Annales de pomologie belge et étrangère/du Fraisier


1o Fraisier Princesse Royale. 2o Fraisier Reine des Belges.
3o Fraisier Royal Pink.

du Fraisier

(Fragaria.)


Le fraisier doit-il être considéré comme appartenant à la famille des arbres fruitiers, ou classé parmi les plantes potagères, et recevoir la dénomination de fruit légumier ? Les avis sont partagés sur ce point. S’il n’a pas trouvé place dans le Nouveau Traité des arbres fruitiers de Duhamel, en revanche, MM. Poiteau et Turpin l’ont compris dans leur Traité des arbres fruitiers, et le comte Lelieur, dans sa Pomone française. Quoi qu’il en soit, et tout en croyant fermement que le fraisier doit être maintenu parmi les fruits légumiers, nous imiterons MM. Poiteau et Turpin, et le comte Lelieur, et nous lui ferons prendre rang dans nos Annales, à cause de ses qualités, de sa fertilité et du rôle important qu’il joue parmi les fruits qu’admettent les tables les plus opulentes.

Le fraisier appartient, au reste, comme nos poiriers et nos pommiers, à la famille des Rosacées. Il a pour caractères génériques :

Des feuilles ternées ; un calice persistant à dix segments, dont les cinq extérieurs plus étroits ; une corolle à cinq pétales arrondis ou cunéiformes, se rétrécissant à l’onglet, adhérant au calice et alternant avec ses divisions internes ; les fleurs blanches ; vingt étamines au moins, attachées à la base des onglets, à filets courts, élargis à leur point d’insertion, et surmontées par des anthères cordiformes, à deux loges, s’ouvrant sur le côté ; réceptacle commun à un nombre indéterminé d’ovales réniformes, portant chacun un style simple terminé par un stigmate obtus ; fruit succulent, de formes variables, résultant du réceptacle devenu charnu, et autour duquel sont logées, dans de petites alvéoles, un grand nombre de graines nues, presque toujours réniformes, et contenant, sous une tunique extérieure coriace, une petite amande membraneuse renfermant un embryon bilobé.

Tous les fraisiers sont rangés en six groupes ; les trois premiers sont d’une origine européenne, les autres nous viennent de l’Amérique. Ce sont : Premier groupe, les fraisiers communs, dont le feuillage est petit ou moyen, vert tendre, les fleurs petites, les fruits ronds ou obronds, parfumés. Deuxième groupe, les fraisiers étoilés. C’est l’étoile que forme le calice en se rabattant sur le fruit, qui leur a valu cette dénomination. Le feuillage en est petit, vert sombre ou glauque ; le fruit petit, rond. Le troisième groupe comprend les fraisiers capronniers, dont le feuillage est grand, vert clair, velu, dont les fleurs sont moyennes et dont le fruit est gros, arrondi, d’un beau rouge. Les fraisiers écarlates constituent le quatrième groupe ; leur type est originaire de la Virginie. Le feuillage en est grand, vert glauque ; les fleurs sont petites ou moyennes, et le fruit, ordinairement moyen, est écarlate, plus hâtif que les fraisiers des autres groupes. Cinquième groupe, les fraisiers ananas, dont le feuillage est très-grand, et dont les folioles sont plus larges que dans ceux du groupe précédent ; les fleurs en sont grandes et le fruit en est gros, rond ou oblong, d’un rouge variable et blanc. Sixième groupe, les fraisiers du Chili, à feuillage soyeux, peu élevé, à fleurs très-grandes et à fruit se redressant pour mûrir.

La terre qui convient généralement aux fraisiers est une terre un peu légère, douce, substantielle et chaude, rendue très-meuble par le labour, et engraissée par du terreau de fumier consommé. Ils préfèrent l’eau de l’arrosoir à celle de la pluie et à une humidité inhérente au sol. On les multiplie de semis, de filets ou coulants, et par éclats enracinés des variétés qui, comme le fraisier Desportes, en sont dépourvues.

Le semis, qui a pour but l’obtention de nouvelles variétés, se fait en pleine terre convenablement amendée, soit au printemps, soit au mois de juin, dès qu’on a des graines mûres. On nivelle bien la terre, puis on la bassine ; on jette ensuite à la volée la graine mêlée avec autant de terre de bruyère. On tamise, au-dessus de la planche semée, du terreau fin ou de la terre de bruyère, de manière que la graine soit couverte d’une couche très-mince. On étend sur le semis des paillassons pour le garantir du soleil et de l’action desséchante du vent. Jusqu’au moment où la graine lève, ce qui exige quinze ou dix-huit jours, on a soin de bassiner assez souvent pour entretenir une humidité constante et favorable. Six semaines ou deux mois après la levée, on peut repiquer le plant en pépinière ou en place.

La graine doit être prise sur les plus belles fraises qu’on laisse bien mûrir ; on les écrase et on les lave plusieurs fois dans l’eau, jusqu’à ce que la semence soit suffisamment nette. Si l’on sème en juin, on emploie les graines dans cet état ; si l’on sème au printemps, on les fait sécher complétement pour les conserver jusqu’à cette époque.

Dans la culture ordinaire des fraisiers, les plantes restent trois ans en place : la première année, pour qu’ils prennent une force et un développement favorables à une abondante fructification, et la deuxième et la troisième année, pour qu’on jouisse de leurs fruits, qui sont toujours plus médiocres dans la dernière période. Après cette sorte d’assolement, on arrache les fraisiers, et pour établir une autre culture sur la planche débarrassée et singulièrement épuisée, on la travaille, on la fume copieusement et le plus souvent même on lui accorde un repos de six mois au moins.

