Art et pornographie/Partie I

Art et pornographie Voir et modifier les données sur Wikidata
Bloud et Cie Éditeurs Voir et modifier les données sur Wikidata (p. 3-31).

I

LES FRONTIÈRES DE LA PORNOGRAPHIE

Du 20 au 24 mai 1908, sous la présidence de M. le sénateur Bérenger, un important congrès a été tenu à Paris pour protester contre le développement que prennent chaque jour les publications pornographiques et pour aviser aux moyens pratiques de mettre un frein à ce développement. M. Barboux, M. de Larmazelle, M. Marc Sangnier sont venus tour à tour faire avec éloquence le procès des pornographes et le président de la Société des Gens de lettres, M. Georges Lecomte, dans une allocution dont nous aurons à parler plus loin, a tenu à apporter la protestation officielle des écrivains français contre les industriels en malpropreté littéraire. Cependant tous les orateurs, en particulier M. Barboux et M. Georges Lecomte, n’ont pu s’empêcher, tout en condamnant ce que ce dernier appelle des « livres infâmes », de marquer qu’ils ne voulaient nullement atteindre ce que tous appellent « les légitimes libertés de l’art », et, à entendre M. Georges Lecomte, il était facile de s’apercevoir que ces libertés légitimes s’étendaient bien au delà des limites que leur avaient assignées, avec M. Barboux, la plupart des membres actifs du congrès.

Cette divergence de vues étonnera moins, si l’on veut bien reconnaitre l’extrême difficulté qu’il y a à discerner dans une œuvre d’art ce qui est condamnable et doit être réprouvé par tout honnête homme, de ce qui est excusable, tolérable ou même, quoique déconcertant au premier abord, peut être tout à fait louable. Rien ne sera plus propre à faire sentir toute la difficulté de la question que d’essayer d’opérer ce discernement, de délimiter les frontières en deçà desquelles on n’a pas le droit de porter une condamnation rigoureuse et sans nuances, au delà desquelles règne sans conteste la pornographie. Car enfin, avant de condamner des livres et des dessins sous le chef de pornographie, encore faut-il bien savoir ce que c’est que la pornographie et jusqu’où s’étend son incontestable domaine.

I

La révolte contre la pornographie.

Depuis que la liberté de la presse est entière en France, par conséquent depuis 1881, l’appétit du gain a poussé un nombre de plus en plus grand d’auteurs et d’éditeurs à offrir au public des publications destinées à satisfaire les plus bas instincts. Cartes postales, journaux illustrés, romans avec ou sans illustrations ont abondé et surabondé. Les titres plus ou moins suggestifs de ces publications s’étalent sur des affiches, les gravures les plus scabreuses sont en bonne place à la montre des kiosques de journaux, les premières pages des livraisons illustrées sont distribuées à profusion sur les boulevards ; les enfants, les jeunes filles doivent presque inévitablement s’y salir les yeux, et leur bon marché met toutes ces publications à la portée de toutes les bourses. Ces productions sont achetées à Paris par les étrangers qui en sont très friands, et composent la plus grande partie de leur clientèle, elles se répandent hors des frontières et, pour comble, il s’est créé à l’étranger, en Belgique, en Hollande et surtout en Allemagne, comme de vastes usines où se fabriquent, écrits dans notre idiome national, ces « livres infâmes » dont parle M. Georges Lecomte, où des industriels sans pudeur mettent à d’ignobles images des titres français, pour leur donner comme une sorte de cachet parisien, démenti d’ailleurs par l’exotisme et l’incorrection des termes.

Et ces denrées fabriquées par de vertueux étrangers, ne s’écoulent pas en France, elles s’écoulent à l’étranger, mais contribuent encore à augmenter notre renom d’immoralité et portent ainsi le plus grand tort à la véritable littérature nationale, au véritable art français. Nous apparaissons comme les grands fournisseurs de la pornographie mondiale et « livre français », — « gravure française », ont fini par devenir synonymes de mauvais livre, de gravure indécente et corruptrice. Toute l’hypocrisie vertueuse du monde se voile la face devant le vice français. Cependant nos nationaux ne sont responsables que de la plus petite partie des gravelures qui se vendent sous notre étiquette et ce sont les étrangers qui, en grande majorité, les achètent.

La pornographie fait donc courir à la France un double péril : elle risque de corrompre à l’intérieur une partie de notre jeunesse ; à l’extérieur elle porte atteinte à notre bonne renommée. On conçoit, dès lors, que les moralistes se rencontrent pour la combattre avec les représentants de la Société des auteurs. Les premiers sont plus touchés du péril qui menace les forces vives de notre pays, les seconds sont plus atteints par le discrédit qui frappe trop souvent, à l’étranger, le livre français. Et c’est bien ce souci très net qu’accuse le discours du président de la Société des Gens de lettres auquel nous ayons déjà fait allusion.

