Anonyme - Huon de Bordeaux, chanson de geste/Préface

Anonyme
Texte établi par François Guessard et Charles GrandmaisonF. Vieweg, Libraire-éditeur à Paris (1p. i-liv).

PRÉFACE.


L’antique symbole du serpent dont la tête se replie vers la queue, figurerait assez bien, en ce moment, la destinée du poëme que nous publions. Il y a quelques mois à peine que paraissait, dans une nouvelle Bibliothèque bleue, une dernière rédaction de l’histoire merveilleuse de Huon de Bordeaux, encore une fois remaniée, transformée, rajeunie, si tant est que ce soit là un rajeunissement[1]. Dans le même temps, nous travaillions, en sens inverse, à faire reparaître sous sa forme primitive le texte le plus ancien de cette légende poétique, et voici qu’aujourd’hui ces deux extrémités se rejoignent.

De l’une à l’autre on peut compter au moins six siècles et demi, durant lesquels Huon de Bordeaux et son puissant ami Oberon ont obtenu un succès dont les phases ont été plus ou moins brillantes, mais dont le cours ne s’est jamais interrompu. Suivons-les dans cette longue carrière, où ils ont eu la bonne fortune de rencontrer et d’intéresser en leur faveur, et Shakespeare et Wieland et Weber, ces trois illustres patrons qui ont ravivé leur gloire et lui ont prêté un éclat qu’elle n’aurait jamais eu sans eux. Mais disons d’abord ce qu’ils doivent au vieux trouvère dont ils sont les enfants.

Ce poëte ne nous a fait connaître ni son nom, ni son pays, ni le temps où il vivait. Sur le premier point, nous avons tout sujet de respecter sa modestie ; sur les deux autres, il est assez facile, nous le croyons du moins, de suppléer à son silence.

Il a évidemment composé Huon de Bordeaux à l’époque où la veine héroïque commençait à s’épuiser, où les contes bretons s’emparaient déjà de la faveur réservée jusqu’alors aux chansons de France, où les poëmes d’aventure allaient bientôt remplacer les poëmes historiques ou prétendus tels, c’est-à-dire les chansons de geste. Cette époque, selon nous, comprend la fin du XIIe et les premières années du XIIIe siècle. Notre poëme n’a pas pu être composé beaucoup plus tard ; nous essayerons de le démontrer tout à l’heure ; il n’a pas dû l’être beaucoup plus tôt : le caractère même du récit ne nous semble pas permettre de lui assigner une date antérieure. Qu’on en juge par cette rapide analyse.

Séguin, duc de Bordeaux, est mort depuis quatre ans, laissant deux fils, Huon et Gérard, dont l’aîné est le héros de ce poëme. Les deux jeunes damoiseaux n’ont point encore relevé leur fief, selon le langage du temps ; en d’autres termes, ils ne sont point encore venus rendre hommage à Charlemagne, leur suzerain. Un traître qui convoite leur héritage, Amaury de la Tour de Rivier, les dénonce comme des vassaux rebelles au moment où le vieil empereur, accablé sous le poids des années, songe à faire passer sa couronne sur la tête de son fils Charlot. Charlemagne ne saurait abdiquer avant que son pouvoir soit partout reconnu : il s’apprête donc à punir les fils de Séguin. Mais le duc Naimes, leur oncle, intercède en leur faveur, les excuse sur leur jeune âge, et demande qu’au moins ils ne soient pas condamnés sans être entendus. L’empereur y consent. Huon et Gérard sont mandés à Paris, où ils s’empressent de se rendre. Sur le point d’y arriver, ils tombent dans une embuscade dressée par Amaury, qui a réussi à se faire de Charlot un complice et un instrument. Charlot blesse grièvement le plus jeune des deux frères ; mais il est tué lui-même par Huon. Belle occasion pour Amaury de satisfaire sa haine ! Il laisse Huon poursuivre sa route, et n’arrive qu’après lui au palais de Charlemagne avec le corps tout sanglant de Charlot. « Voici ton fils, dit-il à l’empereur ; voilà son meurtrier », ajoute-t-il en lui désignant Huon.

La colère de Charlemagne est égale à sa douleur. Il veut la mort de Huon, qui cependant n’a fait que tirer vengeance d’un traître ; il le tuerait de sa propre main s’il n’était retenu par le duc Naimes. À la fin, pourtant, abandonné par ses pairs, dont il a refusé d’écouter les représentations et les prières, l’empereur consent à pardonner, mais à quel prix ! En imposant à Huon une mission si lointaine, si étrange, si périlleuse, qu’elle semble à tous un nouvel arrêt de mort.

Huon se soumet à cette terrible pénitence et part pour expier son prétendu crime. Alors s’ouvre devant lui une longue suite d’aventures, une succession de dangers que sa témérité multiplie, mais dont sa valeur ne suffirait pas à le tirer, s’il n’avait intéressé à son sort un protecteur doué d’un pouvoir surnaturel. C’est le nain Oberon, le roi de Féerie, qui s’est pris pour Huon d’une de ces belles amitiés comme on n’en ressent qu’au pays des fées et des bons génies. Grâce à ce petit roi d’une bonté que rien ne lasse, servie par une puissance à laquelle rien ne résiste, Huon parvient à s’acquitter de son message. Il ne lui reste plus que d’en rendre compte à Charlemagne pour rentrer en possession du duché de Bordeaux lorsqu’une trahison de son frère Gérard le replonge dans l’infortune. Mais il est encore une fois sauvé et vengé par Oberon, qui, au dénoûment, le réconcilie avec l’empereur, lui fait rendre son fief et lui promet de déposer dans trois ans sur sa tête la couronne du royaume de Féerie.

Tel est ce récit poétique réduit à sa plus simple expression, et l’on voit bien déjà qu’une invention de ce genre ne constitue pas un monument primitif comme la chanson de Roncevaux, par exemple, ou la bataille d’Aleschans. On le verra mieux encore si l’on mesure, si l’on compare entre elles les trois parties très distinctes et très inégales du poëme. La première s’étend jusqu’au départ de Huon, la seconde raconte son périlleux voyage, la troisième commence à son retour et achève le récit. C’est la seconde partie qui est de beaucoup la plus développée : elle compose près des deux tiers de l’œuvre. Dans l’intention de l’auteur, elle en devait faire le fond, l’intérêt principal, la nouveauté. Or, cette partie n’a d’une chanson carlovingienne que le mètre et les couplets monorimes. Par l’invention, c’est une fantaisie qui, jetée dans un autre moule, eût formé un véritable poëme d’aventures. Elle n’est point encastrée sans art dans la chanson de geste qui lui sert comme de bordure ; mais, pour l’en détacher et pour en faire un ouvrage à part, il eût suffi de trouver une autre cause, un autre prétexte, si l’on veut, au voyage de Huon de Bordeaux. On eût pu, de même, et sans peine, faire un second ouvrage, d’un caractère très différent, avec l’exposition et le dénoûment, en retranchant de cette dernière partie l’intervention d’Oberon, et en substituant au récit fantastique du message de Huon celui d’une pénitence, d’un pèlerinage quelconque qui se serait accompli dans des conditions plus humaines et moins éloignées de la vraisemblance.

Mais l’auteur de Huon de Bordeaux n’a voulu faire, selon nous, ni l’un ni l’autre de ces deux ouvrages. Il s’est proposé d’en combiner, d’en fondre les éléments en une seule composition d’un genre mixte. Il était sûrement de la vieille école ; il appartenait encore à cette famille sérieuse de trouvères qui ne chantaient que les héros et les saints et laissaient à des jongleurs subalternes les récits d’un ordre inférieur[2]. Il s’est donc montré fidèle aux traditions de ses prédécesseurs en choisissant un sujet ou tout au moins un cadre carlovingien, en donnant à son poëme la forme consacrée de la chanson de geste, et en adoptant le mètre de dix syllabes, qui est celui des plus anciennes compositions de ce genre. Mais, en même temps, il nous semble avoir cédé au goût de son époque et aux idées d’une nouvelle école[3], en faisant de son héros un chercheur d’aventures[4] et en introduisant dans son poëme le merveilleux féerique. À ce signe nous croyons reconnaître un contemporain de Chrétien de Troyes, et nous estimons que si notre poëte ne voulait pas suivre jusqu’au bout le novateur, le nouveau jongleur, comme on disait alors, il ne laissait pas cependant de subir son influence et de recourir, dans une certaine mesure, aux mêmes moyens que lui, pour réveiller la curiosité et renouveler l’enthousiasme d’un public un peu blasé par l’histoire rebattue de Charlemagne et des douze pairs.

C’est donc à la fin du XIIe siècle, de 1180 à 1200, dix ans plus tôt dix ans plus tard, si l’on veut, que notre poëme a été composé. Voilà du moins ce qui ressort pour nous de l’étude du récit tel que nous le publions. Pour reculer cette date tant soit peu au-delà de la limite extrême que nous lui assignons, il faudrait admettre l’existence d’un autre récit fort différent, d’une œuvre primitive aujourd’hui perdue, et c’est une supposition que rien ne nous paraît suffisamment autoriser. En quoi nous nous éloignons à regret de l’opinion d’un illustre savant allemand, M. Ferdinand Wolf, qui connaît du poëme de Huon de Bordeaux la version même que nous offrons au public, et qui ne semble pas la considérer comme la plus ancienne[5]. M. Wolf en juge ainsi et suppose une rédaction antérieure d’après quatre fragments d’une traduction ou imitation néerlandaise de Huon de Bordeaux, qui ont été publiés par M. de Wind[6]. Ces fragments en vers sont des débris d’un poëme imité sans aucun doute du français et composé, dit M. Wolf, d’accord sur ce point avec M. Jonckbloet, à l’époque de la décadence de la poésie chevaleresque, c’est-à-dire vers la fin du XIVe ou le commencement du XVe siècle. Mais, ajoute M. Wolf, l’original français qui a servi de modèle à ce poëme devait dater d’un temps où la légende de Huon de Bordeaux était plus intimement unie au cycle carlovingien et plus connue dans ses détails. En effet, les fragments conservés qui se rapportent à la dernière partie du récit, au retour de Huon après ses exploits en Orient, et à la trahison de son frère Gérard, ne racontent pas ces événements comme les rédactions plus modernes et mettent en scène d’autres personnages. Ainsi, ce n’est pas par la violence, mais au moyen d’un breuvage magique que Huon tombe aux mains de ses ennemis, et c’est encore Ganelon qui joue le premier rôle dans cette trahison. Or, on ne le voit pas reparaître dans les versions postérieures, ni lui, ni Ghibrecht, son neveu, ni Grimuwaert, l’enchanteur, ni Steven, Gontiere, Omaer, et Claroen de Gournay, chevaliers et amis de Huon, ni Heinrïet, le voleur, ni Jacke, l’hôtelier, ni Vulcanuut, le fidèle messager qui revient avec Huon, ni enfin ce Muelepas, que Gérard fait baeliu de Bordeaux, et qui était né à Tolède « d’où jamais ne vint bon chevalier ».

