Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 16/Optique, article 3

OPTIQUE.

Recherches d’analise sur les caustiques planes.


Par M. Ch. Sturm.
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M. Gergonne, par ses derniers travaux sur l’optique analitique, en a porté les principes au plus haut degré de simplicité et d’élégance qu’ils puissent atteindre. Il a montré, en particulier, par divers exemples, avec quelle facilité la théorie générale qu’il a établie conduit à tous les résultats déjà connus. Cette nouvelle théorie, purement analitique, devant suffire pour rendre compte de tous les phénomènes que la réflexion et la réfraction ordinaire peuvent offrir, il m’a paru à propos d’y rattacher quelques propriétés générales des caustiques planes qui ont beaucoup occupé les premiers investigateurs de ces sortes de courbes, propriétés qui n’ont encore été démontrées jusqu’ici que par la méthode mixte et imparfaite des infiniment petits, et qui méritent d’être reproduites et généralisées dans le langage qui convient à l’état actuel de la science. Je me propose, entre autres choses, de faire voir que toute caustique, pouvant toujours être considérée comme une développée, est conséquemment rectifiable. Sous le point de vue de l’utilité physique, cette propriété des caustiques n’est pas sans quelque importance, en ce qu’elle peut donner la mesure de l’intensité de la lumière aux différens points de ces sortes de courbes. On conçoit, en effet, que les arcs de caustiques qui reçoivent une égale quantité de rayons lumineux sont d’autant moins éclairés qu’ils ont plus de longueur. Mais, avant d’exposer les formules relatives à cette rectification, je donnerai d’abord celles qui établissent une relation entre les longueurs des rayons incidens et réfractés correspondans, prises, l’une et l’autre, depuis le point d’incidence jusqu’à ceux où ces rayons touchent leurs caustiques respectives. Ces élégantes formules, dont la recherche première paraît due à Jean Bernouilli, renferment implicitement celles qui servent à déterminer les foyers des miroirs et lentilles de toute espèce ; elles offrent en outre, le plus souvent, le seul moyen praticable pour construire par points les caustiques dont on s’occupe, et pour parvenir ainsi à une connaissance exacte ou approchée de la figure de ces sortes de courbes ; comme on peut le voir par plusieurs exemples consignés dans l’Analise des infiniment petits du Marquis de l’Hôpital, et par un mémoire de Petit, inséré dans le II.e volume de la Correspondance sur l’école polytechnique.

Pour parvenir au but que j’ai en vue, je dois d’abord rappeler sommairement la théorie des caustiques planes de M. Gergonne. Cette théorie se réduit simplement à ce que, à chaque trajectoire orthogonale des rayons incidens, il répond toujours une trajectoire orthogonale des rayons réfractés, telle que, de quelque point de la courbe séparatrice des deux milieux que l’on mène des normales aux deux trajectoires, les longueurs de ces normales seront respectivement entre elles dans le rapport constant du sinus d’incidence au sinus de réfraction.

On conclut de là immédiatement que étant le point d’incidence, les pieds des normales abaissées de ce point sur les deux trajectoires, et le rapport constant de à celui de leurs longueurs ; en posant

on aura les quatre équations

(1)

(2)(2′)

(3)[1]

dont la dernière est comportée par les trois autres.

Puisque ces équations n’équivalent qu’à trois seulement, et que d’ailleurs chacune des trois courbes se trouve déterminée par les deux autres, il s’ensuit que, des six variables une seule doit être regardée comme indépendante. Prenons pour telle, et posons

nous aurons

Différentiant alors les trois dernières équations sous ce point de vue, en ayant égard à ces relations, il viendra



mettant ensuite dans la dernière les valeurs de et tirées des deux qui la précèdent, on aura

(4)

Cela posé, les axes des coordonnées n’étant simplement assujettis qu’à être rectangulaires, et pouvant d’ailleurs avoir, sur le plan des trois courbes, une situation quelconque ; il nous est permis de supposer, pour simplifier un peu ce résultat, qu’on a pris pour origine le point d’incidence en dirigeant les axes des et des respectivement suivant la tangente et la normale à la courbe séparatrice en ce point. On aura ainsi et si, en outre, on désigne par le rayon de courbure de cette séparatrice en ce point, on aura au moyen de quoi l’équation (4) deviendra simplement

(5)

Désignons par la courbe séparatrice, par les deux trajectoires, par leurs développées respectives, lesquelles ne sont autre chose que les caustiques formées par les rayons incidens et réfractés. Soient les longueurs des normales abaissées respectivement sur les deux trajectoires soient les points où ces normales touchent les caustiques et soient les distances de l’origine à ces deux points ; soient enfin les rayons de courbure des deux trajectoires, pour les points

Prenons pour angle des coordonnées positives celui dans lequel se trouve situé le point de la caustique et remarquons que le rapport de à pouvant toujours être supposé aussi voisin de l’égalité qu’on voudra, il s’ensuit que la caustique peut être supposée indéfiniment voisine de la caustique sans pourtant se confondre avec elle ; auquel cas le point se trouvera très-voisin de et situé, comme lui, dans l’angle des coordonnées positives.