Au nom de la Société des Gens de lettres, c’est-à-dire au nom de la très grande majorité des écrivains français, M. Georges Lecomte apporte une très ferme protestation contre l’industrie pornographique qui discrédite dans le monde notre littérature, compromet son rayonnement et porte atteinte à la légitime influence de notre pays.

Nous avons pensé, dit-il, que le dédain silencieux finirait par être une trahison envers l’héritage de gloire littéraire que nous avons recueilli de nos grands aînés, envers tous les artistes qui, à l’heure actuelle, continuent leur œuvre de beauté et de raison, et aussi envers les écrivains de l’avenir pour lesquels nous avons le devoir de maintenir intact le prestige de la langue et de la pensée françaises.

Par un tel acte — très réfléchi — nous venons répudier toute solidarité avec cette abjecte camelote qui n’a rien de commun avec la littérature de chez nous. Nous le faisons moins pour la France — qui ne s’y trompe pas — que pour l’étranger, plus aisément dupe des campagnes perfides et qui, parfois, se laisse entraîner à d’injustes assimilations…

Si méprisées, et même la plupart du temps si inconnues que soient chez nous les vilenies pornographiques, c’est d’elles qu’on se sert avec entrain pour discréditer la littérature française.

Ces livres, nous les ignorons. Comme ils ne représentent ni nos mœurs, ni notre esprit, ni rien qui corresponde à notre existence ou à nos rêves de chaque jour, spontanément nous mettons une frontière entre nous et leur ennuyeuse ignominie. Le jour où les étrangers… déserteraient ces boutiques infâmes, ces bouibouis immondes où le vice crapuleux ne se trémousse que pour leur plaire, toutes ces industries feraient aussitôt faillite, car le Paris qui travaille et qui crée ne les connaît pas.

Aussi avons-nous le droit de nous révolter lorsque, au lieu de se soumettre à la vérité, on nous juge sur des bouquins abjects que nous ignorons, qui ne sont pas faits pour nous, et qui, bien souvent, n’ayant d’apparence française que leur basse parodie de notre langue, ne sont ni écrits, ni imprimés en France.

Et M. Lecomte, après avoir infligé à la pornographie les épithètes de « dégradante, abêtissante, consternante », continue :

Les lettres françaises la signalent au mépris des honnêtes gens de tous les pays. Et désormais les calomnies les plus insidieuses ne vaudront rien contre ce fait qu’un jour la littérature française, lasse de tant d’insultes et d’une solidarité répugnante, s’est dressée, avec colère et avec dégoût, contre la bête immonde.

Il était difficile de mieux marquer l’intérêt, pour ainsi dire, commercial que venait défendre l’orateur. Et il faut convenir que sa qualité de président d’une Société avant tout utilitaire lui en faisait un devoir. Mais M. Georges Lecomte se devait à lui-même et devait aux nombreux écrivains qu’il représentait de ne pas s’en tenir là. Il devait flétrir la pornographie pour elle-même et c’est ce qu’il a fait dans les passages suivants :

Loin d’être une forme de l’art, la pornographie en est la négation la plus cynique. Mais qu’on ne se méprenne pas sur nos intentions ! C’est au nom de l’art, de la beauté, de la fantaisie la plus libre, des études sincères et profondes du cœur, de la forte littérature de vérité humaine et sociale, que nous dénonçons la honte pornographique au mépris des peuples. Nous avons le plus grand souci des libertés légitimes de l’art. Et, au cas où on aurait l’imprudence ou la sottise d’y toucher, on nous verrait debout pour les défendre comme nous sommes debout aujourd’hui pour protester contre une abominable industrie qui corrompt la foule et atteint le prestige de la France…

À l’époque où des magistrats fâcheusement inspirés commettaient l’erreur de poursuivre Madame Bovary, de Gustave Flaubert, menaçaient les Goncourt pour Germinie Lacerteux, beau livre de vérité et de piété, on nous aurait vus devant les tribunaux pour rendre hommage à leur conscience d’artiste en même temps qu’à la noblesse de leur œuvre.

Et pour être bien sûrs que nous nous comprenons les uns les autres, je me fais un devoir de vous dire que, par exemple, une œuvre comme celle d’Émile Zola, si magnifiquement grondante des forces de la nature et de la vie, paraît à la plupart d’entre nous une œuvre très puissante, et dans son ensemble très saine.

En lisant ces protestations, il semble qu’on ne puisse se défendre d’un sentiment d’inquiétude. Certes, il serait difficile d’être moins tendre que ne l’est le président de la Société des Gens de lettres. Mais il éprouve le besoin de marquer que, pour condamner la pornographie, il ne se place pas sur le même terrain que ceux auxquels il est cependant venu apporter l’appui de sa parole et de l’autorité que lui donne sa fonction. Ce n’est pas au nom de la morale qu’il prononce les paroles les plus sévères, c’est au nom de l’art et il fait toutes réserves afin que l’on sache bien que telle occurrence pourrait s’offrir où ses alliés d’un soir et lui-même ne se trouveraient pas du même côté de la barricade. La pornographie qu’il condamne et qu’il combat paraît bien n’être pas celle contre laquelle guerroient M. le sénateur Bérenger et M. le pasteur Comte. Et la question revient obsédante, que nous posions au début : qu’est-ce donc que la pornographie ? À quoi la reconnait-on ? Qu’est-ce qui n’est jamais pornographique, qu’est-ce qui l’est quelquefois, et qu’est-ce qui l’est toujours ?