Tels sont les arguments sur lesquels M. Wolf appuie son hypothèse, mais sans trop d’insistance, à ce qu’il nous semble. Aussi nous sentons-nous plus à l’aise pour les discuter et pour essayer de les faire servir à une conclusion toute contraire. Remarquons d’abord, et M. Wolf le sait mieux que nous, que plus une légende est ancienne, plus elle est simple. C’est une vérité que confirme notamment l’étude de tous les récits poétiques dont s’est formé le cycle carlovingien : avec le temps ces récits s’allongent, se compliquent, se chargent d’épisodes et de détails accessoires jusque et y compris l’époque où on les traduit en prose. C’est bien plus tard qu’ils se réduisent pour prendre les proportions beaucoup plus modestes sous lesquelles nous les voyons encore aujourd’hui dans les bibliothèques populaires. Or, au premier aspect, ne paraît-il pas que le poëme néerlandais dont il s’agit devait offrir un récit moins simple que celui de la version que nous publions ? Ce neveu de Ganelon, cet enchanteur, ce voleur, cet hôtelier, cités par M. Wolf sont des acteurs dont l’action se passe fort bien dans notre poëme ; ces chevaliers, amis de Huon, nommés dans l’imitation néerlandaise, notre trouvère les désigne seulement par leur nombre et en bloc, comme on en use envers des comparses. Il résulte de là, selon nous, une présomption d’antériorité en faveur de son récit.

Nous croyons aussi qu’un trouvère français n’aurait pas été assez malavisé pour faire revivre Ganelon dans un poëme dont l’action se passe bien longtemps après le désastre de Roncevaux, après ce Waterloo du moyen-âge dont l’histoire lamentable était dans toutes les mémoires, à moins d’imaginer que la version primitive de Huon de Bordeaux fût comme antidatée, de façon à placer les événements qu’elle racontait avant l’expédition du grand empereur en Espagne. Mais pourquoi, en ce cas, toutes les versions postérieures auraient-elles adopté une chronologie différente ? Pourquoi y trouve-t-on des allusions à la mort de Roland ?[7] On n’aperçoit pas la nécessité de ce changement. On comprend très bien, au contraire, qu’un imitateur étranger ait introduit Ganelon, de son chef, dans le poëme de Huon de Bordeaux, comme le type le plus achevé et le plus connu du traître, sans se douter peut-être de la bévue qu’il commettait, ou sans craindre qu’elle lui fût reprochée dans un pays où l’histoire légendaire de Charlemagne n’était pas aussi connue qu’en France.

Le poëte néerlandais avait probablement sous les yeux un modèle qu’il se dispensait de suivre dans les détails, parce qu’il désirait l’embellir au gré de son imagination, comme semble le prouver l’invention du breuvage magique mis en usage contre Huon. Pense-t-on qu’un tel moyen soit plus primitif que la lutte à main armée, et ne faudrait-il pas qu’il offrît ce caractère pour qu’on le pût croire emprunté à une version plus ancienne que la nôtre. Si, au contraire, cette modification semble indiquer une sorte de raffinement, on la jugera plutôt postérieure. Il faut bien remarquer la date que M. Jonckbloet et M. Wolf assignent au poëme néerlandais dont il s’agit : il a été composé à la fin du XIVe ou au commencement du XVe siècle, époque à laquelle il existait au moins deux rédactions du poëme français, celle qu’on va lire, et une autre dont il sera question ci-après. Il ne paraît guère vraisemblable qu’une troisième version plus ancienne et par conséquent délaissée eût eu chance de parvenir à l’imitateur étranger et d’être par lui choisie pour modèle.

Nous persistons donc dans notre sentiment qu’il n’y a pas eu de version de Huon de Bordeaux antérieure à celle que nous reproduisons, et que, telle qu’elle est, cette version ne remonte pas au delà de la fin du XIIe siècle. Il n’est pas possible, d’un autre côté, de la croire beaucoup moins ancienne, et pour deux raisons. D’abord le manuscrit que nous avons suivi de préférence ne paraît pas postérieur à 1250, et ce manuscrit n’est point l’original, puisqu’on y a omis un certain nombre de vers indispensables au sens, qui se retrouvent dans des copies beaucoup moins anciennes. En second lieu, la chronique d’Albéric de Trois-Fontaines fait allusion en ces termes au poëme de Huon de Bordeaux :

« Mortuus est etiam hoc anno (810) Sewinus dux Burdegalensis, cui fratres fuerunt Alelmus et Ancherus, hujus Sewini filii Gerardus et Hugo, qui Karolum, filium Karoli, casu interfecit, Almaricum proditorem in duello vicit, exul de patria ad mandatum regis fugit, Alberonem, virum mirabilem et fortunatum reperit, et cœtera sive fabulosa, sive historica connexa. »

La chronique d’Albéric, on le sait, s’arrête à l’an 1241, et si la critique n’a pas réussi encore à éclairer d’un jour complet l’histoire de ce monument singulier auquel s’appliquent si bien les derniers mots que nous venons d’y relever, il nous paraît établi du moins qu’il fut l’œuvre d’un compilateur vivant dans la première moitié du XIIIe siècle, et contemporain des faits qu’il enregistre, dès l’an 1223 au plus tard. C’en est assez pour permettre de croire que le poëme de Huon de Bordeaux était connu au commencement du siècle.

Nous ne pouvons nous aider d’indices aussi sûrs pour retrouver la patrie du trouvère qui a composé ce poëme. Nous pensons pouvoir affirmer, cependant, qu’il était de l’Artois, et nous irions jusqu’à désigner sa ville natale. C’était, selon nous, Saint-Omer, dont le nom revient trop souvent, et sans nécessité, dans le cours du récit, pour que nous ne voyions pas là comme l’acte de naissance de notre poëte. Dès le début de son ouvrage, après une énumération rapide et générale des chevaliers de tous pays réunis à la cour de Charlemagne, il accorde une mention toute particulière et toute complaisante, ce semble, aux jeunes bacheliers du Cambresis et de l’Artois :

Assés i ot Alemans et Pohiers,
Et Braibençons, Flamens et Berruiers,
Et Loherens, Bretons et Henuiers,
Et Borguignos, Angevins et Baiviers ;
Grant fu la cors des barons chevaliers.
Et des Englois i ot bien .III. milliers,
Et si ot bien .Xm. arbalestiers ;
Li rois Tafurs i fu con chevaliers.
De Canbresis et d’Artois, ce saciés,
En i ot moult de bacelers legiers
Qui volentiers ferroient sour paiens[8].

Ces trois derniers vers, comparés à ceux qui les précèdent, ne marquent-ils pas l’origine de leur auteur ?

Un peu plus loin, le duc Naimes conseille à Charlemagne de prendre du repos dans quelque résidence importante ; il n’a garde d’oublier Saint-Omer :

Alés vous ent à Rains l’arcevesquié,
A Saint Omer, u ens el borc d’Orliens,
U à Paris, en vo palais plenier[9].

Lorsque Huon part pour Babylone, le pape lui donne une lettre de recommandation pour un marin qui a la garde du port de Brindes, et qui s’appelle Garin de Saint-Omer (s’attendrait-on à ce nom ?)

Là trouverés Garin de Saint Omer ;
Ses cousins estes et li miens en non Dé[10].

Plus d’un personnage du poëme ne manque pas de jurer par le cors Saint Omer[11].

Huon de Bordeaux a une cousine qu’il n’a jamais vue et qu’il rencontre au château de Dunostre, où elle est depuis longtemps prisonnière. De quel pays êtes-vous ? lui demande-t-il.

Certes, dist ele, sire, vous le sarés :
Je fui voir née del borc de Saint Omer,
Et si fui fille le conte Guinemer,
Nieche Sewin, de Bordiax la cité[12] »

Dans le cours de ses aventures, Huon voit un jour aborder au rivage lointain qu’il a hâte de quitter, un navire dont l’équipage est français, et voici en quels termes les marins le lui apprennent :

De France sommes, si m’aït Damedés :
Il en i a du bourc de Saint Omer,
Et s’en i a de Paris la chité[13].


Saint-Omer avant Paris !

Plus tard, notre héros est mis en jugement, et parmi les pairs qui délibèrent sur son sort nous en remarquons un qui lui est très favorable, c’est Henri de Saint-Omer[14].

Dans le même temps, le duc Naimes, qui veut sauver Huon d’une mort assurée, a recours à un moyen de droit pour faire au moins ajourner la sentence : « Sire, dit il à Charlemagne, en quel lieu pouvez-vous nous réunir pour juger un de vos pairs ? Je vais vous le dire, si vous ne le savez pas :

Li uns en est al borc de Saint Omer,
Li autres est à Orliens la cité,
Et li tiers est à Paris par verté[15].

Il n’est pas impossible, sans doute, que le hasard ou le besoin de la rime ait fait revenir aussi souvent le nom de Saint-Omer sous la plume de notre poëte. Mais pourquoi la plus ancienne copie de son poëme est-elle écrite en dialecte artésien ? Est-ce encore l’effet du hasard ? Le lecteur en décidera.

Il aura aussi à choisir, pour apprécier la valeur littéraire de cette composition, entre des opinions fort diverses et malaisées à concilier. Voici d’abord ce qu’en pensait l’éditeur de la Bibliothèque des romans, inspiré sans doute par M. de Tressan :

« Quoique la Bibliothèque bleue, dit-il[16], se soit emparée de Huon de Bordeaux, ce roman (l’un des meilleurs de ceux que nous avons classés sous le nom de romans de Charlemagne) mérite mieux que plusieurs autres ouvrages très agréables, que M. ou Mme Oudot ont habillés en papier bleu, d’être connu de nos lecteurs. Ils trouveront que dans la première partie de ce roman la plupart des personnages et des aventures ont une relation intime avec ceux de Charlemagne dont ils ont déjà lu les extraits, et même qu’ils ont trait à ceux de la Table Ronde par le roi de Féerie Oberon, qui joue un rôle dans Isaïe le triste, fils de Tristan de Léonois et de la belle Iseult[17]. »

L’auteur du Discours sur l’état des lettres au XIIIe siècle, qu’on lit au tome XVI de l’Histoire littéraire de la France[18], est loin de goûter les romans de chevalerie et en particulier ceux de Charlemagne et des douze pairs. Il fait exception, cependant, en faveur de Huon de Bordeaux et de Garin de Monglane, qu’il déclare les deux meilleurs de cette classe, et cela d’après la version en prose.

