Astronomie populaire (Arago)/XXIII/21

GIDE et J. BAUDRY (Tome 4p. 93-101).

CHAPITRE XXI

de la précession des équinoxes et de la nutation de l’axe de la terre


Nous avons vu que l’aplatissement de la Terre marque son influence dans les mouvements de la Lune ; cet aplatissement ne doit-il pas aussi laisser son empreinte dans les mouvements mêmes de notre globe ? C’est ce que démontre l’examen attentif de deux phénomènes dont la découverte fait le plus d’honneur aux astronomes, la précession des équinoxes et la nutation de l’axe de la Terre.

Le lecteur sait que l’équinoxe de printemps est le point de l’équateur que le Soleil rencontre quand il va sur l’écliptique du midi au nord, et que l’équinoxe d’automne est le point diamétralement opposé par lequel passe ce même astre quand il va du nord au midi. Le diamètre aux extrémités duquel se trouvent ces deux points sur la sphère étoilée est l’intersection du plan de l’écliptique avec le plan de l’équateur du monde, ce dernier plan étant mené perpendiculairement à l’axe des pôles autour duquel s’effectuent la rotation apparente de la sphère céleste, la rotation réelle diurne de la Terre. La précession des équinoxes consiste, comme nous l’avons vu (liv. vii, chap. iv), en ce que le diamètre dont nous parlons change tous les ans de 50″,3, par un mouvement dirigé de l’orient à l’occident ; il en résulte que chaque année l’époque à laquelle arrive l’équinoxe du printemps précède d’une certaine quantité celle à laquelle il serait arrivé, si le phénomène dont nous nous occupons n’avait pas lieu. Le mouvement de précession s’exécute parallèlement au plan de l’écliptique, et par conséquent il n’altère pas les latitudes des étoiles ; il modifie les ascensions droites, les déclinaisons et les longitudes (liv. vii, chap. iv), parce qu’il n’a pas lieu parallèlement à l’équateur et que le point de départ des ascensions droites et des longitudes est précisément l’équinoxe de printemps qui varie chaque année.

À cause de la précession des équinoxes, ce ne sont pas toujours les mêmes groupes étoilés, les mêmes constellations qu’on aperçoit au firmament pendant les nuits de chaque saison. Dans la suite des siècles, les constellations actuelles d’hiver deviendront des constellations d’été, et réciproquement.

À cause de la précession des équinoxes, le pôle n’occupe pas constamment la même place dans la sphère étoilée. L’astre assez brillant qu’on nomme aujourd’hui la Polaire, était jadis fort éloigné du pôle ; il s’en retrouvera de nouveau éloigné dans quelques siècles. La dénomination de polaire a été et sera donnée successivement à des étoiles très-distantes les unes des autres, telles que γ et α de Céphée, δ du Cygne, α de la Lyre, ι d’Hercule, α du Dragon, ainsi qu’on peut le voir sur la carte céleste de l’hémisphère boréal (fig. 102). Le mouvement du pôle s’accomplit en 25 765 ans, si on admet 50″,3 pour la valeur de la précession des équinoxes donnée par les plus récentes observations, et 25 870 ans si on prend 50″ pour exprimer la précession en nombre rond.

C’est à Hipparque que revient l’honneur de la découverte de la précession des équinoxes ; il signala toutes les conséquences de ce mouvement avec une parfaite netteté.

Pour expliquer le mouvement de précession, deux théories se présentent à l’esprit ; l’une consiste à supposer, dans l’hypothèse de l’immobilité de la Terre, que la ligne d’intersection de son équateur avec l’écliptique reste fixe et que l’ensemble des étoiles éprouve de l’orient à l’occident un déplacement d’environ 50″ par an. Dans l’autre supposition, l’axe du monde circulerait autour du pôle de l’écliptique en entraînant l’équateur qui lui est perpendiculaire, et dès lors en changeant tous les ans de 50″ la direction de l’intersection de ce plan avec le plan de l’écliptique.

Quand on a eu le malheur, en cherchant l’explication des phénomènes naturels, de s’engager dans une fausse route, chaque observation précise jette le théoricien dans de nouvelles complications. Sept sphères de cristal emboîtées ne suffirent plus à la représentation des phénomènes, aussitôt que l’illustre astronome de Rhodes eut découvert la précession. Il fallut alors une huitième sphère pour rendre compte d’un mouvement auquel toutes les étoiles participent à la fois.

