux que l’enfantement d’une Vierge, qu’une Vierge qui conçoit étant Vierge et qui enfante étant Vierge encore ? Son Fils est ainsi formé de celle qu’il a formée ; il lui a donné la fécondité, sans altérer en rien son intégrité. D’où vient Marie ? D’Adam. Et Adam ? De la terre. Mais Marie venant d’Adam et Adam de la terre, ne s’ensuit-il pas que Marie est terre comme lui ? Or, Marie étant terre, comme ne comprendre pas ce que nous chantons : « La Vérité s’est élevée de terre ? » Qu’y gagnons-nous ? « La Vérité s’est élevée de terre, et la justice a regardé du haut du ciel[3] », Pourquoi ? C’est que, comme s’exprime l’Apôtre, « ignorant la justice de Dieu et cherchant à établir la leur, les Juifs ne se sont pas soumis à la divine justice ». Comment un homme peut-il devenir juste ? Est-ce par lui-même ? Quel pauvre, Hélas ! peut se donner du pain ? Quel homme nu peut se couvrir si on ne lui donne des vêtements ? D’où vient aussi la justice ? Peut-elle exister sans la foi, puisque « c’est de la foi que vit le juste[4] ? » Se dire juste quand on n’a pas la foi, c’est mentir. Or, si on ment lorsqu’on n’a pas la foi, il faut pour ne mentir pas, se tourner du côté de la Vérité. Mais la Vérité était bien éloignée ; elle s’est levée de terre. Tu dormais, elle est venue près de toi ; tu étais plongé dans un profond sommeil, elle t’a éveillé, et pour te détourner de ta perte, elle t’ouvre un chemin dans elle-même. Ainsi donc la Vérité s’élevant de terre, c’est le Christ naissant de la Vierge ; et si la justice regarde du haut du ciel, c’est pour ramener à la sagesse les hommes que l’injustice en a éloignés.

3. Nous étions mortels, accablés du poids de nos péchés, chargés des châtiments mérités par nous. La vie de chacun ne commence-t-elle point par la souffrance ? Pourquoi chercher des tireurs d’horoscopes ? Questionne l’enfant qui vient au monde, comprends ses pleurs. Eh bien ! la terre entière portait ainsi la colère de Dieu ; mais tout à coup quel éclair de bonté ! « La Vérité s’est élevée de terre ». Celui qui a tout créé, vient d’être créé aussi. Il a fait le jour, il est mis au jour. Le Christ Notre-Seigneur est de toute éternité sans commencement dans le sein de son Père ; il a maintenant son jour de naissance. Au commencement était le Verbe ; si ce Verbe n’avait passé par une génération humaine, jamais nous ne parviendrions à être divinement régénérés ; il est donc né pour nous faire renaître. Le Christ est né, comment hésiter de renaître ? Il a été engendré, mais sans aucun besoin d’être régénéré. Eh ! qui a besoin d’être régénéré, sinon celui qui est condamné dans sa génération même ? Que sa miséricorde donc agisse dans nos cœurs. Sa mère l’a porté dans son sein ; portons-le dans nos âmes. On a vu une Vierge enceinte du Christ incarné ; remplissons nos cœurs de la foi du Christ. Une Vierge a enfanté le Sauveur ; que notre âme à son tour enfante le salut, enfantons aussi la louange ; ne soyons point stériles et que pour Dieu nos âmes soient fécondes.

4. Le Christ est sans Mère quand il est engendré de son Père, et sans Père, quand il est enfanté par sa Mère : générations merveilleuses ! la première est éternelle, la seconde temporelle. L’Éternel est né de l’Éternel. Pourquoi s’en étonner ? Il est Dieu. Qu’on pense à la Divinité, et toute surprise cessera. Qu’on mette de côté l’étonnement pour faire monter des cris de louanges ; aie la foi, crois ce qui s’est accompli. Dieu ne s’est-il pas assez humilié pour toi ? Il était Dieu, et il est né. Quelle étroite étable ! il y est enveloppé de langes et déposé dans une crèche ; qui ne serait surpris ? Il remplit le monde et pour lui il n’y a point place dans une hôtellerie. Quoi ! notre pain céleste placé dans une crèche ! Ah ! que de cette crèche s’approchent les deux peuples, comme deux animaux mystérieux. « Le bœuf a connu son maître, et l’âne, la crèche de son Seigneur[5] ». Ne rougis point d’être pour ton Dieu l’un de ces animaux : tu porteras le Christ et tu ne t’égareras pas ; tues dans le vrai chemin, puisque le Christ te monte. Oui, que le Seigneur nous monte aussi et qu’il nous mène où il lui plaît ; soyons pour lui comme des animaux de charge et allons à Jérusalem. Ce fardeau n’écrase pas, il soulève ; guidés par lui nous ne nous égarerons pas ; par lui allons à lui, afin de partager l’éternelle joie de l’Enfant qui naît aujourd’hui.

  1. Psa. 95, 1, 2.
  2. Psa. 5, 5.
  3. Psa. 84, 12
  4. Rom. 1, 17.
  5. Isa. 1, 3.