C’est aussi d’après cette version, la seule connue depuis le XVe siècle, que M. Saint-Marc Girardin a apprécié le roman de Huon de Bordeaux, et il n’a point hésité à le préférer au poëme que Wieland en a tiré. L’éminent critique n’a pas fait, il est vrai, une comparaison complète des deux ouvrages ; mais « soit qu’il s’agisse de peindre l’amour de Huon et d’Esclarmonde, soit qu’il s’agisse de donner un caractère et un rôle aux êtres merveilleux, l’imagination naïve du vieux conteur l’emporte, selon lui, sur les grâces de Wieland[19]. »

Il y a grande apparence que Huon de Bordeaux eût encore gagné à être jugé sous sa forme poëtique et originale par des critiques aussi bien disposés ; mais, même sous cette forme, réussira-t-il à trouver grâce aux yeux de M. Charles Nisard ? On en doutera comme nous, lorsqu’on aura lu cette sentence de l’implacable historien des livres populaires :

« J’arrive, grâce à Dieu, dit-il, aux derniers romans des douze pairs, encore aujourd’hui colportés. Si le proverbe qui dit : aux derniers les bons est vrai en général, il s’en faut qu’il le soit ici en particulier ; car je ne pourrais mieux comparer les sensations que j’éprouve à la fin de cette revue qu’à celles des malheureux mis à la torture, lorsque, pour en obtenir des aveux, on augmentait progressivement leur supplice en passant de la question simple à la question composée[20]. »

Certes, M. Charles Nisard n’y va point, comme on dit, de main morte, et à le voir asséner un tel coup, on ne soupçonnerait guère qu’il ait tant souffert. Son arme, nous voulons dire sa comparaison en est toute faussée et hors de service ; car la torture apparemment n’avait rien de volontaire, et quel est donc le bourreau qui a condamné M. Charles Nisard à se faire l’historien de la littérature du colportage ?

Plus sévère qu’Oberon, qui ne semble châtier que pour se donner ensuite le plaisir de pardonner, M. Charles Nisard est sans pitié pour le héros de notre poëme : « La conduite d’Huon, dit-il, n’est pas toujours irrépréhensible. L’amour entr’autres lui fait commettre des sottises qui ne seraient pas pardonnables à un bachelier[21]. »

Il est vrai que Huon commet des sottises, une surtout qui rappelle la sottise commise par Enée dans une certaine grotte voisine de Carthage ; mais l’on ne voit pas que ce genre de sottises ait jamais rien prouvé contre les héros de roman.

Pour nous qui avons transcrit ce poëme, qui en avons comparé les différentes copies, qui en avons lu et relu le texte, comme c’était notre devoir d’éditeurs, nous n’avons éprouvé aucune des souffrances dont la simple lecture de la version en prose a affligé M. Charles Nisard. Loin de là, nous avouerons sans honte, qu’à force de vivre dans leur commerce nous avons fait amitié avec les principaux personnages de notre roman, avec Huon de Bordeaux, avec le vieux Jérôme, avec la belle Esclarmonde, avec Oberon surtout, ce bon petit roi que rappelle si bien la fée Urgande de Béranger :

Enfants, il était une fois
Une fée appelée Urgande,
Grande à peine de quatre doigts,
Mais de bonté vraiment bien grande.

Il nous a inspiré un tel intérêt

.  .  .  .  . ce petit roi sauvage,
Qui tout son tans conversa en boscage,


que le désir nous a pris de rechercher son origine. Oberon était-il une création du vieux trouvère dont nous publions le poëme, ou n’était-il qu’un enfant adoptif de son imagination ? En ce cas, d’où venait-il ? De l’Orient ? De la Germanie ? De l’Armorique ? Telles sont les questions que notre curiosité s’est posées. Nous les avons soumises aux savants les plus compétents, et voici ce que nous avons appris.

L’origine d’Oberon n’est pas orientale. M. Ernest Renan nous a détourné de la chercher dans cette direction. Elle est peut-être germanique. On l’a dit du moins, et répété depuis longtemps en Allemagne, en Angleterre, en France[22]. D’après cette opinion, notre Oberon ou plutôt Auberon (car c’est la forme primitive de son nom), ne serait autre que l’Elberich ou Alberich de l’épopée héroïque allemande. Alberich joue un rôle assez important dans les Nibelungen : il est le chef des nains qui gardent le fameux trésor conquis par Sigefrid ; son principal attribut est une cape qui le rend invisible. Dans une des branches du Heldenbuch, il est roi des nains, habite le Caucase, et c’est chez lui que Wieland (le Galan de nos chansons de geste) apprend le métier de forgeron. Dans une autre branche (Sigenot), un nain qui se dit issu du roi Albrecht, donne au héros une pierre précieuse qui le nourrira, s’il a faim, le désaltérera, s’il a soif. Dans une troisième branche (Laurin), le roi des nains, marche à la tête de soixante mille guerriers qu’il rend invisibles comme il lui plaît ; il s’appelle Walberan (forme bien voisine de celle d’Auberon), et les critiques allemands ne doutent pas de l’identité de Walberan et d’Alberich. Mais c’est dans le poëme d’Otnit qu’il joue le plus grand rôle : il accompagne sans cesse le héros de ce poëme, lui donne des armes merveilleuses, l’aide à conquérir la fille d’un roi païen, etc., etc. Ici le nain est un excellent chrétien. Il reparaît sous les mêmes traits et avec les mêmes qualités dans le poëme de Wolfdietrich, qui est une continuation d’Otnit.

On comprend que ces analogies aient pu faire croire à l’origine germanique d’Oberon[23]. En voici d’autres qui ont conduit M. de la Villemarqué à lui attribuer une origine celtique. Nous reproduisons ces curieux rapprochements tels que nous les devons à sa science et à son obligeante amitié.

« Il y a longtemps, nous écrit-il, que j’ai été frappé de la ressemblance de notre Oberon avec un personnage de la féerie celtique appelé Gwyn-Araun ou Gwenn-Aron : ressemblance de nom, d’abord, car Gwyn signifie blanc (albus, aube)[24], et Araun, qui répond à superus, indique ici, selon toute apparence un être surnaturel, surhumain. Le nom d’Auberon, dans sa première moitié, me paraît traduit de Gwyn ; dans la seconde, il reproduit, avec une légère modification, le mot Aron même, qu’on n’aura pas traduit parce qu’on ne l’aura pas compris, ou qu’on n’aura sû comment le rendre. »

« À cette analogie de nom s’en joignent d’autres plus saillantes :

« Gwyn-Araun est sorti comme un éclair d’un nuage (ab nudd), disent les traditions galloises, et a été nourri par Morgan, la magicienne, la reine des fées. — Notre Auberon aussi est fils de la fée Morgue ou Morgane (c’est la même) ; seulement les romanciers français, qui n’entendaient rien au mythe celtique, ont pensé lui donner l’origine la plus illustre du monde, en ajoutant que Jules César était son père. »

« Gwyn était invoqué par les hommes de guerre dans les plus anciens poëmes gallois, comme « celui qui fait vaincre l’ennemi et procure un large butin, » comme « un chef supérieur à tous les chefs, devant le bras duquel des bataillons entiers tombent plus vite que les joncs coupés par la faux. » (Myvyrian, T. I, p. 165.) — Quel plus grand guerrier qu’Auberon ? Quel roi a plus de soldats à son service ? Qui remporte plus de victoires à son gré ? »

« Et, malgré ce dont il est capable, Gwyn n’a aucune apparence, aucun air belliqueux ; bien au contraire, il n’a pas trois pieds de haut, il est faible et délicat, et sans un cor à chanter (Korn kanu) qu’il porte au cou comme un chasseur qu’il est, on le prendrait pour une jolie petite fille de quatre à cinq ans. — De même, Auberon est un nain d’une merveilleuse beauté : il a l’air d’un chasseur ; à son cou pend un cor d’ivoire qui fait chanter tout le monde. »

« Mais Gwyn n’est pas seulement un petit roi guerrier, c’est le roi des fées et du monde enchanté (Brenin ann doufn), et son cheval, appelé Karn-Groun, peut le porter en un clin d’œil d’un bout de la terre à l’autre. Il a la faculté de se métamorphoser ou de donner sa figure à qui bon lui semble. Il connaît tous les secrets de la nature, et, à l’inspection des étoiles, il a le don de prédire tout ce qui doit arriver. (Myvyrian, T. II, p. 71.) Néanmoins, il n’emploie son savoir qu’à faire du bien aux humains, et il l’a prouvé à la fille du roi Ludd (la Cordelia de Shakespeare), pour laquelle il s’est épris d’un grand amour. Un jour, il voulut montrer son amitié à un saint solitaire nommé Kollenn, et l’invita à venir dîner dans son palais magique. Le saint, malgré trois invitations, hésitait ; il se défiait du génie : « C’est peut-être un diable, » se disait-il. Il se détermina enfin à accepter, et partit, non sans emporter toutefois, par précaution, un flacon d’eau bénite. Arrivé au sommet d’une montagne aride, où habitait le roi des fées, il vit s’élever tout à coup devant lui un palais magnifique, et autour de ce palais apparurent une foule de petits êtres, garçons et filles, d’une beauté incomparable, dansant aux sons d’une harpe qu’un vieux barde tenait à la main. Introduit près du roi, il le trouva assis sur un siége d’or, et Gwyn le pria de prendre place à une table dressée dans la salle : « Tu n’as qu’à le vouloir, lui dit-il, pour que les plats d’or et les coupes de diamant que tu vois vides devant toi, se remplissent à l’instant des mets les plus exquis et des liqueurs les plus douces. — Je ne vois ici que des feuilles sèches, répondit le saint, et n’ai jamais mangé ni bu dans de semblables vases. » Et prenant son flacon d’eau bénite, il le versa sur la table, qui disparut à l’instant avec les vases, avec les coupes, avec le roi et le palais, et la foule joyeuse qui dansait tout autour. »

« Dans cette vieille légende traduite du gallois et publiée en 1805, ne retrouve-t-on pas tous les éléments magiques du banquet d’Auberon, et le palais qui s’élève par enchantement, et la table dressée, et les hanaps qui se remplissent au gré des convives ? »

« De tous ces rapports, ajoute en terminant M. de la Villemarqué, ne conclurez vous pas avec moi que Gwyn-Aron et Auberon, portant même nom, doués du même pouvoir surnaturel et animés de la même bienveillance envers les humains, ne sont originairement qu’un seul et même personnage ? »

À cette question nous n’osons répondre ; mais soit qu’on admette l’origine germanique d’Oberon, soit qu’on incline, comme nous, vers l’origine celtique, on ne pourra se défendre de reconnaître que l’auteur de Huon de Bordeaux a beaucoup ajouté de son fonds à l’invention allemande ou bretonne, et qu’on peut sans scrupule lui faire honneur de l’intérêt qui s’est attaché à Oberon et au jeune preux son protégé.

La meilleure preuve de cet intérêt, nous la trouvons dans l’histoire même de notre poëme, dans les développements qu’il a reçus, dans les transformations par lesquelles il a passé. On ne s’avise pas de continuer, de refondre entièrement, de rajeunir à plusieurs reprises une œuvre qui n’a point réussi. À ce compte, le succès de Huon de Bordeaux fut complet. Au quatorzième siècle, le récit primitif, fidèlement conservé s’était accru d’une suite qui triplait l’étendue de l’ouvrage en le portant de 10,000 vers à près de 50,000. De plus, en tête de ce poëme si prodigieusement augmenté était venu se placer un autre petit poëme, remplissant toutes les conditions d’un prologue, et portant pour titre : Roman d’Auberon, composition étrange dont nous donnerons plus loin une idée[25].