II

Qu’est ce que la pornographie ?

La première idée qui vient à l’esprit, c’est que le pornographique est la même chose que l’immoral. Mais on voit tout de suite après que beaucoup de choses sont condamnées par la morale qui ne sont ni ne paraissent être pornographiques. Le vol, l’assassinat sont immoraux. Nul ne s’avisera de qualifier de pornographique le récit, le tableau d’un assassinat ou d’un vol. La représentation de ces crimes par l’image ne peut même pas être immorale, car il n’y a d’immoral que ce qui pousse ou ce qui excite à mal faire, et l’image du vol ou de l’assassinat n’offre rien de séduisant qui puisse exciter à la pratique. Il n’en est pas tout à fait de même de la description ou du récit littéraires : l’habile choix des circonstances et des perspectives peut effacer du crime tout ce qui en fait l’horreur, auréoler, pour ainsi dire, le criminel du prestige de l’adresse, de la force ou du courage, rendre ainsi contagieux l’exemple et provoquer l’immoralité. Même alors, cette figuration du mal par la plume ne saurait s’appeler pornographique. Il n’y a pornographie que lorsqu’il y a représentation de certains actes, de certains sujets. Et la racine grecque du mot indique bien le genre de ces sujets. Pornographie veut dire en effet ce qui parle, ce qui traite (graphein, écrire) de la prostitution (pornè, courtisane). Les sujets pornographiques appartiennent donc tous à une certaine catégorie d’actes qui se trouvent suffisamment définis par ce que nous venons de dire.

Cependant le mot a pris dans la langue usuelle une signification restreinte. Il a maintenant un sens péjoratif qui serait injuste si on l’appliquait à des livres graves, rédigés uniquement dans l’intérêt de la science et du bon ordre public. L’auteur d’une histoire des courtisanes, de toute la législation à laquelle ces femmes ont été soumises, de toutes les institutions auxquelles leur existence a donné lieu ne saurait, sans injustice et malgré l’étymologie, être qualifié d’écrivain pornographique, non plus que le sociologue ou le médecin qui étudient les milieux sociaux où la courtisane peut naître, pulluler ou se raréfier, les tares physiologiques qui conditionnent cette profession ou qui en résultent. Un roman même qui dépeindrait la vie et les sentiments de cette catégorie d’êtres humains ne saurait être, pour cela, qualifié de pornographique. Si hardi que soit la Fille Elisa, et bien que ce ne soit pas un livre à mettre entre toutes mains, le roman des Goncourt ne mérite pas la réprobation que comporte cette épithète.

Ce n’est donc pas tant la matière traitée qui donne ou ôte aux écrits le caractère pornographique, c’est, avant tout, la manière de les traiter. Toute chose humaine, si basse et abjecte qu’elle soit, peut être traitée noblement. Et non pas même en l’idéalisant, en la transformant, en la vidant de la pulpe de vie qui fait à la fois sa vérité et sa saveur, mais en lui conservant tout ce qui en fait la réalité et lui donne toute sa portée.

Nonobstant, il faut reconnaitre que l’étymologie du mot nous aide à bien comprendre le sens ignominieux qu’il a pris. Car ce sens est tout à fait en rapport avec la réprobation qui s’attache à la courtisane. On idéalise parfois ce genre de femmes en les transformant en des sortes de prêtresses de Vénus et de l’amour, et, ce faisant, on blasphème l’amour même. Car l’amour n’est pas vénal, car l’amour se dépasse lui-même, il va vers un but sacré, la perpétuité de la race humaine ou du moins l’exaltation des êtres qui s’aiment, le développement de toutes leurs puissances et comme leur transfiguration en beauté. L’amour est fécond, fécond pour la race, tout au moins fécond pour les êtres qui le ressentent, qui en deviennent plus grands, plus beaux et meilleurs. L’amour va toujours aux développements, aux épanouissements de la vie. C’est ce qui en fait la plus admirable force du monde. Et justement la courtisane n’aime pas, elle fait, sans amour, les gestes de l’amour, c’est pour cela qu’elle est mensongère ; elle est stérile, inféconde ; elle détruit, épuise la vie, c’est pour cela qu’elle est vile. Ce sont justement ces gestes d’un corps vidé de son âme, gestes sans signification et sans but, qui sont la matière spéciale de toute pornographie. Le nom est donc profondément juste et très mérité.

