Assemblée Législative La proposition de rappel de la loi du 31 mai




Notes - Assemblée Législative


J Hetzel (Volume 2p. 220-222).

NOTE 16.

le rappel de la loi du 31 mai
Réunion Lemardelay. — 11 novembre 1851.

Les membres de toutes les nuances de l’opposition républicaine s’étaient réunis, au nombre de plus de deux cents, dans les salons Lemardelay, pour délibérer sur la conduite à tenir à propos de la proposition du rappel de la loi du 31 mai.

Le bureau était occupé par MM. Michel (de Bourges), Victor Hugo et Rigal.

MM. Schoelcher, Laurent (de l’Ardèche), Bac, Mathieu (de la Drôme), Madier de Montjau, Émile de Girardin ont parlé les premiers.

La question était celle-ci : De quelle façon la gauche, unanime sur le fond, devait-elle gouverner cette grave discussion ? Convenait-il de procéder, pour le rappel de la loi du 31 mai, comme on avait procédé pour la révision de la constitution ? les orateurs devaient-ils avoir le champ libre ? ou valait-il mieux que l’opposition, gardant dans son ensemble le silence de la force, déférât la parole à un seul de ses orateurs, pour protester simplement et solennellement, au nom du droit et au nom du peuple ?

La question de liberté devait-elle primer la question de conduite ?

— Oui, dit M. Charras avec chaleur, oui, la liberté, la liberté tout entière. Laissons le champ libre à la discussion. Savez-vous ce qui est advenu du libre et franc-parler sur la révision ? Les discours de Michel (de Bourges) et de Victor Hugo ont porté partout la lumière. Une question dont les habitants des compagnes, les paysans, n’auraient jamais connu l’énoncé, est désormais claire, nette, simple pour eux. Liberté de discussion ; en conséquence, liberté illimitée. J’en appelle à M. Victor Hugo lui-même ; ne vaut-elle pas mieux que toute précaution ? Ne l’a-t-il pas recommandée quand il s’est agi de la révision de la loi fondamentale ?

M. Dupont (de Bussac) soutient un avis différent : — Agir ! n’est-ce pas le mot même de la situation ? Est-ce que la discussion n’est point épuisée ? Ne faisons pas de discours, faisons un acte. Pas de menace à la droite ; à quoi bon ? Dans de telles conjonctures, la vraie menace c’est le silence. Que l’opposition en masse se taise ; mais qu’elle fasse expliquer son silence par une voix, par un orateur, et que cet orateur fasse entendre contre la loi du 31 mai, en peu de mots dignes, sévères, contenus, non pas la critique d’un seul, mais la protestation de tous. La situation est solennelle ; l’attitude de la gauche doit être solennelle. En présence de ce calme, le peuple applaudira et la majorité réfléchira.

Après MM. Jules Favre et Mathieu (de la Drôme), M. Victor Hugo prend la parole.

Il déclare qu’il se lève pour appuyer la proposition de M. Dupont (de Bussac). Il ajoute :

« La responsabilité des orateurs dans une telle situation est immense ; tout peut être compromis par un mot, par un incident de séance ; il importe de tout dire et de ne rien hasarder. D’un côté, il y a le peuple qu’il faut défendre, et de l’autre l’assemblée qu’il ne faut pas brusquer.

M. Victor Hugo peint à grands traits la situation faite à l’avenir par la loi du 31 mai, et il la résume d’un mot, qui a fait tressaillir l’auditoire.

Depuis que l’histoire existe, dit-il, c’est la première fois que la loi donne rendez-vous à la guerre civile.

Puis il reprend :

Que devons-nous faire ? Dans un discours, dans un seul, résumer tout ce que le silence, tout ce que l’abstention du peuple présagent, annoncent de déterminé, de résolu, d’inévitable.

Montrer du doigt le spectre de 1852, sans menaces.

Il ne faut pas que la majorité puisse dire : On nous menace.

Il ne faut pas que le peuple puisse dire : On me déserte.

M. Victor Hugo termine ainsi :

Je me résume.

Je pense qu’il est sage, qu’il est politique, qu’il est nécessaire qu’un orateur seulement parle en notre nom à tous. Comme l’a fort bien dit M. Dupont (de Bussac), pas de discours, un acte !

Maintenant, quel est l’orateur qui parlera ? Prenez qui vous voudrez. Choisissez. Je n’en exclus qu’un seul, c’est moi. Pourquoi ? Je vais vous le dire.

La droite, par ses violences, m’a contraint plus d’une fois à des représailles à la tribune qui, dans cette occasion, feraient de moi pour elle un orateur irritant. Or, ce qu’il faut aujourd’hui, ce n’est pas l’orateur qui passionne, c’est l’orateur qui concilie. Eh bien ! je le déclare en présence de la loi du 31 mai, je ne répondrais pas de moi.

Oui, en voyant reparaître devant nous cette loi que, pour ma part, j’ai déjà hautement flétrie à la tribune, en voyant, si l’abrogation est refusée, se dresser dans un prochain avenir l’inévitable conflit entre la souveraineté du peuple et l’autorité du parlement, en voyant s’entêter dans leur œuvre les hommes funestes qui ont aveuglément préparé pour 1852 je ne sais quelle rencontre à main armée du pays légal et du suffrage universel, je ne sais quel duel de la loi, forme périssable, contre le droit, principe éternel ! oui ! en présence de la guerre civile possible, en présence du sang prêt à couler… je ne répondrais pas de me contenir, je ne répondrais pas de ne point éclater en cris d’indignation et de douleur ; je ne répondrais pas de ne point fouler aux pieds toute cette politique coupable, qui se résume dans la date sinistre du 31 mai ; je ne répondrais pas de rester calme. Je m’exclus.

La réunion adopte à la presque unanimité la proposition de M. Dupont (de Bussac), appuyée par M. Victor Hugo.

M. Michel (de Bourges) est désigné pour parler au nom de la gauche.