Au quinzième siècle, ou du moins dans des manuscrits de cette époque, deux nouvelles rédactions de Huon de Bordeaux s’offrent à nous. L’une reproduit encore le récit primitif, tel que nous le publions, ou à peu près ; mais elle y ajoute une suite qui diffère entièrement de celle dont nous venons de parler, et par l’invention et par l’étendue[26]. L’autre est une version entièrement remaniée, au moins quant à la forme ; le vers alexandrin y remplace celui de dix syllabes[27]. Cette version contient aussi une suite bien moins considérable que celle du XIVe siècle, mais encore assez développée, puisqu’elle accroît le récit primitif d’environ quatre mille vers.

Après avoir ainsi passé d’un mètre à un autre, l’histoire merveilleuse de Huon de Bordeaux est mise de rime en prose à la requeste et priere de Monseigneur Charles, seigneur de Rochefort, et de Messire Hues de Longueval, seigneur de Vaulx et de Pierre Ruotte. L’ouvrage fut fait et parfait le vinteneufiesme jour de janvier l’an mil .CCCC. LIIII[28]. Les faits et gestes de Huon de Bordeaux et de ceulx qui de luy descendirent y sont fort longuement racontés, et, selon toute apparence, d’après le grand poëme du XIVe siècle dont il vient d’être fait mention[29]. Il n’existe plus, à notre connaissance, de manuscrit de cette version en prose, laquelle ne fut imprimée que soixante-deux ans plus tard, en 1516, par Michel Lenoir[30].

L’édition de Michel Lenoir ne fut pas longtemps la seule : d’autres éditions gothiques furent publiées bientôt après à Paris, à Rouen, à Lyon[31]. Huon de Bordeaux fut réimprimé six fois au moins avant la fin du XVIe siècle. Il n’a cessé de l’être depuis lors jusqu’à ce jour[32].

À ces preuves nombreuses du succès de notre poëme se joignent encore quelques témoignages qui les confirment. Ce sont d’abord des allusions dont la première remonte probablement au XIIIe siècle. L’auteur du poëme de Gaufrey a fait figurer dans le tableau de la famille de Doon de Mayence le duc Seguin et son fils Huon à propos duquel il a rappelé le souvenir du bon roi Oberon. D’après le trouvère, le duc Seguin était le huitième fils de Doon de Mayence :

Ripeus fu le septiesme, qui moult ot de renom,
Qui fu pere Anséis, fix de la suer Kallon,
Et Sevin de Bordele fu l’uitisme baron ;
Pere fu Huelin à la clere fachon
A qui fist tant de bien le bon roi Oberon[33].

Nous retrouvons cette indication généalogique avec d’autres renseignements du même genre dans la dernière rédaction en vers de notre poëme[34]. Au moment où Huon de Bordeaux et son frère se disposent à partir pour Paris, où les mande Charlemagne, leur mère les embrasse et leur parle en ces termes :

Soiés hardis en armes et bien vous deffendés,
Car ainsy a esté toudis vo parentés.
Le bon Do de Mayence qui tant fust redoubtés,
Chilx fust vostre tayon : ressambler le debvés.
.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .
Exemple à vos anchestres bien prendre vous debvés :
Ogier est moult preudhons hardis et redoubtés ;
Vo cousin est germain, à lui garde prendés,
Estout le filx Œudon fust prisiés et loés,
Et Guion de Nantœul et Gerart le barbés,
Qui de Rousillon fust sires et avoués,
Et vo parent aussi le bon roy Caroués,
Et Gondrebœuf aussy qu’en Frise fust fiefvés,
Et Salemon qui fust de Bretaigne casés ;

Frere fust à Seguin qui vous a engenrés.
Je vous prie pour Dieu vo pere ressamblés.

Une autre allusion moins intéressante se lit dans les Chroniques admirables du roy Gargantua[35], sorte de contrefaçon de l’œuvre de Rabelais, qui fut composée vers 1533.

Mais rien n’atteste mieux la vogue soutenue de la vieille épopée, devenue un roman en prose et propagée maintenant par l’imprimerie, que sa transformation nouvelle en une pièce de théâtre. C’est un curieux épisode de l’histoire de notre poëme. Le quatorze décembre 1557 une requête fut présentée au parlement par les « confreres de la passion et resurrection de nostre sauveur et redempteur Jhesus Christ, fondée en l’eglise de la Trinité, rue Sainct Denys..... Ils requeroient qu’il leur feust permis jouer le jeu ja par eulx commancé qui est de Huon de Bordeaulx, qui leur auroit esté differé par la court jusques à la feste de Noel prochaine. »

Cette interruption dans la représentation de Huon de Bordeaux provenait d’une défense du prévôt de Paris, défense dont les confrères de la Passion avaient appelé au parlement, mais dont leur requête n’indique pas le motif. Peut-être le prévôt avait-il craint le scandale que pouvait causer l’amour trop ingénu d’Esclarmonde pour Huon ; peut-être aussi avait-il jugé que le rôle d’Oberon sentait un peu la sorcellerie. En attendant que la cour statuât sur leur appel, les confrères de la Passion, qui avaient fait de grands frais pour monter leur pièce, comme on dirait aujourd’hui, n’en retiraient point le profit qu’ils en avaient espéré, et se trouvaient, à les entendre, dans l’impossibilité d’acquitter certaines taxes qui leur avaient été imposées. « Lesdits suppliants sont poursuivy de paier plusieurs deniers tant pour les fortifications que empruntz, assavoir pour lesdits empruntz la somme de soixante livres tournois et vingt livres tournois pour les fortifications, lesquelles ils ne pourroient paier sans la provision du parachevement dudit jeu. » Ils demandaient donc que la défense fût levée au moins provisoirement. Le moyen qu’ils faisaient valoir était ingénieux : il réussit, et le parlement leur permit de « parachever le jeu commancé, hormis les heures durant lesquelles se celebre le divin service par les eglises et parroisses de ceste ville, et ce le lendemain de la feste de la Nativité Nostre Seigneur et sans scandale[36]. »

Voilà tout ce que nous savons de ce jeu ou de cette pièce qui n’est point parvenue jusqu’à nous.

Trente ans après, dans une facétie publiée sous ce titre : « Les triomphes de l’abbaye des Conards[37] » on lit une allusion au roman de Huon de Bordeaux, qui peut sembler quelque peu irrévérencieuse, mais qui prouve tout aussi bien qu’une autre que le livre n’était point mis en oubli.

D’ailleurs, il fut bien vengé de cette raillerie par l’influence étrange qu’il exerça sur les esprits les plus sérieux, sur des savants, sur des historiens tels qu’André Du Chesne et Guillaume de Catel. Passe encore pour Gabriel de Lurbe d’écrire gravement : « Charlemagne establit Seguin conte et son lieutenant en Guyenne, lequel estoit pere de Huon de Bourdeaus, duquel les romans ont escrit tant de fables[38]. » Mais Du Chesne, qui croit aussi à l’existence de Huon de Bordeaux, sinon à l’histoire de ses faits d’armes[39] ! Mais Catel, qui s’attache à démontrer que Huon de Bordeaux et Hunaud duc d’Aquitaine ne sont pas le même personnage [40], et cela en tirant argument du texte du roman comme d’un texte historique ! N’est-ce pas là un beau triomphe pour notre vieux trouvère ?

M. de Tressan ne se montre pas si crédule dans l’extrait « dû à sa plume toujours ingénieuse et aimable » comme dit l’éditeur de la Bibliothèque des romans. On y lit cette remarque : « Il n’y avoit point de duc de Guienne du temps de Charlemagne ; ce nom même n’était point connu, et le pays s’appelait Aquitaine. Ainsi, il n’y a jamais eu de duc Sevin, ni de comte Huon de Bordeaux, son fils. »

M. de Tressan va un peu trop loin. Il y a eu, en effet, un Sevin ou Seguin ; mais quand on lui trouverait un fils nommé Huon, on n’en serait pas beaucoup plus avancé, puisqu’on apprendrait seulement que l’auteur de notre poëme n’a pas inventé le nom de ces deux personnages. Il n’a pas inventé non plus le nom de Jules César qu’il donne pour père à Oberon. La seule question intéressante serait de savoir si à sa fable se trouve mêlé quelque peu d’histoire en dehors des noms propres, et nous prenons la liberté d’en douter.

L’heureuse fortune de notre poëme sous les formes diverses qu’il prit successivement ne se renferme pas dans les limites de la France. Il fut aussi accueilli avec grande faveur à l’étranger. Outre la version néerlandaise en vers dont il a été question ci-dessus, et dont on n’a plus que quatre fragments, il en existe une autre, aussi en vers et complète, que M. Ferdinand Wolf a fait connaître dans son précieux mémoire déjà cité. Cette seconde version n’est, à ce qu’il paraît, qu’un abrégé assez sec du récit primitif. Elle a été imprimée à Anvers par W. Vorstermann dans la première moitié du XVIe siècle, de 1500 à 1544. La lecture en fut défendue par l’évêque d’Anvers. M. Wolf l’a comparée, chapitre par chapitre, au poëme que nous publions et au roman en prose. Nous ne saurions mieux faire que de renvoyer le lecteur curieux à ce travail du savant secrétaire de l’Académie de Vienne.

Vers le temps où l’on publiait ce poëme flamand, paraissait en Angleterre une traduction en prose des Prouesses et faictz merveilleux de Huon de Bordeaux. C’était l’œuvre d’un écrivain de haut rang, sir John Bourchier, lord Berners, qui avait déjà traduit Froissart et d’autres ouvrages français. Sa traduction de Huon de Bordeaux, faite à la prière du comte de Huntingdon, eut le plus grand succès et devint extrêmement populaire[41]. C’est aujourd’hui un de ces livres uniques que les bibliophiles achètent au poids de l’or. Le Musée britannique ne le possède point, et l’on n’en connaît d’autre exemplaire que celui qui est inscrit sous ce titre au catalogue de la vente Bliss : Huon of Burdeuxe. Here begynnithe the boke of duke Huon of burdeuxe and of them that issuyd fro hym. (Translated by sir John Bourchier, Lord Berners.)[42]

Il a été acquis, à cette même vente, au prix de 19 livres sterling, quoiqu’il ait deux feuillets de moins. Le capitaine Cox n’avait certainement pas acheté aussi cher l’exemplaire de ce livre qu’il possédait, lorsqu’il eut l’honneur de figurer en 1575 devant la reine Elisabeth, dans les fêtes de Kenilworth[43].