Ainsi délimité et déterminé, le pornographique se confond avec l’obscène. Il tomberait alors directement sous le coup de l’article 230 du Code pénal qui réprime « l’outrage public » à la pudeur. Mais un article spécial de ce même Code, l’article 287, est plus spécialement destiné à réprimer « les chansons, pamphlets, images ou gravures contraires aux bonnes mœurs ». Et il semble bien que ce soit précisément ce dernier genre de publications qui mérite vraiment le nom de pornographique. Le pornographique ne serait plus seulement l’obscène, lequel constituerait vraiment une sorte d’outrage à la pudeur, mais il comprendrait en général les publications « contraires aux bonnes mœurs ». Le sens très net, très précis, très déterminé que nous avions trouvé tout à l’heure perd de sa netteté, il devient vague, ses contours s’estompent et se distendent, les frontières de la pornographie, qui tout à l’heure s’arrêtaient après l’obscène, s’étendent maintenant plus loin et paraissent vouloir enclaver tout le vaste, l’immense domaine de ce « qui est contraire aux bonnes mœurs » ; jusqu’où vont donc ces frontières ?

III

La pornographie et les bonnes mœurs.

Qu’est-ce qui est « contraire aux bonnes mœurs » ? — C’est ici que commencent les contestations. Lorsque Madame Bovary fut poursuivie par les magistrats du second Empire, ce qui parut répréhensible, ce furent bien moins les peintures trop vives que les tendances générales du livre. La peinture de l’invincible ennui d’une petite bourgeoise, lectrice de romans et mesquinement élevée, ennui qui la conduit inévitablement à l’adultère, parut une sorte d’apologie de l’infidélité conjugale. On y pourrait tout aussi bien voir, par le suicide d’Emma Bovary, la constatation de la faillite de l’adultère. Mais on n’avait pas encore vu les hypocrisies morales, les mesquineries de la vie bourgeoise, peintes avec cette crudité, étalées avec une telle sincérité âpre. C’était la vie ordinaire, la vie correcte, la vie réputée honorable et comme il faut, c’étaient les bonnes mœurs enfin qui sortaient du livre réprouvées et condamnées. Le livre paraissait donc, et devait paraître « contraire aux bonnes mœurs ». Car, qu’est-ce que les bonnes mœurs ? Ce sont les mœurs courantes, les communs usages, tout ce que l’on voit tous les jours, qui, par conséquent, n’étonne ni ne détonne.

Une société en possession d’une doctrine morale, qui impose à ses adhérents l’observation d’un code moral à la fois ferme et précis, où tous les cas sont prévus, toutes les actions jugées et clairement étiquetées, les unes déclarées bonnes et les autres notées d’infamie, une société en un mot, telle que l’Église catholique, qui revendique un pouvoir de direction et de contrôle sur la conduite de tous ses membres, peut tout juger fermement au nom de la doctrine morale et ne pas s’en rapporter pour apprécier la valeur des mœurs uniquement aux habitudes du milieu social. Elle peut déclarer que telle action conforme aux usages n’en est pas moins immorale ; elle peut affirmer que telle autre est excellemment morale quoique contraire à tous les usages. Elle peut réhabiliter le scandale. Le scandale est, au contraire, dans une société sans doctrine, la seule marque des mauvaises mœurs. La seule règle devient : « ce qui se fait est bien, et ce qui ne se fait pas est mal. » Les magistrats, hommes moyens, appartenant à la moyenne sociale, sont ainsi très bien placés pour juger de ce qui, dans cette moyenne, apparaît comme intolérable. Ce qui est « contraire aux bonnes mœurs », c’est le scandale. « C’est intolérable ! » voilà le principe de tout jugement, la raison dernière de toute condamnation. Les juges ne font qu’extérioriser les jugements de la rue ou des salons.

Et dans nos sociétés détachées, séparées, ou émancipées, comme on voudra, de tout pouvoir spirituel, qui ont mis à la base de leur constitution la neutralité entre les doctrines et par suite l’indifférence à toute doctrine, à vrai dire la négation de toute doctrine, il ne peut qu’en être ainsi. Quand on n’a pas une doctrine sur l’homme, sur le but de la vie humaine, sur la conformité nécessaire des lois et des mœurs au but reconnu, on ne peut avoir que des règles empiriques de la conduite ; c’est la coutume alors, l’habitude qui règle les mœurs, c’est l’accoutumance seule qui permet de dire que quelque chose est bon ou mauvais. Or, nos sociétés assurent qu’elles laissent libres toutes les doctrines, elles ne professent aucune religion, aucune philosophie, car si elles avaient une doctrine quelconque, que deviendrait, je vous prie, la liberté de penser ? Il faut qu’on soit libre de penser comme on l’entend. Il en résulte de la façon la plus nécessaire que chacun doit se croire libre d’agir comme il juge bon. Ceux qui dans leurs actions gênent trop les autres, ou leur font du mal ou simplement dérangent leurs habitudes, sont réprimés. Être tolérable, rester tolérable, tout est là. L’intolérable seul, c’est-à-dire l’exorbitant, le trop clairement inaccoutumé, est condamnable et réprimé. La société n’est qu’un milieu de tolérance.