Après avoir arraché la Terre à sa prétendue immobilité, Copernic, au contraire, satisfit d’une manière très simple aux circonstances les plus minutieuses de la précession. Il supposa que l’axe de rotation de la Terre ne reste pas exactement parallèle à lui-même ; qu’après chaque révolution entière de notre globe autour du Soleil cet astre s’est dévié d’une petite quantité ; en un mot, au lieu de faire marcher d’une certaine manière l’ensemble des étoiles circumpolaires à la rencontre du pôle, il fit marcher le pôle à la rencontre des étoiles. Cette hypothèse débarrassa le mécanisme du monde de la plus grande complication que l’esprit de système y eût introduite.

Mais la précession des équinoxes ne s’effectue pas aussi simplement qu’on l’avait supposé avant l’invention des lunettes. Après avoir appliqué aux positions des étoiles les corrections dépendantes de l’aberration de la lumière, Bradley parvint à mettre en évidence des variations consistant en ce qu’une même étoile, après s’être rapprochée du pôle boréal, s’en éloigne ensuite ; il vit que les changements lents observés pour une certaine étoile s’accordaient avec ceux de même nature observés pour toutes les autres. L’illustre astronome pensa que ces variations devaient provenir de ce que l’axe de la Terre éprouvait une oscillation de part et d’autre de sa position moyenne. Cette oscillation périodique a été nommée la nutation.

Voilà donc une nouvelle complication dans la marche de la Terre à travers l’espace dans sa course annuelle autour du Soleil, et sa rotation diurne autour de l’axe de ses pôles.

Fig. 321. — Précession des équinoxes.

Supposons que S étant le Soleil, la courbe MN soit l’écliptique (fig. 321) et EE la ligne équinoxiale ou l’intersection du plan de l’écliptique avec le plan de l’équateur du monde ; menons une perpendiculaire SV au plan MN ; cette perpendiculaire sera l’axe de l’écliptique. Supposons la Terre en T en un moment donné ; menons par le point T une parallèle TV′ à SV ; l’axe de rotation de la Terre sera alors une ligne TP, l’angle V′TP étant la valeur de l’inclinaison de l’équateur terrestre sur l’écliptique ; la ligne E′E′ parallèle à EE sera la trace de l’équateur terrestre dans l’écliptique.

Eh bien, si le phénomène de la précession des équinoxes n’avait pas lieu, lorsque la Terre dans sa course autour du Soleil dans le sens de la flèche ab, reviendrait en T, un an après l’instant d’abord considéré, l’axe des pôles de notre globe se retrouverait en TP. Il n’en est pas ainsi, et c’est là la découverte d’Hipparque. L’axe des pôles terrestres est après un an TP′ ; par conséquent la trace de l’équateur terrestre est nécessairement e′e′, et la ligne équinoxiale ee, parallèle à e′e′, a rétrogradé. En outre, l’angle V′TP′ fait par l’axe des pôles terrestres avec l’axe des pôles de l’écliptique, ne reste pas absolument égal à lui-même. Cet angle tend en moyenne à diminuer quelque peu, à devenir moindre que la valeur observée au milieu de ce siècle ou que 23° 27′ 30″ ; sa variation séculaire est de 48″, par conséquent sa variation annuelle de 0″,48. Mais en outre, cet angle éprouve une variation autour de la valeur moyenne qu’il a pendant un siècle. Il s’écarte tantôt en plus, tantôt en moins de la valeur moyenne d’une quantité qui s’élève jusqu’à 9″,65. Au lieu de décrire sur la sphère étoilée une courbe GH (fig. 322) autour du pôle V′ de l’écliptique dans un temps de 25 000 à 26 000 ans, le pôle P rétrograde en tournant sur une petite ellipse xrys dans l’espace d’environ 18 ans deux tiers ; le grand axe de cette ellipse rs est de 19″,3 et son petit axe xy de 14″,4. Le pôle revient en s chaque fois que le nœud ascendant de la Lune se trouve à l’équinoxe du printemps (liv. xxi, chap. i), et on voit là une analogie de mouvements qui doit faire penser qu’il y a peut-être identité entre les causes qui les produisent. La nutation de l’axe de la Terre consiste en ce que cet axe au lieu d’être dirigé suivant TP l’est successivement suivant les lignes Ts, Tx, Tr, Ty et les lignes intermédiaires. L’angle que fait le plan dans lequel la Lune se meut avec le plan de l’écliptique subit aussi une petite variation. Au lieu d’être constamment 5° 8′ 47″,9 (liv. xxi, chap. x), l’angle que l’axe lunaire fait avec l’axe de l’écliptique est un angle un peu plus grand ou un peu plus petit, comme l’a découvert Tycho-Brahé. Les limites extrêmes sont de 17′ 34″, et la rotation autour de la position moyenne s’effectue deux fois en 29 jours et demi environ. C’est là ce qui constitue la nutation de l’axe de la Lune, tout à fait analogue à la nutation de l’axe de la Terre.