Le succès de la traduction de Lord Berners mit Oberon à la mode en Angleterre et l’introduisit partout. Il figure dans le drame de Jacques IV, de Robert Greene. C’est lui qui ouvre la scène sur la tombe d’un mort, lequel sort de son sépulcre, se prend de querelle, puis se réconcilie avec le roi de Féerie et lui fait voir une tragédie. Oberon en revanche, dans les entr’actes de la tragédie, donne au mort son nouvel ami le spectacle de danses et autres divertissements[44]. Spenser, dans son poëme de la Reine des fées, ne se borne pas à chanter Oberon, il lui fait une magnifique généalogie, sous ce titre : Chronique des rois bretons et série des empereurs Elfins. Ce fut Prométhée qui créa Elfe, le premier des Elfins. Elfe épousa une fée dans le jardin d’Adonis, et de cette union naquit une suite de rois : Elfin, Elfinan, Elfinell, Elfant, Elfar, Elficleos, Elferon et enfin Oberon. La gloire et le pouvoir d’Oberon furent immenses ; il mourut laissant pour héritier, par son testament, le beau Tanaquil[45].

Mais la plus grande gloire d’Oberon, c’est d’avoir été adopté par Shakespeare, qui lui a fait jouer un rôle, on le sait, dans le Songe d’une nuit d’été[46]. Shakespeare lui a donné une femme, Titania, qui, pour être reine des fées, n’en a pas l’humeur plus égale. Oberon lui-même a d’étranges fantaisies. De là des démêlés dont les deux époux aériens ne sont pas seuls à souffrir. Sur la terre, les amants ressentent comme le contre-coup de leur désunion, « jusqu’à ce qu’enfin, comme le dit si bien M. Saint-Marc Girardin, la réconciliation d’Oberon et de Titania ramène la paix dans le mobile empire des airs et dans le mobile empire des amoureux »[47].

Nous pensons avec les critiques anglais que Shakespeare a tiré Oberon, pour se l’approprier, du roman de Huon de Bordeaux[48]. Il a connu ce roman par la traduction de Lord Berners ; il y a fait une allusion indirecte dans une autre de ses pièces : Beaucoup de bruit pour rien[49] ; c’est du moins ce que remarque un de ses commentateurs. Il a pu aussi connaître le drame intitulé : Huon de Bordeaux, qui fut représenté en Angleterre dans le temps même où il composait le Songe d’une nuit d’été. Ce drame, qui était peut-être une traduction du jeu joué à Paris en 1557 par les confrères de la Passion, eut au moins trois représentations, comme l’atteste le journal de l’acteur Philippe Henslowe, où l’on lit ces trois articles de recette :


1. Receved at Hewen of Burdoche [50]the 28 of desembr 1593 
 iiij l. x 3.
2. Receved at Hewen of Burdokes the 3 of Jenewary 1593 
  » xxii s.
3. Rd. at Hewen the 11 Jenweary 1593[51] 
  » v s.


Après Shakespeare, Ben-Johnson a aussi mis Oberon en scène dans une de ces pièces de fantaisie que les Anglais appellent masque[52]. Drayton lui a consacré quelques vers dans sa Nymphidia[53]. À une époque bien plus voisine de nous, au commencement de ce siècle, Sotheby a composé une pièce (a masque) intitulée Oberon or Huon de Bordeaux ; mais le sujet en est tiré du poëme de Wieland.

Enfin, c’est aussi en Angleterre qu’a été représenté pour la première fois l’Oberon de Weber. En 1824, le directeur du théâtre de Covent-Garden avait obtenu de l’auteur du Freyschutz la promesse d’une partition nouvelle. Entre plusieurs sujets qui lui furent proposés, Weber choisit celui d’Oberon, que Wieland avait rendu populaire en Allemagne, et qui déjà y avait servi de thème à une composition musicale de Wranistcky[54]. Un libretto fut écrit, et comme de raison en anglais. Mais Weber ne savait pas l’anglais ; il se mit en devoir de l’apprendre, il y consacra un an, employa plus de trois mois à lire la pièce, et n’eut achevé sa partition qu’au bout de dix-huit mois. La première représentation eut lieu le 12 avril 1826 avec un éclatant succès, Weber mourut le 5 juin de la même année. M. Castil Blaze essaya de faire en France pour l’opéra d’Oberon ce qu’il avait fait pour le Freyschutz ; mais son travail n’arriva pas jusqu’à la scène. C’est seulement le 27 février 1857 que l’Oberon de Weber a été représenté pour la première fois à Paris, au théâtre Lyrique[55].

Wieland, qui a fourni le sujet de cet opéra, à quelle source avait-il puisé lui même ? Il a pris soin de nous renseigner à ce sujet dans la préface de son poëme. Il n’a connu du roman de Huon de Bordeaux que l’analyse publiée par M. de Tressan dans la Bibliothèque des romans. On ne voit pas d’ailleurs que Huon de Bordeaux ait jamais été traduit en allemand, ce qui peut sembler étrange quand on songe qu’il y en a eu deux versions néerlandaises en vers. C’est en 1778 que parut l’extrait de M. de Tressan ; c’est en 1780 que fut publié dans le Mercure d’Oberon de Wieland.

Nous ne savons rien de plus de l’histoire de Huon de Bordeaux ; voici, dans l’ordre de leur importance, la notice des manuscrits de ce poëme qui sont parvenus jusqu’à nous.


Ces manuscrits sont au nombre de quatre. Ils sont conservés à Tours, à Paris et à Turin, et renferment trois versions du poëme fort différentes l’une de l’autre. La plus ancienne et la meilleure de beaucoup, celle que nous publions, par conséquent, nous est fournie par le manuscrit de Tours et par l’un de ceux de Paris.


I. Manuscrit de Tours. Bibliothèque de la ville (désigné par la lettre a).

C’est un de ces volumes de petit format et d’exécution très modeste, qui, selon toute apparence, étaient à l’usage des jongleurs. Le parchemin en est grossier, inégal, troué çà et là ou recousu. Les initiales des tirades, à l’exception de la première, ne sont ni ornées ni même coloriées. Il figurerait sans honneur dans un cabinet de riches curiosités ; mais, en revanche, il se recommande fort par son texte, non que ce texte soit de tout point irréprochable ; mais, à part quelques omissions, quelques distractions de copiste, que nous avons signalées et facilement réparées, il est généralement correct et pur. Aussi date-t-il du XIIIe siècle, et très probablement du milieu de ce siècle, époque qui ne nous a guère laissé de mauvais manuscrits.

Il se compose de 173 feuillets et provient de l’abbaye de Marmoutier.


II. Manuscrit de Paris. Bibl. Imp., Sorbonne, 450 (désigné par la lettre b). — C’est un volume in-folio, de 253 feuillets en papier, relié en maroquin rouge, aux armes de Richelieu. L’écriture de ce manuscrit est du XVe siècle. Il contient :

1o Du fol. 1 au fol. 183, la chanson de Lyon de Bourges.

2o Du fol. 184 au fol. 253, le livre de Huelin de Bourdialx et du roy Abron.

Le poëme commence ainsi :

Signour, or faite paix pour Dieu et pour s’ymaige,
Et vous orés chansons qui est de noble ovraige.
Se n’est mie d’Artus ne d’Ialmont le salvaige.

Ne d’Agollant aussi, que tant fist de damaige
Au boin roy Charlemaine, le gentil et le saige ;
Signour, c’est d’un noble homme que fuit de grant linaige
Et que fuit prous az armes et de grant vasselaige,
Et souffrit moult de mal oultre la mer salvaige :
Signour, c’est[56] de Huelin de Bourdialz l’eritaige,
Le filz dou duc Seguin qui fuit cortois et saige,
Qui fist tant de biaulz fait ou tempz de son éaige.
Mais ancor en fist plux Huelin par son bernage,
Ainsi que vous orés ains que moult loing estarge. Etc.

Cette première tirade de quarante trois vers est un préambule qui ne se trouve pas dans la version du manuscrit de Tours. Le début de cette version ne se reconnaît que dans la tirade suivante :

Signour, or escoutez, que Dieu vous puist aidier !
Et vous orés chanson que moult fait à prisier,
Qui est de noble histoire c’on doit auctorisier,
De Huelin de Bourdialz le nobille guerrier,
Que tint toute Bourdelle et le noble heritier,
Et d’Auberon le roy qui bien le volt aidier,
Ensi que vous orez s’on laixe lou noisier,
Ceu fuit à Pantecouste c’on debvoit festiier,
Charle fuit à Paris en son pallais plennier ;
Là tint cour de cez homme, d’Allemans et Bauwier,
Borguignon et Flamant, et avec Hanuiier,
Lorain et Angevins, Bretont et Bairruier. Etc.

La première tirade est tout entière en vers alexandrins, et, comme on le voit, la seconde débute aussi en vers de même mesure ; mais à partir du trente-septième vers de cette tirade, le mètre change brusquement ; le poëme se continue et s’achève en vers de dix syllabes qui sont le plus souvent identiques, sauf l’orthographe, à ceux de la version que nous publions.

Nous avons mis à profit cette rare et précieuse conformité, pour améliorer le texte du manuscrit de Tours aux endroits où il laissait à désirer. C’est ainsi que nous avons pu combler une lacune de trois feuillets vers la fin du poëme, rétablir çà et là un certain nombre de vers omis par le copiste du XIIIe siècle, rendre à quelques vers trop longs ou trop courts leur juste mesure, et corriger coup sûr plus d’une leçon fautive.

Nous avons reproduit le texte du manuscrit de Tours avec toute la fidélité dont nous étions capable. Devions-nous reproduire aussi fidèlement les petits fragments que nous empruntions au manuscrit de Sorbonne ? Il nous a paru que nous pouvions sans inconvénient, pour éviter des disparates choquantes, ramener aux formes habituelles du manuscrit que nous prenions pour type l’orthographe trop souvent bizarre et tourmentée de notre manuscrit auxiliaire. Nous aurions hésité à nous donner cette liberté, si nous avions eu à combler des lacunes plus fréquentes et plus considérables ; mais pour deux cents vers environ que nous a fournis le manuscrit de Sorbonne, nous ne nous sommes point fait scrupule de les modifier un peu, non d’après des règles générales sur lesquelles tout le monde n’est pas d’accord, mais d’après le modèle particulier que nous offrait le manuscrit de Tours, et que le lecteur aura, comme nous, sous les yeux. Les philologues, qui seuls pourraient se plaindre de cette modification, en seront quittes pour ne point extraire de citations des passages d’emprunt que nous avons soigneusement enfermés entre [ ]. Si dans ces passages ils notent quelque forme vicieuse à leur gré, c’est à nous qu’ils doivent s’en prendre. Avertis comme ils le sont, ils se garderont bien sans doute d’asseoir aucune théorie grammaticale sur des fondements d’une solidité aussi contestable.

Le récit primitif, celui du manuscrit de Tours, se termine dans le manuscrit de Sorbonne au fol. 247. Il y a une continuation qui va du fol. 248 au fol. 253, ce dernier lacéré, mais de façon à laisser encore apercevoir une mention finale qui devait être ainsi conçue : Explicit le livre de Huelin et dou roy Aubron.

L’addition au récit primitif commence ainsi :

Oiez, Signour, oiez, que Dix vous soit amis,
Le glorieux Jhesu qui en la croix fut mis !
Oiit avés de l’anffan Huelin,
Comment il fuit fors de France banis,
Comment allait à l’amiralz Gaudisse,
Et comment fuit de son frere trayt,
Et Auberon comment aidier le vint
Et son roialme comment li donnait il.
Jusqu’à .iii. ans li ait li terme mis ;
Paissent li .ii. et avec .i. demy.
Le terme aproche qu’Auberon li a mis :
Per tant ferait coronner Huelin
En la chaiere de Faierie assis.