IV

Les artistes et le public
en face des bonnes mœurs.

Aussi les bonnes mœurs deviennent-elles toutes relatives. L’intolérable, en se répétant, crée une accoutumance et peu à peu devient tolélable. Et au bout d’un certain temps, les mauvaises mœurs deviennent les bonnes mœurs. Bonnes, non pas aux yeux d’une doctrine fixe, non pas même au regard des lois incompressibles de l’organisation sociale et de la nature humaine, mais au regard et au préjugé des gens qui voient ces mœurs, qui les côtoient, qui les vivent. Dans les sociétés païennes où manquait une doctrine des mœurs, où les corps humains se montraient sans voiles dans les jeux et les gymnases publics, les plus étranges pratiques étaient tolérées, parfois même faisaient partie de cérémonies religieuses.

Quand le christianisme eut apporté avec sa doctrine une règle fixe des mœurs, toute cette luxure fut réprouvée et la décence naturelle reprit ses droits. C’est lorsque se produisit, au XVIe siècle, la renaissance païenne, que les artistes firent reparaître le nu dans leurs tableaux et leurs statues. Ils y furent naturellement portés par le souci de l’art et le culte de la beauté. Car pour rendre avec vérité les attitudes et les mouvements, même sous les draperies, il faut que l’architecture du corps se fasse sentir ; c’est le corps qui est la raison d’être de la draperie, c’est donc lui qu’il faut étudier d’abord, dans sa simple nudité. L’étude du nu est ainsi une condition nécessaire de l’art complètement vrai. Or, dès qu’un peintre ou un sculpteur sont mis en présence des formes pures du corps vivant, il leur semble à peu près incontestable que le triomphe de leur art doit être de traduire directement ces formes dévoilées, dans la souplesse vivante de leurs lignes, dans l’harmonie merveilleuse de leur coloris, dans la splendeur de leur libre épanouissement. Et ainsi, peu à peu, absorbés dans leur rêve de beauté, les artistes ne voient plus que des jeux de lignes et de couleurs, des harmonies de formes, où le nu tantôt triomphe et s’étale seul, tantôt est mis en valeur par des étoffes, des accessoires et des draperies. Et le déshabillé se montre à côté du nu.

Mais tandis que les artistes dans leur atelier s’habituent aux nudités et peuvent même très sincèrement n’y voir que des motifs de beauté, le public, qui ne vit pas dans les ateliers, ne laisse pas que d’être surpris par ce que lui montrent les artistes et ne peut que manifester son effarement. Ce qui, pour les artistes, en vertu de leur éducation artistique même et des pratiques de leur métier, n’est pas contraire aux bonnes mœurs, le devient au contraire pour le public. Le nu pour le public demeure toujours plus chaste que le déshabillé : la Source d’Ingres ou même son Odalisque sont infiniment plus chastes que le Dortoir des ouvrières de Fragonard. Ce dernier tableau doit paraître au public un tableau de mauvais lieu ; les connaisseurs cependant n’en sont pas choqués et les artistes l’admirent. C’est que le public est habitué au sens ordinaire que prennent dans la vie les exhibitions et les attitudes, tandis que les connaisseurs et les artistes ne voient presque plus ce sens vulgaire et atteignent directement une autre signification, le sens purement esthétique que prennent les assemblages de lignes, de formes et de couleurs. Et ceci n’est pas pour excuser la polissonnerie évidente des Lancret et des Fragonard, mais pour expliquer comment cette polissonnerie, à cause de l’art admirable qu’elle contient, s’épure, pour ainsi dire et peut arriver à ne plus choquer l’esprit. Les artistes habituent les connaisseurs à de plus grandes hardiesses, les connaisseurs influent à leur tour sur le public et peu à peu finissent par être admises des œuvres qui, à leur apparition, firent scandale. Qui songe aujourd’hui à se scandaliser de la Danse de Carpeaux qui, lors de sa mise en place sur la façade de l’Opéra, excita dans la presse de si vives contestations ?… Dans l’espèce, l’œuvre est vigoureuse, un peu grossière, mais elle n’a rien de libidineux. Alors, cette violence de mouvement, ces corps nus, ces bouches rieuses, toute cette vie débordante fut interprétée par le plus grand nombre des honnêtes gens comme une scène de débauche. Mais, depuis, l’accoutumance s’est faite et avec elle s’est produite la tolérance ; nous en avons vu bien d’autres.