Voici une nouvelle méthode plus sûre, et par laquelle le terrain n’est occupé que pendant un an, ce qui permet de le consacrer immédiatement à d’autres plantes, sans qu’il soit nécessaire de le fumer, parce qu’il n’est pas épuisé. D’abord, il faut, au mois d’avril, placer entre les rangs d’une planche de fraisiers cultivés selon l’ancien mode, et après qu’ils ont été binés et sarclés, des pots remplis de bonne terre bien préparée, en nombre égal à celui des touffes de fraisiers. Ces pots ont un diamètre de 10 centimètres et sont enterrés jusqu’au bord. Lorsque les vieux pieds poussent un premier filet qui montre un nœud, on dirige ce filet sur le pot le plus voisin de son point de départ, et l’on fixe le nœud au milieu, à l’aide d’une petite fourchette en bois piquée dans la terre. Ce coulant développe un nouveau fraisier qui s’enracine, et lorsqu’il l’est suffisamment, on le sèvre en coupant la tige qui l’unit au pied mère. On supprime, par le même moyen, tous les filets qui voudraient se former au sommet de ce coulant, et tous ceux qui se développeraient sur les anciens pieds au détriment de leur force et de leur fructification. On paille à l’ordinaire pour maintenir la fraîcheur et l’on arrose au besoin. Aucun autre soin n’est nécessaire jusqu’au mois d’octobre, époque où l’on procède à la plantation des nouveaux fraisiers, qui ne devront occuper la place que jusqu’au mois d’octobre de l’année suivante, et donner, pendant ce temps, une récolte abondante.

Sur une planche convenablement travaillée à la bêche, fumée, nivelée et large d’un mètre, on trace quatre lignes à 25 centimètres l’une de l’autre, et les deux extérieures distantes chacune de 12 ½ centimètres de leur bord. On fait, avec une bêche étroite, des trous à 33 centimètres d’intervalle et en quinconce. C’est dans ces trous qu’on plante les jeunes fraisiers élevés en pots, après les avoir dépotés. Ce jeune plant, provenant du premier coulant de chaque pied, et qui a eu cinq mois de végétation, est très-vigoureux, souvent même il a donné quelques fruits en août ou septembre ; aussi ne souffre-t-il aucunement de la transplantation ; il a d’ailleurs tout le mois d’octobre pour assurer sa reprise et acquérir une force plus grande afin de résister aux intempéries de l’hiver. On lui donne, après la plantation, une mouillure proportionnée à l’état de la terre. Il suffit ensuite de le couvrir de paille longue, pour le garantir des gelées ; et il arrive ainsi au mois d’avril, époque où ont lieu le sarclage, le binage et la mise en terre, dans l’intervalle de ses pieds, des pots destinés à recevoir le premier nœud de ses coulants, qui constituera le plant à mettre en place en octobre suivant.

Nous devons faire remarquer que cette méthode donne des résultats égaux à ceux de trois planches de l’ancien mode de culture. Elle sauve les jeunes pieds de l’atteinte des vers blancs qui, comme on le sait, en sont très-friands ; enfin, elle n’occupe le terrain que jusqu’à la fin de septembre pour les fraisiers remontants, et jusqu’à la fin de juillet pour les espèces qui ne fructifient qu’une fois ; et ce terrain ne demande, pour recevoir une autre culture, qu’un simple labour à la bêche.

On doit avoir soin de mettre au mois d’avril plus de nœuds qu’il n’en faut pour la plantation de l’automne suivante. Ces jeunes fraisiers sont excellents pour être chauffés, et d’ailleurs il est rare qu’au mois d’avril il n’y ait pas nécessité de remplacer quelques pieds morts de la plantation d’automne.

Les jeunes pieds des espèces non remontantes qu’on relève à la fin de juillet, pour débarrasser la planche, doivent être enterrés de nouveau, avec leur pot, dans un lieu frais, pour y attendre le mois d’octobre, qui est pour eux aussi l’époque de la plantation. On conserve de même les pots nécessaires aux remplacements éventuels, avec la précaution de les couvrir d’un paillis pendant l’hiver.

Les fraisiers qui ne fournissent pas de filets ou coulants, sont, comme nous l’avons déjà dit, multipliés par éclats enracinés du pied, et par les œilletons qui se forment sur les touffes. Il suffit de séparer les uns et les autres de façon que chaque fragment conserve quelques racines. La plantation se fait en planche ou en bordure, en laissant très-peu d’intervalle entre les multiplications.

On peut chauffer, sur place, les fraisiers plantés en automne, en couvrant la planche d’un coffre et de panneaux, qu’on entoure de réchauds. Le point essentiel est de donner le plus d’air et de lumière possible. En réunissant les fraisiers en pots, on obtient le même résultat. Il va sans dire que la terre des pots doit être binée et arrosée au besoin. On peut enfin distribuer de ces pots sur toutes les places vides des tablettes des serres chaudes les plus rapprochées des vitraux, condition essentielle pour assurer la fructification.

Les fraises, qui paraissent ne pas avoir été connues des anciens, sont aujourd’hui un fruit fort estimé et très-recherché. Malheureusement, il est très-difficile de le conserver longtemps dans son état naturel ; c’est par le procédé Appert que l’on conserve assez bien son arôme pour pouvoir le communiquer à diverses préparations des arts du confiseur et du glacier. La fraise est l’un des fruits auxquels s’applique, avec avantage, la culture forcée.

Suivant l’avis de Linné, l’usage des fraises est très-favorable aux goutteux.