III. Manuscrit de Turin. Bibliothèque de l’Université, H, II, i i (XIV siècle).

La version que renferme ce manuscrit, dont on trouvera la description dans le catalogue de Pasini[57], est plus longue des deux tiers que celle du manuscrit de Tours. Le premier tiers du poëme est entièrement conforme pour le fond et se rapproche beaucoup pour la forme du texte que nous publions, à ce point que les deux vers de la troisième tirade qui sont alexandrins dans le manuscrit de Tours conservent la même mesure dans celui de Turin. Mais à partir du feuillet 352, tout est addition dans la version de Turin.

On pourra juger aisément de cette conformité et de cette différence par le spécimen ci-après et par les rubriques qui entrecoupent le récit.

On lit au fol. 297 ro. :

Chi conmenche li roumans du roi Auberon et de Huon de Bordele et du roi Charlemainne :

Signeur, oiés (que Jhesu bien vous fache,
Li glorieus qui nous fist à s’ymage !)
Bone canchon estraite del lignage [58]
De Charlemainne à l’aduré corage.
Et de Huon de Bordele le large,
Et d’Auberon le petit roi sauvage,
Qui tout son tans conversa en boscage.
Cil Auberon, qui tant ot vasselage,

Sachiés qu’il fu fils Julien Chesare,
Qui tint Hongrie, une cité sauvage,
Et Osterice et trestout l’yretage.
Constantinoble tint il tout son éage ;
.VII. liues grans fist faire entor murage
Qui va entor dusqu’à la mer sauvage.
Jules ot femme une fée mout sage,
Morgue ot à non, moult ot cler le visage ;
Cele fu mere Auberon le sauvage.
Huimais orrés canchon de fier lignage.
Signeur, oiés, que Dix vos puist aidier !
Si faites pais et laissiés le noisier,
S’orrés canchon qui moult fait à prisier.
De Charlemaine qui France ot à baillier,
Et de Huon, le nobile guerrier,
Et d’Auberon, le noble chevalier.
En son estant n’ot de lonc que .iii. piés,
Et s’ert faés, de vreté le sachiés.
Ce fu à Penthecouste, .i. haut jor enforcié,
Que à Paris tint cort Karlemaine li fiers.
Assés i ot Alemans et Baiviers,
Et Loherrens, Bretons et Hainnuiers,
Et Braibenchons, Angevins et Pohiers ;
Grans fu la cors des barons chevaliers.
Et des Engles i ot bien trois milliers ;
Li rois Tafurs i fu com chevaliers.
De Cambresis et d’Artois, ce sachiés,
En i ot mout de bachelers legiers
Qui volentiers ferroient sor paiens.
Li rois a fait sa grant table drechier,
Entre ses pers s’est assis au mengier ;
Mais li douzismes fu Hues au vis fier,
Cil do Bordiaus dont je veul commencier.....

Voici les rubriques du poëme :

Fo 306 ro. Ensi com Hues se combati à Amauri de Viesmés pour le mort Charlot.
Fo 312 vo. Ensi com Hues s’en aloit en Babiloinne et comment il s’acointa de Jeraume qui estoit hermites.
Fo 316 ro. Ensi conmes Hues s’acointa du roi Auberon ens ou bos de Faerie.
Fo 317 ro. Ensi comme li rois Auberons fist le castel de Faerie ens ou bos pour donner Huon à maignier et se compaignie, et se li donna sen cor d’ivoire et sen hennap.
Fo 321 vo. Ensi que li rois Auberons secouru Huon à Tournem, que ses oncles vouloit moudrir.
Fo 325 ro. Ensi que Hues vint au chastel de Dinostre et conment il tua le gaiant c’on apeloit l’Orguilleus, et comment il conquist le bon haubert.
Fo 326 vo. Ensi comme li rois Auberons envoia Malabron pour porter Huon outre la mer.
Fo 333 vo. Ensi comme li rois Auberons secouru Huon en Babiloigne et li aida Gaudisse l’amiral à tuer.
Fo 338 vo. Ensi que Hues fu varlés dou menestrel et que Ivorins le fist asaiier au jeu des ekiés contre sa fille.
Fo 344 ro. Ensi comme Hues retrouva Esclarmonde, sa femme, et Geraume et sa gent que li roys Galafres tenoit, qui menoit guerre contre Ivorin de Monbranc, oncle Esclarmonde.
Fo 347 vo. Ensi que Gerars traii Huon son frere et Esclarmonde sa fame et Geraume et les enmainne en Bourdiaus en prison.
Fo 352 vo. Ensi comme Hues et Esclarmonde et Geraumes estoient en Bourdiaus emprisoné, et que Karles le voloit prendre, et ensi que li rois Auberons y souhaida sa table et les souscourut entre lui et sa gent.
Fo 356 vo. Ensi que Hues vint à Coulongne et tua Raoul, le neveu de l’empereur, qui servoit au diner devant son oncle, pour Esclarmonde sa femme.
Fo 361 vo. Ensi que li grifons enporta Huon qui estoit à l’aymant arestés.
Fo 364 vo. Ensi que Hues parla à Cayn qui estoit ou tonnel.
Fo 372 ro. Ensi comme Hues vint à Monmur, à la mort Aberon, querre son roiaume et sa dingnité que Auberons li avoit proumis.
Fo 379 vo. Ensi que li rois Garins d’Arragon vaut faire noiier Clarisse, la fille le roy Huon de Bourdele, et comment Pieres li viés quens le secourut.
Fo 387 ro. Ensi que li rois Hues de Bourdiaus se souhaida devant Arragon pour faire le mariaige de sa fille et de Flourent d’Arragon.
Fo 394 vo. Ensi que Ydes, fille Flourent d’Arragon, espousa Olive, le fille Otheviien l’empereur de Rome[59].
Fo 401 vo. Ensi que li royne Esclarmonde s’agiut à Bordiaus d’un fill qui ot à non Godins, et comment li roys Hues le reconforta.
Fo 402 ro. Ensi que li aumachours de Roches embla Godin à Bordiaus et l’emporta par mer.
Fo 410 vo. Ensi con Sarsapon et li gent le roi Godin se combatirent as traïteurs à le haie.
Fo 418 vo. Ainsi conme Dinos et li gent le roi Godin se combatirent à Seguin et as traïteurs.
Fo 424 vo. Ensi con Brunos se combati à Herkembaut et as traïteurs qui voloient grever Godin.
Fo 431 vo. Ensi conme Gornaut se combati à Rohart et as traïteurs.
Fo 448 vo. Ensi conme li rois Godins issi de Roal à bataille contre le roi Gibuin.
Fo 444 vo. Ensi que li rois Bondifers feri es trés le roi Trompart et fist bouter le feu ens.
Fo 447 ro. Ensi que li roys Bondifers se combati contre les traïteurs pour l’amour dou roi Godin.
Fo 453 vo. Ensi que li roys Godins se combati à Regnier et à trayteurs.
Fo 457 ro. Ensi que li roys Hues de Bourdiaus se souhaida devant Rochel quant il rala secourre le roy Godin sen fill.
Fo 460 ro. Ensi que li roys Hues qui est sires de Monmur mist à fin les trayteurs qui weriioient Godin sen fill.

Derniers vers du poëme :

Dou petit roi avés oï assés,
Et de Karlon le fort roi couronné,
Et dou roi Hue comment il fu faés,
Et des enfans comment il ont esré,
Ydes morut et Croissans li membrés ;
Il n’est nus hons qui plus en puist chanter,
Qui la matere n’en voet dou tout fausé.
Dix nos doinst bien qui l’avons escouté,
Explicit chi, je n’en sai plus parler.

Dans le même manuscrit et en tête du poëme de Huon de Bordeaux, se trouve le Roman d’Auberon tout à fait distinct du poëme, auquel cependant il sert de prologue.

Le Roman d’Auberon commence ainsi au fol. 283 du manuscrit

Ch’est li commencemens dou roumant d’auberon, ainsi que ses aves Judas Machabeus fu assis a Macabe dou roi Bandifort :

Des biens oïr et retenir vient preus,
Et chius qui est del dire scienceus
A son pooir dire le doit à ceus
Que li oïrs puist estre pourphiteus.....
Despuis cel tans que fu vivans Noeus
Ne fu trouvés ne ja n’ert hons carneus
Plus frans de cuer que Judas Machabeus.....

L’amiral Bandifort vient attaquer Judas dans Macabe ; mais Judas le tue et met son armée en fuite. Fo 284. — Les Sarrasins lui envoient un message pour se soumettre et lui offrir en mariage la fille du roi vaincu. Judas accepte. — Noces de Judas Machabée. — Il a une fille nommée Brunehaut. — Quatre fées viennent à sa naissance lui faire leurs souhaits. La première lui donne la beauté ; la deuxième une existence de 300 ans ; la troisième prédit qu’elle ne vieillira pas après trente ans et pourra tout ce qu’elle voudra ; mais la quatrième qu’elle sera enchantée, et, qu’à sept ans de là elle partira en faerie sans pouvoir à l’avenir voir ses parents ni leur parler. — En effet, sept ans après, un grand cerf emporte Brunehaut dans un bois. — Judas cherche sa fille et la retrouve. Fo 285. — Après bien des aventures merveilleuses, Brunehaut épouse Césaire et devient mère de Jules César. Fo 288. — Jules César va avec Brunehaut à la cour du roi Artus et est aimé de Morgue, sœur de ce roi. F° 289. — Jules César épouse Morgue, et en a deux fils : Saint-Georges et Auberon. F° 290. Les fées viennent les doter à leur naissance. Auberon est condamné à être grand de trois pieds, sans plus. — Amours de Georges avec la fille d’un roi Persan. — Son mariage avec elle. Fo 294. — Auberon au tournoi — Il est vainqueur de tous les chevaliers à la cour du roi Artus. F° 295. — Le géant Orgueilleux enlève Auberon pendant son sommeil ; mais Auberon avait la faculté de se transporter partout où il voulait : il se souhaite donc dans son palais de Monmur et va entretenir Brunehaut de ses malheurs. F° 296. — Brunehaut lui promet qu’il retrouvera son haubert qu’on lui a pris et qu’il sera vengé du géant :

Dedens Bordiaus est hui uns enfes nés,
Fieux est Seuwyn qui tant est renomés,
Chambrelans iest Charlemaingne le ber....
Huelins est li enfes apelés,
Vos acointés sera et vos privés.
Vos hiaubers iert par lui reconfortés
Et li géans honnis et vergondés ;
Amés l’en foy, si ferés que senés.

Auberon consent à devenir l’ami de Huon et à le prendre pour allié. — Le poëte enfin raconte les malheurs du comte Guilemer partant pour un pèlerinage en terre sainte avec sa fille — Ils sont assaillis par une tempête. — L’Orgueilleux en profite pour tuer le comte avec tous ses compagnons ; il ne fait grâce qu’à sa fille, qu’il emmène à Dunostre.