Ce que nous venons de dire des arts du dessin, est aussi vrai des arts littéraires. Les romanciers, les dramatistes, à force de se courber sur les passions de l’homme et sur les ressorts secrets de ses actes, parmi lesquels les passions et les réalités de l’amour sont à la fois les plus violents et les plus communs, finissent par ne voir dans les manifestations les plus grossières de l’amour et même dans la débauche que des cas intéressants et curieux : ils s’y intéressent à cause de leur monstruosité même, et ils éprouvent, après avoir vu, le désir de traduire aux autres Ce qu’ils ont vu. Ils trouvent dans cette expression de leurs visions intérieures le but même de leur art. Initier les autres hommes à la connaissance complète de la nature de l’homme, révéler l’homme à lui-même, c’est évidemment l’objet de l’art littéraire. Or, les violences, les bassesses, les grossièretés, les dégradations et même les aberrations de l’homme font partie de sa nature. Rien n’est étranger à l’art. Il n’y a pas de domaine qui puisse lui être interdit. Ainsi le littérateur ressemble souvent à un médecin qui, absorbé par sa passion scientifique, décrit les maladies, les plaies, les tares, les déchéances de la vie avec une sorte d’amour. Et l’on sait que le langage des médecins est souvent déconcertant pour les non-initiés. Ils parlent de « cas admirables » ou de « belles maladies ». Les littérateurs font de même et trop souvent ils oublient qu’ils sont hommes pour n’être que littérateurs, pour ne parler au public qu’en littérateurs.

De là les malentendus qui se produisent entre les littérateurs et leur public. Flaubert et les Goncourt devaient scandaliser leurs contemporains, Flaubert avait nettement conscience de cette Opposition lorsqu’il s’emportait contre les Philistins. Mais ici encore, comme pour les artistes, l’accoutumance se fait. Peu à peu le public ne se scandalise plus. Vient même un moment où plus rien n’est capable de le scandaliser. C’est ce public qui finit par trouver les artistes trop timides et qui leur demande de pimenter leurs dessins, leurs écrits ou leurs représentations. Ce ne sont pas des dramatistes qui ont voulu que des femmes nues parussent sur quelques scènes, ce sont des impresarios qui savaient par là flatter les goûts du public. Et ce qui se passe en France se passe partout. Il y a peu de temps encore, en Angleterre, on ne tolérait pas le simple maillot, même les femmes acrobates devaient, par-dessus le maillot, revêtir quelque figure de robe ; or, tout récemment, à Londres, une danseuse s’est exhibée dans le rôle de Salomé, vêtue sur sa chair à peu près de ses seuls bijoux ; les spectateurs n’ont pas protesté et au contraire tous les journaux de Londres ont raillé la municipalité de Manchester qui a refusé à l’artiste la permission de danser. Le public s’accoutume et il n’y a pas de limites à son accoutumance, il peut arriver à tout tolérer, il peut même réclamer — il est dans la nature des choses qu’il réclame — des exhibitions que les vrais artistes lui refuseront. Et ainsi, tandis qu’au début ce sort les artistes qui sont plus hardis, il arrive à la fin que le public est plus licencieux que les artistes.

Je parle évidemment des vrais artistes, de ceux qui ont le souci, le culte de l’art et se soumettent à toutes ses lois.

V

Comment lever les malentendus.

Par là, de plus en plus, se fait voir l’incompréhension réciproque des artistes et du public. Ils ne parlent pas le même langage. Les choses n’ont pas pour les uns et pour les autres le même sens. C’est ce qui rend si difficile la question de la moralité ou de l’immoralité de l’art. Et la question de la pornographie se ramène en dernière analyse à cette question. Je citais au début les paroles de M. Georges Lecomte proclamant les droits de l’artiste, réclamant en faveur de la légitime liberté de l’art. M. Georges Lecomte a raison : l’œuvre d’art en soi ne doit être jugée que d’après les lois de l’art, d’après les canons et les normes de beauté. Toute belle œuvre, toute œuvre sincère, toute reproduction de vie n’est pas, ne peut pas être immorale.

Ce qui rend trop souvent libidineuses les œuvres des arts du dessin aussi bien que de la littérature, c’est précisément leur absence de vérité. Tandis que la luxure vraie est toujours brutale et abêtissante, les peintres, les écrivains du dix-huitième siècle la parent de grâces spirituelles et la rendent ainsi aimable, mais aux dépens de la vérité. L’amour vrai, même dans ses plus violents transports, conserve de la retenue et comme une certaine grâce pudique. Nos romantiques ont trouvé le moyen de peindre sans pudeur la violence des actes, l’impétuosité des gestes et d’y joindre les extases spirituelles, tous les extravagants discours des Jacques, des Valentine et des Lélia. C’est ainsi qu’en faussant la nature, en estropiant la vérité, ils rendent le vice aimable, tout comme d’autres, par des moyens symétriques et tout aussi peu consciencieux, en arrivent à rendre la vertu odieuse.

