Augustin d’Hippone/Deuxième série/Solennités et panégyriques/Sermon CCIII. Pour l’Épiphanie. V. L’humilité

Solennités et panégyriques
Œuvres complètes de Saint Augustin (éd. Raulx, 1864)


SERMON CCIII. POUR L’ÉPIPHANIE. V. L’HUMILITÉ.

ANALYSE. – C’est à pareil jour que les Gentils ont commencé à devenir chrétiens. Si les Juifs ont eu le privilège d’avoir été appelés les premiers à cette grâce, les Gentils semblent, d’après l’Écriture, y avoir apporté une humilité plus profonde, et la douze jours qui se sont écoulés entre la naissance du Sauveur et l’adoration des Mages, paraissent désigner que les Gentils devaient se convertir dans le monde entier.

1. Le mot Épiphanie, qui vient du grec, peut se traduire par manifestation. C’est donc pour s’être aujourd’hui manifesté aux Gentils que le Rédempteur de tous les Gentils a établi cette fête pour la Gentilité tout entière ; et après avoir, il y a quelques jours, célébré sa naissance, nous célébrons aujourd’hui sa manifestation. Né il y a treize jours, Jésus-Christ Notre-Seigneur à été aujourd’hui même, dit la tradition, adoré par les Mages. L’adoration a eu lieu, nous en avons pour garant la vérité évangélique ; quel jour a-t-elle eu lieu ? Une fête aussi solennelle le proclame partout avec autorité. Puisque les Mages ont connu, les premiers d’entre les Gentils, Jésus-Christ Notre-Seigneur ; puisque, sans avoir encore entendu sa parole, ils ont suivi l’étoile qui leur a apparu[1], et dont l’éloquence céleste et visible leur a tenu lieu de la parole du Verbe encore enfant ; ne semblait-il pas, n’était-il pas véritablement juste que les Gentils vissent avec reconnaissance le jour où fut accordée la grâce du salut aux premiers d’entre eux, et qu’ils le consacrassent à Notre-Seigneur Jésus-Christ pour le remercier et le servir solennellement ? Les premiers d’entre les Juifs qui furent appelés à la foi et à la connaissance du Christ, sont ces pasteurs qui le jour même de sa naissance vinrent de près le contempler. Ils y furent invités par les Anges, comme les Mages par une étoile. Il leur fut dit : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux[2] » ; et pour les Mages s’accomplit cet oracle : « Les cieux racontent la gloire de Dieu[3] ». Les uns et les autres, toutefois, furent comme les premières pierres de ces deux murs de direction différente, la circoncision et l’incirconcision ; ils coururent se réunir à la pierre angulaire, afin d’y trouver la paix et de se confondre dans l’unité[4]. Cependant les premiers louèrent Dieu de ce qu’ils avaient vu le Christ, et non contents d’avoir vu le Christ les seconds l’adorèrent, Les uns furent appelés les premiers à la grâce, les autres montrèrent une humilité plus profonde. Ne dirait-on pas que moins coupables les bergers ressentaient une joie plus vive du salut qui leur venait du ciel, tandis que plus chargés de crimes les Mages imploraient plus humblement le pardon ? Aussi les divines Écritures montrent-elles dans les Gentils plus d’humilité que dans les Juifs. N’était-il pas gentil ce centurion qui après avoir fait au Seigneur un accueil si cordial, se proclama indigne de le recevoir dans sa demeure, ne voulut pas qu’il y vînt voir son serviteur malade, mais seulement qu’il décrétât sa guérison[5], le retenant ainsi dans son cœur, quand pour l’honorer davantage il l’éloignait de sa demeure ? Aussi le Seigneur s’écria-t-il : « Je n’ai pas découvert une telle foi en Israël ». N’était-elle pas une gentille aussi, cette Chananéenne qui après avoir entendu le Seigneur la traiter de chienne, et déclarer qu’elle n’était pas digne qu’on lui jetât le pain des enfants, ne laissa pas de demander les miettes qu’on ne refuse pas à une chienne, méritant ainsi de n’être plus ce qu’elle ne nia point avoir été ? Elle aussi entendit le Seigneur s’écrier « O femme, que ta foi est grande[6] » Oui, parce qu’elle s’était rapetissée elle-même, l’humilité avait agrandi sa foi.

3. Ainsi donc les bergers viennent de près voir le Christ, et les Mages viennent de loin l’adorer. Cette humilité a mérité au sauvageon d’être greffé sur l’olivier franc et, contre sa nature, de produire des olives véritables[7] ; la grâce changeant ainsi la nature. Le monde entier était couvert de ces sauvageons amers ; et une fois greffé par la grâce le monde entier s’est adouci et éclairé. Des extrémités de la terre accourent des hommes qui disent avec Jérémie : « Il n’est que trop vrai, nos pères ont adoré le mensonge[8] ». Et ils viennent, non pas d’un côté seulement, mais comme l’enseigne l’Évangile de saint Luc, « de l’Orient cet de l’Occident, du Nord et du Midi », pour prendre place avec Abraham, Isaac et Jacob, au festin du royaume des cieux[9]. Ainsi c’est des quatre points cardinaux que à grâce de la Trinité appelle à la foi l’univers entier. Or ce nombre quatre multiplié par unis, est le nombre sacré des douze Apôtres, lesquels paraissaient figurer ainsi que le salut serait accordé aux quatre parties du monde par la grâce de l’auguste Trinité. Ce nombre était marqué aussi par cette nappe immense que saint Pierre aperçut remplie de toutes sortes d’animaux[10], représentant tous les Gentils. Suspendue aux quatre coins elle fut à trois reprises descendue du ciel puis remontée : trois fois quatre font douze. Ne serait-ce pas pour ce motif que durant les douze jours qui suivirent la naissance du Seigneur, les Mages, les prémices de la Gentilité, furent en marche pour aller voir et adorer le Christ, et méritèrent d’être sauvés eux-mêmes ainsi que d’être le type du salut de tous les Gentils ? Ah ! célébrons donc ce jour encore avec la plus ardente dévotion ; si nos pères dans la foi ont adoré le Seigneur Jésus couché dans un humble réduit, nous aussi adorons-le maintenant qu’il habite au ciel. Car cette gloire que les Mages saluaient dans l’avenir, nous la voyons dans le présent. Les prémices des Gentils adoraient l’Enfant attaché au sein de sa Mère ; les Gentils adorent aujourd’hui le Triomphateur siégeant à la droite de Dieu son Père.

  1. Mat. 2, 1-12.
  2. Luc. 2, 14.
  3. Psa. 18, 2.
  4. Eph. 2, 11-22
  5. Mat. 8, 5-10
  6. Id. 15, 21-28
  7. Rom. 11, 17.
  8. Jer. 16, 19.
  9. Luc. 13, 29.
  10. Act. 10, 11.