Le petit poëme se termine ainsi :

Pour quant o li le covint demourer,
Tristre et dolente et plaine de penser,

Dusqu’à .i. jour que vous dire m’orés
Que Huelins la vint de là gete[r],
Cil de Bordelle qui tant fist à loer.

Comme on le voit, ce petit poëme n’est qu’un prologue du grand Roman d’Auberon et d’Huon de Bordeaux, qui le suit immédiatement dans le manuscrit, prologue fait après coup, mais qui n’est pas sans intérêt. Il montre l’origine de l’amitié d’Oberon pour Huon, il explique la vengeance qu’Oberon veut tirer d’Orgueilleux, et le motif pour lequel Huon pourra devenir l’ennemi du géant. Il nous a paru, cependant, qu’il n’y avait pas plus de raison pour le publier que pour reproduire toutes les continuations du poëme de Huon de Bordeaux.


IV. Manuscrit de Paris. Bibl. Imp., f. fr. 1451 (Cangé, 75356).

Petit in-fol. sur papier, écriture du XVe siècle.

225 feuillets écrits, 14,540 vers environ — incomplet par le commencement. — Le poëme complet pouvait avoir 15,000 vers, c’est-à-dire 4,000 à peu près de plus que la version de Tours. — Voici le début :

« Salués moy le roy où tant de noblesse a
« Et se lui dittes bien, quant vo corps le verra,
« Qu’à lui obayray tout ainsy qu’il vorra. »
Adoncq ung palefroy messagier bailla,
Et .xxx. besans d’or pour son don lui donna,
Et le servit à table et du vin lui versa.
Ou nom du roy Charlon tant d’honneur lui porta
Que quant le roy le sceut durement l’em prisa.

Tout le poëme a été refait ainsi en vers de douze syllabes, car il n’y a pas à penser que cette version soit antérieure à celle que nous publions.

Le passage que nous venons de rapporter correspond à celui qu’on lit ci-après, p. 13 de notre édition, et qui raconte le départ de Bordeaux des messagers envoyés par Charlemagne à la duchesse.

Voici la fin du poème dans ce manuscrit.

Après avoir raconté comment Huon fit sa paix avec l’empereur, le poète ajoute :

Et par icelle paix dont je fais parlement
Fust fais ung mariage, se l’istore ne ment,
De Clarisse la belle et du noble Flourent ;
Mais n’est pas en ce livre, car il prent finement,
Ains est ens ou rommant, par le corps saint Climent,
De Croissant, cilx de Romme qui moult ost hardement,
Qui fust filx à la fille Clarisse o le corps gent,
Qui par le voloir Dieu, le pere omnipotent,
Fust cangiée sa char, le livre le m’aprent,
Et se devint uns homs o gré du sapient[60].
Yde avoit à nom, le mien corps point ne ment,
Si espousa la fille l’empereur vrayement
De Romme le maiour, qui moult ost hardement,
Qui ost nom Béatris, le corps avoit moult gent.
Et de ces deux segneurs dont je fais parlement
Issist le ber Croissant qui tant fust excellent.
Qui moult souffrist de maulx contre paienne gent
Avant qu’i possessa, de terre nullement ;
Mais enfin possessa, l’escripture l’aprent,

De .XIIII. réalmes par son grant hardement,
Ainsy que vous orrés en l’istoire Croissant.

De .XIIII. réalmes cest enfant possessa
Et en fust souverain, ainsy con vous dira
Le livre de Croissant, qui le vous chantera ;
Car cy fine Hulin, plus de son fait n’i a,
Car il le fault finer, longuement duret a.
Cy fine son histore : Dieu qui le mont fourma
Voeulle celluy garder qui bien entendu l’a,
Et aussy ensement qui chanté le vous a.
Et cilx qui l’a escript oublié ne sera :
Jhesus le tout poissant, qui racheté nous a,
A le fin de ses jours, quant il definera,
Le voeulle herbergier en son lieu magesta,
Avieuc ossy celuy qui faire le rouva.

Amen.


La Bibliothèque protypographique de M. Barrois mentionne sous les numéros 1278 et 1691 deux manuscrits de Huon de Bordeaux ; mais on ne sait si ces manuscrits renfermaient le poëme ou la version en prose.



Après ces renseignements que nous devions au lecteur, il ne nous reste plus qu’à laisser la parole au jongleur à qui appartenait sans doute, au XIIIe siècle, le manuscrit que nous publions. On croira l’entendre lui-même en lisant les deux passages où il fait appel à la générosité de ses auditeurs, sur un ton qui devait les mettre en gaité. On remarquera surtout le premier de ces deux passages, qui se trouve (p. 148) à peu près au milieu du récit dont le narrateur remet la suite au lendemain. D’après cette curieuse indication, nous aurions pu intituler notre poème : Huon de Bordeaux, chanson de geste en deux journées.


  1. Paris, Lécrivain et Toubon, 1859, gr. in-8o à deux colonnes. — Il est curieux de comparer cette dernière version à notre poëme.
  2. Cette distinction très intéressante nous est attestée par un curieux passage dont nous devons l’indication à notre savant et obligeant confrère M. Léopold Delisle. Voici ce passage, extrait d’une Somme sur la pénitence (Summa de penitentia), ouvrage du milieu du XIIIe siècle :

    Cum igitur meretrices et histriones veniunt ad confessionem, non est danda eis penitentia, nisi ex toto talia officia relinquant quare aliter salvari non possunt… Set notandum quod tria sunt histrionum genera. Quidam transformant et transfigurant corpora sua per turpes saltus vel per turpes gestus, vel denudando corpora sua turpiter, vel induendo horribiles larvas ; et omnes tales dampnabiles sunt nisi relinquant officia sua. Sunt eciam alii histriones qui nichil operantur sed curiose agunt, non habentes certum domicilium, sed circumeunt curias magnas et locuntur opprobria et innominias (ignominias) de absentibus : tales et dampnabiles sunt, quare prohibet apostolus cum talibus cibum sumere, et dicuntur tales scurre sive magi, quare ad nichil aliud utiles sunt nisi ad devorandum et ad maledicendum. Est tercium genus histrionum, qui habent instrumenta musica ad delectandum homines ; sed talium duo sunt genera : quidam enim frequentant potaciones publicas et lascivas congregationes ut cantent ibi lascivas cantilenas, et tales dampnabiles sunt, sicut alii qui movent homines ad lasciviam. Sunt autem alii, qui dicuntur joculatores, qui cantant gesta principum et vitas sanctorum, et faciunt solacia hominibus in egritudinibus suis vel in angustiis suis, et non faciunt innumeras turpitudines sicut faciunt saltatores et saltatrices et alii qui ludunt in ymaginibus inhonestis, et faciunt videri quasi quedam fantasmata per incantationes vel alio modo. Si autem non faciunt talia, set cantant gesta principum instrumentis suis, ut faciant solatia hominibus, sicut dictum est, bene possunt sustineri tales, sicut ait Alexander papa. Cum quidam joculator quereret ab eo utrum posset salvare animam suam in officio suo, quesivit ab eo papa utrum sciret aliquod aliud opus unde posset vivere. Respondit quod non. Permisit igitur dominus papa quod ipse viveret de officio suo, dummodo abstineret a predictis lascivis turpitudinibus. Notandum est quod omnes peccant mortaliter qui dant scurris vel lecatoribus vel predictis histrionibus aliquid de suo. Histrionibus dare nichil aliud est quam perdere, etc., etc. (Ms. de la Bibl. Imp., Sorbonne, 1552, fol. 91 ro col. 2.) — Ce passage, reproduit en français dans le Jardin des Nobles, ouvrage du XVe siècle, a été cité par M. Paulin Paris. (Manuscrits françois, t. II, p.144.)

  3. En quoi il ne fut pas imité par tous ses successeurs : l’auteur de Doon de Maience, par exemple, est un adversaire déclaré de cette nouvelle école, qu’il maltraite ainsi pour avoir mis en oubli l’une des trois grandes gestes de France :

    Chil nouvel jougléor, par leur outrecuidanche
    Et pour leur nouviaus dis, l’ont mis en oublianche.

    (Doon de Maience, éd. Pey, p. 1.)
  4. C’est le trouvère lui-même qui nous autorise à nous servir de ces termes. Il fait dire à Huon, lorsqu’Oberon lui conseille de ne point aller à Dunostre affronter inutilement les plus grands dangers :

    Car por çou vin ge de France le rené,
    Por aventures et enquerre et trover.
    Une m’en dites que je veul esprover.

    (P. 137.)
  5. Voyez le Mémoire de M. Wolf : Uber die beiden wiederaufgefundenen Niederlændischen Volksbücher von der Kœniginn Sibille und von Huon von Bordeaux. (Mémoires de l’Académie Impériale de Vienne, T. VIII. — Tirage à part, Vienne, 1857, p. 21.)
  6. Nieuwe Reeks van Werken van de Maatschappij der Nederlandsche Letterkunde. 4e partie, Leyde, 1847, in-8o, p. 261-304.
  7. Voyez, par exemple, ci-après, p. 171.
  8. P. 2.
  9. P. 3.
  10. P. 77.
  11. Voyez, par exemple, p. 127.
  12. P. 144.
  13. p. 253.
  14. p. 295.
  15. p. 299.
  16. Bibl. des Romans, avril 1778.
  17. Il est vrai qu’Oberon joue un rôle dans Isaïe le triste ; mais il est vrai aussi que ce roman, dont on ne connaît qu’une version en prose, est très postérieur à Huon de Bordeaux.
  18. P. 178.
  19. Cours de littérature dramatique, T. III, p. 235, éd. Charpentier. — Il faut lire, si on ne l’a fait déjà, le gracieux chapitre où M. Saint-Marc Girardin a justifié son opinion, sous ce titre général : De l’amour ingénu dans les romans de chevalerie.
  20. Histoire des livres populaires ou de la littérature du colportage depuis le XVe siècle jusqu’à l’établissement de la commission d’examen des livres de colportage (30 novembre 1852), par M. Charles Nisard, secrétaire-adjoint de la commission, T. II, p. 533. — Paris, Amyot, 1854, 2 vol. gr. in-8o. — Un écrivain qui avait effleuré le même sujet il y a trente ans, M. Emile Morice, nous paraît avoir jugé plus heureusement le poëme de Huon de Bordeaux. (Voyez la Revue de Paris, t. XXIV, 1831, p. 90.)
  21. T. II, p. 536.
  22. Voyez Grässe, die grossen Sagenkreise des Mittelalters, p. 346, où le savant bibliographe cite Dobeneck, des deustchen Mittelalters Volksglauben, t. II, p. 101 (2 vol. in-8o précédés d’une préface de Jean-Paul Richter, 1815), et Th. Keightley, the fairy mythology, illustrative of the romance and superstition (Londres, 1833, 2 vol. in-8o). — V. aussi l’Histoire de la poésie Scandinave, de M. Edelestand Du Méril, p. 325, note 1, et 380, note 2.
  23. L’auteur des Antiquitez de la Gaule Belgicque, Richard de Wassebourg, archidiacre de l’église de Verdun, n’a pas hésité dans ce livre publié en 1549 à traduire Albéric par Auberon. Jacques de Guise, ou plutôt un certain Hugues de Toul, cité par Jacques de Guise, raconte une histoire merveilleuse de Alberico rege, filio Clodii regis Francorum (Annales du Hainaut, t. VII, chap. vi). Cet Alberic était, d’après lui, l’un des trois fils de Clodion ; il passa pour enchanteur, incarminator, et vécut dans les bois comme Auberon. Voilà pourquoi sans doute Richard de Wassebourg, en rapportant la légende de Hugues de Toul, a donné le nom de notre nain à l’Albericus du chroniqueur latin, si bien qu’on lit dans son ouvrage des indications comme celles-ci :

    Mons en Haynau édiffié par Auberon.
    Victoire de Auberon contre les Meroniens, etc.