De ces artistes qui peuvent ne faire que se tromper, comme de ceux qui, de propos délibéré, tendent à flatter les passions mauvaises, il n’y a rien de plus à dire, sinon que les premiers pèchent contre la vérité et la beauté, et que les seconds tombent dans la perversité. Les uns et les autres se mettent ainsi hors des conditions normales de l’art. Et ce n’est pas d’eux que nous devons nous préoccuper. Il est toujours relativement facile de montrer dans leurs œuvres mêmes ce par quoi ces œuvres sont fautives et pernicieuses. Mais le cas des vrais et purs artistes est infiniment plus complexe. Quand je vois tel romancier faire annoncer son dernier livre comme une « lecture troublante » qui doit « éveiller toutes les visions lascives de l’Orient » ou d’ailleurs, je suis fixé ; il l’annonce et le proclame lui-même : eût-il du talent, c’est un simple pornographe, il spécule sur les « troubles » et sur les « lascivités » pour débiter son produit. L’art n’a rien à faire avec ce commerce. Mais quand un artiste probe comme un Carpeaux, un Flaubert ou un Huysmans, livrent au public une œuvre sincère, toute pleine de vérité et de vie, et que cependant il paraît à peu près incontestable que l’œuvre n’aura guère sur le public que des effets immoraux, on ne peut s’empêcher d’être perplexe. Car, d’une part, l’artiste a fait œuvre d’art ; telle quelle, pas plus en elle-même que dans l’intention de l’artiste, l’œuvre n’est pas immorale, et cependant il est difficile, il est impossible qu’elle soit comprise par le public, elle est dangereuse, nuisible, socialement condamnable.

Voilà ce qu’il faut bien que les plus déterminés défenseurs de la liberté de l’art comprennent et consentent à entendre. Et c’est ici la source de la divergence que nous remarquions au début entre le discours du président de la Société des Gens de lettres et la pensée des ligueurs auxquels il venait s’unir. Dire d’une œuvre d’art qu’elle est immorale, pornographique, si l’on veut, la poursuivre et la condamner même, ce n’est pas toujours et nécessairement noter d’infamie l’artiste qui l’a produite. Je fais pour ma part, une grande différence entre le romancier dont je citais tout à l’heure l’annonce-réclame et Huysmans, et j’aurais cependant à peu près autant de scrupule à mettre à la portée de tous À vau-l’eau, Là-bas ou En route même, que le roman annoncé comme « troublant » et « lascif ». Et nul cependant n’a plus de respect que moi pour la probe sincérité de l’homme qui, à force de voir les tares humaines et de sentir dans la volupté même son écœurant arrière-goût, en est venu à aimer les beautés pures, les beautés austères et à si bien les aimer qu’il a su muer en beauté l’affreux martyre de plusieurs mois dont la mort seule l’a pu délivrer.

La raison de cette sorte de contradiction entre l’estime que l’on peut professer pour l’artiste et pour son œuvre et les craintes que cependant cette œuvre peut inspirer vient de cette différence que nous avons déjà constatée entre le sentiment pur de l’art, tel que l’artiste peut l’éprouver, et les excitations que l’œuvre d’art fait naître dans le public. On ne peut juger de la même manière une œuvre d’art selon qu’on se place au point de vue unique de la beauté ou qu’on se place au point de vue de l’effet que cette œuvre peut produire sur le public. C’est une parole naïve et que tout démontre être fausse que cette affirmation partout répétée : la beauté ne peut produire que de bons effets, parce qu’il n’y a pas de beauté absolue universellement reconnue par tous comme telle.

L’art est une sorte de langage par lequel l’artiste traduit au dehors ses sentiments par des lignes, par des formes, par des couleurs, par des sons ou par des mots. Si les signes qu’emploie l’artiste étaient entendus par le public dans le sens même qu’ils ont pour l’artiste, il serait vrai alors que toute œuvre belle, en vertu de sa beauté même, ne pourrait qu’élever les âmes. Mais il n’en est pas ainsi : le public sent avec les impressions ordinaires de la vie, ce que l’artiste peut-être exprime avec des sentiments spéciaux, dans le langage propre de l’art. C’est pour cela que les plus chastes nudités peuvent être par le public mal comprises. M. Deherme écrivait un jour : « Aujourd’hui, les statues grecques sont obscènes… J’en ai fait l’expérience dans un milieu ouvrier, où j’ai pu observer des enfants, des jeunes femmes et des jeunes hommes défilant devant un moulage du Discobole[1]. » M. Deherme attribue cette interprétation fâcheuse d’un pur chef-d’œuvre à la corruption des âmes ; il me semble qu’il faut n’y voir que l’incompréhension que je signalais. Pour quiconque ne fait que vivre, Pour quiconque n’a pas reçu l’initiation nécessaire. à la culture dans l’âme des sentiments artistiques, la nudité doit prendre naturellement le sens que, sous nos latitudes, elle revêt dans la vie. C’est pour cela que le sens chrétien la proscrivait des demeures ordinaires, la bannissait des places publiques, et surtout en dérobait la vue aux yeux des adolescents. Le déshabillé a un sens plus net encore. Et les analyses subtiles des romanciers, tout l’art qu’ils déploient, qui leur voile les effets sociaux de leurs œuvres, sont tout simplement entendus par le public comme des raffinements qui relèvent de discrétion les scènes finales et, évitant les détails précis et grossiers, ne laissent que plus libre champ à l’imagination sensuelle. Les ressorts secrets par où l’on explique les passions leur servent d’excuse et la constatation des plaisirs éprouvés par les héros leur donne un attrait de plus. Peu importent même les souffrances, les dégoûts et les rancœurs, la description de la passion porte en elle-même quelque chose de contagieux. On sait l’épidémie de suicides que provoqua Werther, et nul ne saura le nombre de femmes qui ont eu la tête et les sens troublés par la Nouvelle Héloïse et par Valentine.

