Anthologie féminine/Mme Babois

Anthologie féminineBureau des causeries familières (p. 276-278).

Mme BABOIS

(1790-1880)


Poète oubliée, comme le sont la plupart des poètes féminins de notre siècle ; ses vers sont empreints de mélancolie et bien féminins. Ses poésies ont été publiées en recueil, sous le titre : Élégies maternelles, 1803 ; Élégies nationales, 1813.

Le nom de mère, hélas ! qui fit tout mon bonheur,
Ses accents douloureux l’ont gravé dans mon cœur.
Par un dernier effort où survit sa tendresse,
Je la vois surmonter ses tourments, sa faiblesse ;
Ses yeux cherchent mes yeux, sa main cherche ma main.
Elle m’appelle encore et tombe sur mon sein…
Dieu puissant. Dieu cruel, tu combles ma misère !
C’en est fait, elle expire, et je ne suis plus mère !
Il est temps que sur moi la tombe se referme,
Et le comble des maux amène enfin leur terme.
Hélas ! il est donc vrai, je perdrai ma douleur :
Je sens que tout finit, oui, tout, jusqu’au malheur.
Empire de la mort, vaste et profond abîme,
Où tombe également l’innocence et le crime,
De ton immensité la ténébreuse horreur
N’a rien qui désormais puisse étonner mon cœur.
Ma fille est dans ton sein ; ah ! c’est trop lui survivre !
J’ai vécu pour l’aimer, et je meurs pour la suivre.

LE SAULE DES REGRETS

Saule, cher à l’amour et cher à la sagesse,
Tu vis l’autre printemps, sous ton heureux rameau,
Un chantre aimé des dieux moduler sa tristesse ;
Et l’onde vint plus fière enfler ton doux ruisseau.

Sur le feuillage ému, sur le flot qui murmure.
L’amour a conservé ses soupirs douloureux.
Moi, je te viens offrir les pleurs de la nature.
Ne dois-tu pas ton ombre à tous les malheureux ?

Dans ce même vallon, doux saule, j’étais mère !
Mon âme s’enivrait d’orgueil et de bonheur ;
Dans ce même vallon, seule avec ma misère,
Je n’ai que ton abri, mes regrets et mon cœur.

Ma fille a respiré l’air pur de ton rivage ;
Elle a cueilli des fleurs sur ces gazons touffus ;
Ses charmes innocents, les grâces de son âge,
Ont embeilli ces lieux : doux saule, elle n’est plus !

J’aimais à contempler sa touchante figure
Dans le cristal mouvant de ce faible ruisseau ;
J’y trouvais son souris, sa blonde chevelure…
Hélas ! je cherche encore et n’y vois qu’un tombeau !

Cesse de protéger la tranquille sagesse ;
À l’amour étonné retire tes bienfaits.
Je viens, loin des heureux, t’apporter ma détresse,
Sois l’asile des pleurs, sois l’arbre des regrets !


Dérobe à tous les yeux ce douloureux mystère ;
Que ton ombre épaissie enveloppe mon sort ;
Sous tes pâles rameaux, retombant vers la terre,
Enferme autour de moi le silence et la mort.

Dieu ! tu m’entends ; déjà, sur la tige flétrie,
La fleur perd son éclat, la feuille sa fraîcheur ;
Doux saule, tu me peins le terme de ma vie :
Hélas ! tu veux aussi mourir de ma douleur.

Ton aspect dans mon cœur vient d’arrêter mes larmes ;
Ah ! laisse-moi du moins le pouvoir de gémir.
De mes regrets plaintifs rends-moi les tristes charmes ;
Je le sens, il me faut ou pleurer ou mourir.

Lorsqu’assis à tes pieds, sous les vents en furie.
Le sage voit ton front se courber sans effort.
Il pardonne au destin, il supporte la vie :
Apprends-moi donc aussi qu’il faut céder au sort.

Ah ! rends-moi du printemps la fraîcheur renaissante,
Rends à mon cœur flétri ces sons trop tôt perdus ;
Rends-moi les arts, la paix, l’amitié plus touchante.
Mais non, ne me rends rien ; doux saule, elle n’est plus !