Anthologie des poètes français du XIXème siècle/Auguste de Belloy

Anthologie des poètes français du XIXème siècle, Texte établi par (Alphonse Lemerre), Alphonse Lemerre, éditeurtome 1, (1762 à 1817) (p. 384-386).



AUGUSTE DE BELLOY


1815-1871




Le marquis de Belloy, né à Paris en 1815, fut, pour ainsi dire, le frère de lettres du comte Ferdinand de Gramont, avec lequel il resta toute sa vie en fervente amitié.

Il a donné au théâtre Pythias et Damon, la Mal’aria, le Tasse à Sorrente ; mais son œuvre principale tient dans un seul volume dont l’heureux titre révèle l’esprit charmant : Légendes fleuries (1845).

Les plus purs souvenirs de la Grèce antique et du moyen âge apparaissant dans nos idées modernes font de ce petit recueil un précieux écrit.

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L’ÉCOLE BUISSONNIÈRE




Qui n’a fait dans son temps l’école buissonnière ?
Lequel de nous, rêveur, s’il regarde en arrière,
Ne voit, dans le passé, rayonner à ses yeux
Ses premiers jours perdus, oasis radieux ?
Ô retards fortunés sur la pente fatale !
Verts glacis des remparts de ma ville natale,
Rivière des amants, dont le nom m’attirait,
D’où je revins un soir sérieux et distrait,

Gorge des Câpriers, où, mieux que dans Virgile,
Mon cœur s’initiait : aux grâces de l’idylle,
Pins aux larges sommets, chênes verts aux troncs noirs,
Que je vous aime ! Et vous, tranquilles abreuvoirs,
Où viennent à la file, écrasant les pervenches,
Les buffles à l’œil sombre et les génisses blanches.
Ô terre dont émane un air doux et mortel,
Et qui, sous l’œil de Dieu, fumes comme un autel,
Mer d’azur et d’argent, horizon diaphane,
Je t’aime et te bénis, ô Maremme toscane !
Et, pourtant, je l’avoue, il est un autre lieu
À qui j’aurais voulu dire un dernier adieu.
Ô Ciel, exauce-moi, fais-le-moi voir encore,
Qu’un instant mon déclin reflète mon aurore !
Rends ma belle patrie à mes yeux ranimés…
Mais tu m’as entendue : ô jardins embaumés !
Flots naissant de l’Ombrone où le saule se plonge,
Est-ce bien vous encore ?… Oui, ce n’est pas un songe,
C’est un réveil plutôt… Quel bonheur de courir
Sur ces gazons touffus !… Qui parlait de mourir ?


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LES GRAINS DE GRENADE




Ce pays est encor la terre d’autrefois,
Et Rome, son aïeule, en rose s’y reflète.
Fanny, tu t’en souviens : ce village et sa fête,
Cette fille si belle, aux yeux longs et sournois !…

Elle quittait la danse, égrenant sous ses doigts
Une grenade pourpre, et sans tourner la tête,
Semant de grains vermeils son habile retraite,
Nous la vîmes ainsi tourner l’angle du bois.


Tu me vantais son geste et sa fierté romaine,
Quand un jeune danseur, éperdu, hors d’haleine,
Passa tout près de nous, qui marchions à pas lents.

Vers la forêt de pins où bleuit la Durance,
Il suivait les grenats, dans l’herbe étincelants ;
Ta main serra mon bras… Ô jeunesse ! ô Provence !


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Gai passager, sous un ardent soleil,
Je revenais d’un long pèlerinage ;
Douze grands bœufs, lent et vil attelage,
Traînaient la barque où, d’un demi-sommeil,
J’entrevoyais, à l’horizon vermeil,
Ombreux et frais, le terme du voyage ;
Mais rude était le chemin de halage,
Et malgré fouet, cris, jurons redoublés,
Nos bœufs en vain piétinaient essoufflés.
Lors un enfant, qui jouait sur la plage,
Se prit à rire en m’avisant de loin,
Et, détachant bœufs, licous et cordage,
Par un fil d’or, qu’il tendit avec soin,
Sans nul effort traîna tout l’équipage.
« Quoi ! sans effort, déjà ! s’écrie un sage,
Hercule donc n’était rien à ce prix ? »
Ami lecteur, point n’en soyez surpris :
L’enfant c’était l’Amour, ce maître mage,
Et le fil d’or, un cheveu de Cypris.



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