Fig. 322. — Nutation de l’axe de la Terre.

L’attraction universelle rend facilement compte de la rétrogradation des nœuds de la Lune et de la nutation de son axe. En effet, la Lune étant alternativement, dans son mouvement autour de la Terre, plus éloignée et plus rapprochée du Soleil, il en résulte une perturbation évidente qui affecte les éléments de son mouvement. Le calcul basé sur la théorie reproduit toutes les circonstances du phénomène, telles que les donne l’observation.

L’attraction universelle est-elle aussi la force motrice qui, modifiant chaque année la position de l’axe du monde, lui fait décrire en 25 000 à 26 000 ans un cercle entier d’à peu près 47 degrés de diamètre ?

Newton devina que cette force provenait de l’action du Soleil et de la Lune sur les matières qui, dans les régions équatoriales, s’élèvent au-dessus d’une sphère dont le centre coïnciderait avec celui de la Terre, et qui aurait pour rayon la ligne menée de ce même centre à l’un des pôles : ainsi, il fit dépendre la précession des équinoxes de l’aplatissement du globe ; il déclara que sur une planète sphérique aucune précession n’existerait.

Tout cela était vrai, mais Newton ne parvint pas à l’établir mathématiquement. Or, ce grand homme avait introduit dans la philosophie cette règle sévère et juste : ne tenez pour certain que ce qui est démontré. La démonstration des idées newtoniennes sur la précession des équinoxes fut donc une grande découverte, et c’est à d’Alembert qu’en revient la gloire. Il a montré que la partie renflée de la Terre formant une sorte de bourrelet au-dessus de la sphère qui a pour diamètre la ligne des pôles, doit éprouver de la part du Soleil un mouvement rétrograde qui entraîne le reste du globe dans un mouvement général en vertu duquel l’axe polaire revient aux mêmes étoiles en 25 000 à 26 000 ans.

D’Alembert a rattaché aussi à l’attraction la perturbation de la précession découverte par Bradley et que nous avons nommée la nutation de l’axe de la Terre. Il a fait voir que cet axe doit éprouver sans cesse, en vertu de l’action exercée par la Lune sur la partie renflée de notre globe, une oscillation dont la période est exactement égale, comme nous l’avons dit, au temps (18 ans 2/3) que l’intersection de l’orbite de la Lune et de l’écliptique emploie à parcourir les 360 degrés de la circonférence entière.

Ainsi, tandis que le Soleil agissant sur la partie renflée de la Terre produit la précession, la Lune, par une action analogue, produit la nutation. D’Alembert, et après lui Euler, ont donné une solution mathématique satisfaisante du problème de mécanique posé par Newton. Toutefois les deux illustres géomètres avaient entièrement laissé de côté certaines circonstances physiques qui ne semblaient pas pouvoir être négligées sans examen. Laplace a rempli cette lacune. Il a montré que la mer, malgré sa fluidité, que l’atmosphère, malgré ses courants, influent l’une et l’autre sur les mouvements de l’axe de la Terre ou de l’équateur, comme si elles formaient des masses solides adhérentes au sphéroïde terrestre. Ce n’est qu’en tenant compte de cette action que la théorie de la précession et de la nutation devint tout à fait complète. On doit d’ailleurs remarquer que l’action des planètes change continuellement la position du plan de l’orbite de la Terre, modifie son inclinaison sur l’équateur, et tend à donner un mouvement direct aux équinoxes. Le Soleil et la Lune en agissant sur la partie aplatie du globe, changent les lois des perturbations produites par les planètes qui gravitent avec la Terre autour de l’astre radieux.