Remarquons présentement que, les deux trajectoires étant liées entre elles, mais d’ailleurs arbitraires, l’une et l’autre, on peut toujours faire passer l’une d’elles par un point donné, pris comme on voudra. On peut donc supposer le point de situé entre le point et l’origine, et si près de ce dernier point qu’on voudra ; et alors, à raison de la presque égalité des deux nombres et le point se trouvera également situé entre le point et l’origine.

En conséquence on aura

(6)(6’)

Des quatre équations (8, 9, 8′, 9′) on tirera

d’où on conclura, à l’aide des équations (7, 7′)

et par conséquent

ou, en vertu des équations (6, 6′)

Substituant toutes ces diverses valeurs dans l’équation (5) elle deviendra

mais (6, 6’)

donc, en substituant, et remplaçant et par et

mais on a

donc finalement

Ainsi étant donné le rapport de à qui est celui du sinus d’incidence au sinus de réfraction, la caustique des rayons incidens et la courbe séparatrice, et par suite le rayon de courbure de cette derrière en chacun de ses points[2] ; on pourra, à l’aide de cette dernière équation, déterminer tant de points qu’on voudra de la caustique des rayons réfractés.

Si la ligne séparatrice était une ligne droite, on aurait et l’équation deviendrait simplement

d’où l’on voit qu’alors et devraient constamment être de même signe. Dans tous les autres cas, il faudra se rappeler que la formule générale suppose que les points sont tous deux situés dans la concavité de la séparatrice, et varier conséquemment les signes de et suivant la situation des points que l’on considérera sur l’une et sur l’autre caustiques.

Pour passer de là au cas de la réflexion, il suffira de supposer et de changer les signes de et Il viendra ainsi

cependant et devront avoir des signes contraires, si les points de contact tombent de différens côtés de la courbe réfléchissante.

Revenons au cas de la réfraction. Considérons un rayon incident et le rayon réfracté correspondant, différens de ceux que nous avons considérés plus haut, et pour lesquels nous désignerons par les longueurs analogues à celles que nous avions désignées par pour les premiers ; nous aurons, comme alors,

d’où en retranchant

puis en éliminant

mais, en représentant par et respectivement les longueurs des arcs de chaque caustique compris entre les points de contact des deux rayons, et en supposant que les rayons de courbure vont croissant, on a

on aura donc, en substituant

c’est-à-dire qu’en général la différence des longueurs de deux rayons incidens, mesurées depuis leur caustique jusqu’à la courbe séparatrice, augmentée de l’arc de cette caustique compris entre eux, est à la différence des longueurs des rayons réfractés correspondans, mesurées également depuis leur caustique jusqu’à la courbe séparatrice, augmentée de l’arc de cette caustique compris entre eux, dans le rapport constant du sinus d’incidence au sinus de réfraction. Nous disons en général, parce que le théorème se trouverait en défaut si, sur l’une ou sur l’autre caustique ou sur toutes les deux il se trouvait un point de rebroussement entre les points de contact des deux rayons.

Si donc on suppose que la caustique des rayons incidens soit rectifiable et que la courbe séparatrice soit algébrique, la caustique des rayons réfractés sera également algébrique et rectifiable.

Dans l’application de ce théorème, comme dans celle de celui que nous avons démontré en premier lieu, il faudra avoir égard aux signes de et , et il aura, comme celui-là, son analogue pour la réflexion.

On déduit de tout cela, en particulier, que, si des rayons incidens parallèles ou émanés d’un même point et compris dans un même plan subissent une suite de réflexions et de réfractions, à la rencontre de courbes algébriques quelconques, situées dans ce plan, les caustiques auxquelles ils donneront naissance, depuis la première jusqu’à la dernière seront toutes algébriques et rectifiables. Il en sera donc de même, dans l’espace, pour les surfaces caustiques engendrées par des rayons qui se réfléchiront et se réfracteront successivement, à la rencontre d’une suite de surfaces algébriques de révolution ayant un axe commun ; pourvu que les rayons primitifs émanent tous de l’un des points de cet axe ou soient tous parallèles à sa direction.

  1. Voy. la page 66 du présent volume.
  2. Voy. sur ce sujet la pag. 361 du Tom. XI.
    J. D. G.