    Dans un livre intitulé les Chroniques de l’Ardenne, etc. (Paris et Nancy, 1851), M. Jeantin a reproduit, à son tour, la traduction de Richard de Wassebourg, et Auberon l’enchanteur figure au lieu d’Alberic dans le XIIe Chapitre du tome 1er de ce livre.

  24. M. de la Villemarqué se rencontre ainsi, sans avoir pris la même route, avec les érudits qui ont tiré de aube le nom d’Auberon, à ce que nous apprend l’auteur de Shakespeare and his times, M. Nathan Drake : « Oberon, or more properly Auberon, has been derived by some antiquaries from : « l’aube du jour. » (Paris, 1838, in-8o, p. 503, à la note.)
  25. Voyez ci-après, p. xliv, la description du manuscrit de Turin.
  26. Manuscrit de Sorbonne, 450. V. ci-après la description de ce manuscrit.
  27. Manuscrit de l’Anc. f. fr. 1451, le même que le manuscrit de Cangé, décrit ci-après, qui portait récemment encore le n° 75356.
  28. Mention finale qui se lit dans l’édition gothique de 1516 et aussi dans celle de Jean Bonfons, les seules que nous ayons pu voir.
  29. On en pourra juger en comparant les rubriques que nous reproduisons ci-après, p. xlv, avec celles des éditions gothiques. Il faut remarquer en outre que dans la version en prose la plus ancienne le récit primitif ne forme que le tiers du texte comme dans la version en vers du manuscrit de Turin.
  30. Sous ce titre : Les prouesses et faictz merveilleux du noble Huon de Bordeaulx, per de France, duc de Guyenne, nouvellement redigé en bon françoys, etc. On lit à la fin : Nouvellement imprimé à Paris le XXIIIIe jour de decembre mil cinq cens et seize, par Michel Lenoir, libraire juré en l’Université de Paris. (Bibl. Imp., Y2 143).
  31. V. Brunet, Manuel du Libraire, à l’article Huon de Bordeaux.
  32. Au XVIIe siècle il est réimprimé à Lyon (1606, 1626), à Troyes, par Nicolas Oudot, 1634, 1636, 1666, 1675 et 1676. Du XVIIIe siècle nous avons vu une édition de Jacques Oudot, Troyes, 1705, une autre de 1726, une troisième de 1728, Garnier, 2 vol. in-4o ; du XIXe une édition de Bruyères, veuve Vivot, 1812, de Montbéliard, 1821, et celle de Paris qui a été mentionnée ci-dessus. (Lécrivain et Toubon, 1859.)
  33. Gaufrey, p. 4, éd. Guessard et Chabaille.
  34. Celle que renferme l’ancien manuscrit de Cangé (Bibl. Imp., f. fr. 1451, fol. 2 v. et 3 r°).
  35. Publiées par M. Gustave Brunet, 1852, in-8o, p. 43 : « Gargantua (lui dit Merlin), je te viendray querir et te meneray en faerie où est le bon roy Artus avec sa seur Morgain, Ogier le Dannoys et Huon de Bordeaulx ou chasteau d’Avallon où ils font tous grant chiere. »
  36. Archives de l’Empire, reg. du Parlement, Conseil, à la date susindiquée.
  37. Il s’agit d’une blanque ou loterie d’objets rares parmi lesquels se trouvent : les griffes du griffon de Huon de Bordeaux estimez par le greffier de Lorris à dix huit mil de quarts de ducats d’or. Nous reproduisons ce passage d’après un mémoire de M. Francisque Michel, inséré dans les Actes de l’Académie de Bordeaux, IVe année (1842), p. 118. Nous ajouterons que la patte du griffon rapportée d’outre-mer par Huon fut suspendue dans la Sainte-Chapelle de Paris, elle est encore, dit la version en prose (éd. de 1812, t. II, p. 57). Dans un texte en prose du roman d’Alexandre, cité par M. Berger de Xivrey (Traditions tératologiques, p. 484), on lit : « S’il ha (le griffon) les grifz grans et amples, ce n’est point de merveilles...... L’experiance en appert à la Saincte Chappelle à Paris d’un grif d’un petit griffonneau, qui pend ou millieu de la Saincte Chappelle ataché à une chaine, que ung homme d’armes coupa à ung petit griffon, etc. »
  38. Chronique Bourdeloise, citée par M. F. Michel, même mémoire, p. 116,
  39. « Et ce Siguin icy, que je croy le premier comte de Bourdeaux, je ne fay nul doubte que ce ne soit Sevin tué depuis par les Normans, en bataille, pere de Huon surnommé de Bourdeaux, lequel est appelé duc et non comte en la fabuleuse histoire de ses faits d’armes pour ce que ce roman là se rimoit premierement du temps que la Guienne qui avoit Bourdeaux pour chef ne portoit plus autre nom et titre que de duché. » (Les Antiquitez et recherches des villes, Paris, 1629, p. 745. — Passage rapporté aussi par M. F. Michel, mémoire précité, p. 116.)
  40. « Plusieurs ont estimé (parlant de Hunaud) que c’estoit Huon de Bourdeaux duquel est parlé dans le roman qui porte son nom. Toutesfois j’ay remarqué que le roman de Huon de Bourdeaux dit que Huon estoit fils de Seguin comte de Bourdeaux establi par Charlemaigne, et nostre Hunal ou Huon est fils d’Eudo duc d’Aquitaine et non de Seguin. » (Mémoires de l’Histoire du Languedoc. Toulouse, 1633, p. 534. — F. Michel, mémoire précité, p. 117.)
  41. Warton, History of english poetry, Londres, 1840, t. III, p 52 et 64.
  42. On retrouve ce titre avec de légères variantes dans le Manuel du Bibliographe de Lowndes (The Bibliographer’s Manual, Londres, 1859), qui estime que cette édition fut imprimée par Copland vers 1540. Mais ce n’est pas l’avis d’un connaisseur, M. Pickering, qui, d’après le caractère et le papier, pense que le livre a été imprimé par Berthelet ou Redborne, aussi vers 1540.
  43. Ce capitaine Cox (capitaine on ne sait de quoi) était un maçon qui avait les goûts chevaleresques, une manière de Don Quichotte anglais. Aussi avait-il une bibliothèque analogue à celle du héros de la Manche, et où se trouvaient : King’s Arthur’s book, Huon of Bourdeaux, the four sons of Aymon, Bevis of Hampton, Gargantua, Robin Hood, etc. C’est ce que nous apprend Robert Laneham dans son curieux récit des fêtes de Kenilworth. (Laneham’s letter describing the magnificent pageants presented before queen Elisabeth at Kenilworth castle in 1575. Londres, 1821, p. 36.).
  44. The scottish storie of James the fourth..... intermixed with a pleasant comedie presented by Oboram king of Fayeries as it has been sundrie times publikely plaide, written by Robert Greene, maister of arts. London, Thomas Creade, 1598, in-40. — Réimprimée dans The dramatic works of Robert Greene, by the Rev. Alexander Dyce, London, Pickering, 1831, t. II, p. 69-158.
  45. Spenser, The faerie queen, liv. II, chant 10, strophes 70 à 76.
  46. Midsummer night’s dream.
  47. Chapitre déjà cité.
  48. Le dernier traducteur de Shakespeare, M. François-Victor Hugo, ne partage pas ce sentiment ; mais il est probable que, mieux renseigné sur l’histoire de notre poëme, il corrigera les erreurs qu’il ne peut manquer de reconnaître dans la note 6 de sa traduction du Songe d’une nuit d’été.
  49. Much ado about nothing, acte II, scène 1re, Benedick. Will your grace command me any service to the world’s end ? etc. Sur le passage qui commence ainsi, le commentateur anglais a fait la remarque que nous répétons, et il a rapproché de ce passage celui de la traduction de lord Berners où Charlemagne impose à Huon les dures conditions de son message à Babylone. (The plays of William Shakspeare, vol. VI, p. 263. Basil, 1799. V. aussi Nathan Drake, Shakespeare and his times, p. 273.)

    Pareille allusion et plus transparente encore a été notée dans une comédie de Cartwright : The siege or love’s convert (1616). Voyez l’édition précitée de Shakespeare, même page.

  50. Some play on the romance of Huon de Bordeaux, dit l’éditeur du journal.
  51. The diary of Philip Henslowe from 1591 to 1609. London, printed for the Shakespeare society, 1845, 1 vol. in-8o, p. 31 et 32.
  52. Oberon the fairy prince.
  53. Nymphidia the court of fairy, by Michael Drayton. Kent, 1814, p. 3.
  54. En Danemark aussi le sujet d’Oberon avait été dès lors mis en musique par M. Kunsen. (Paroles de M. Baggesen.)
  55. Nous avons pensé que ces détails, peu connus, ne sembleraient pas déplacés ici. Nous les empruntons à une notice de M. Paul Cheron. Voici le titre de la pièce française : Oberon, opéra fantastique en trois actes et sept tableaux, musique de Weber, paroles imitées de Wieland, par MM. Nuitter, Beaumont et de Chazot.
  56. Le manuscrit donne c’este.
  57. Codices manuscripti bibliothecæ regii Taurinensis athenæi..... recensuerunt et animadversionibus illustrarunt J. Pasinus, A. Rivautella et F. Berta. Taurini, mdccxlix, 2 vol. in-fol., t. II, p. 472 et 473.
  58. Del lignage, leçon qui donne un sens un peu différent de celui de notre texte.
  59. Il n’y a point ici d’erreur, comme on serait tenté de le supposer au premier abord. Voyez dans la traduction en prose, 1re édition, le chapitre qui porte pour rubrique :
    Comment l’empereur donna sa fille Olive en mariage à Ide, cuydant qu’il fust homme. (Fol. 244.)

    V. aussi fol. 247 :

    Comment Nostre Seigneur Jesu Çrist fist grans miracles pour Ide, car il la fist estre homme… et les deux mariés engendrerent ung moult beau filz qui eut nom Croissant.
  60. Cette partie du roman contenue dans la version de Turin est ici supprimée par le réviseur.