C’est précisément pour cela, beaucoup plus encore que pour la pornographie véritable de nos auteurs, que les romans français sont suspects à l’étranger. Les plus célèbres roulent presque tous sur l’inévitable adultère, et les plus consciencieux, comme les plus délicats, ont également scandalisé dans beaucoup de leurs écrits les publics non préparés. Cependant nous avons en France toute une autre littérature, saine, forte, vraie, moralisatrice. Les derniers romans de M. Paul Bourget, l’œuvre entier de M. Henry Bordeaux, celui de M. René Bazin, la plupart des livres d’Édouard Rod, une foule d’autres, moins célèbres, pourraient, s’ils étaient mieux connus à l’étranger, donner de notre littérature et de notre vie nationale une idée tout autre et infiniment plus exacte que celle qu’on a puisée dans des livres trop vantés et trop admirés. C’est à faire connaître ces œuvres que l’Action sociale de la femme a consacré son bulletin mensuel bibliographique[2].

Un voit assez que la signification sociale de l’œuvre d’art est quelque chose d’assez différent de sa valeur artistique. Et par conséquent une œuvre pourra être qualifiée du nom de pornographique selon le milieu auquel elle sera adressée. La pornographie, pour le sociologue, se trouve dans les effets sociaux et si trop souvent elle peut exister aussi dans les œuvres, lorsque les auteurs prennent visiblement un plaisir d’ordre sensuel aux images ou aux descriptions qu’ils tracent, lorsqu’ils ont pour but manifeste d’exciter les sens et d’allumer les passions, il se peut qu’elle ne se trouve que dans les effets, que l’œuvre soit pornographique sans que l’auteur soit un pornographe. Le Discobole est pornographique pour les ouvriers observés par M. Deherme.

Faut-il donc poursuivre et proscrire le Discobole ? M. le sénateur Bérenger lui-même ne le voudrait pas. Il faudrait cependant conclure que, si l’observation démontrait que l’immense majorité des spectateurs étaient impressionnés comme les ouvriers, la proscription s’imposerait.

Dès que l’on touche de façon ou d’autre à la passion de l’amour, on est entraîné et on entraîne après soi vers la considération de certaines réalités. Ces réalités de l’amour sont le piédestal nécessaire d’où l’âme peut s’élancer aux plus hautes régions de la vie : la pornographie commence au moment où, au lieu d’être un point d’appui, les réalités deviennent comme des entraves qui enchaînent au sol grossier et empêchent le frémissement des ailes. Au-dessus de la limite immobile, la frontière monte ou s’abaisse selon ce que sont les mœurs. Seule une doctrine fixe de la vie, seule une connaissance exacte des lois de la réaction sociale de l’art pourraient établir des frontières précises. Et si nous avons quelques connaissances psychiques de plus que nos pères, il nous manque ce qu’ils possédaient : une doctrine de la vie. Il y a des coutumes, peut-on dire qu’il y a encore des mœurs, c’est-à-dire des actes approuvés par tous comme bons, d’autres condamnés par tous comme mauvais ? Nous avons le mariage, des restes de pudeur chrétienne : cependant on nous vante l’union libre, le droit des jeunes filles aux expériences amoureuses, le droit à la maternité, le droit à l’avortement, on prêche partout un malthusianisme sans contrainte. Comment pourrions-nous préciser ce qui est ou n’est pas contraire aux bonnes mœurs, quand nous manquons d’une doctrine des mœurs, quand il semble bien que les mœurs elles-mêmes n’existent plus ? Nous aurons beau blâmer la pornographie, en dire les hontes et en maudire les ravages, toutes nos belles paroles, tant que nous n’aurons pas restauré et affermi nos conceptions doctrinales de la vie, ne seront que vaines déclamations. Car nous ne saurons même pas où commence, où finit le mal que nous déplorons. Pour le savoir, il faut connaître exactement l’homme, ses pouvoirs, ses facultés, ses fonctions, ce qu’il doit faire en ce monde, ce que vaut sa vie, comment s’en servir et la propager. Mais cette science, cette doctrine de l’homme sans laquelle il ne saurait y avoir ni mœurs, ni morale, ni aucune appréciation des actes humains, si l’on veut la découvrir et la retrouver, peut-être faudrait-il ne pas éteindre toutes les étoiles.

  1. Coopération des idées, 1er juin 1908, p. 325.
  2. Chez Rialland, rue de la Bienfaisance, 1 franc par an.