Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 15/Optique, article 1

OPTIQUE.

Recherches sur les caustiques ;

Par M. CH. Sturm.
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Soit, dans un milieu homogène, un point lumineux d’où, émanent, en tous sens, des rayons qui se réfractent, en passant de ce milieu dans un autre milieu également homogène, séparé du premier par une surface plane ou sphérique. Nous nous proposons ici de déterminer la nature de la surface caustique formée par la rencontre consécutive des rayons réfractés.

Supposons d’abord (fig. 1 et 2) que la surface de séparation soit un plan. Abaissons du point sur ce plan une perpendiculaire que nous prolongerons d’une quantité et par laquelle nous conduirons, à volonté, un plan qui coupera le proposé suivant une droite perpendiculaire à Il est clair que tous les rayons émanés du point qui tomberont dans ce plan n’en sortiront pas en passant dans le second milieu. Ainsi nous n’avons à considérer que ce qui se passe dans le plan qui est celui de la figure.

Soient donc un rayon incident quelconque, son point d’incidence sur la droite et la direction qu’il prend en se réfractant. Soit le prolongement de cette direction du côté du point élevons perpendiculaire à les sinus des angles et d’incidence et de réfraction seront entre eux, d’après une loi connue, dans un rapport constant que nous nommerons

Faisons passer par les trois points une circonférence de cercle. Cette circonférence touchera en et coupera de nouveau la droite en un point Il est aisé de voir que les sinus des angles que la tangente au cercle fait avec les cordes sont entre eux comme ces cordes. Donc le rapport de celles-ci est donné et égal à et suivant c que sera plus grand ou plus petit que les points et seront ou ne seront pas situés tous deux du même côté de Ces deux cas doivent être examines séparément.

Premier cas (fig. 1). d’où

L’angle étant alors égal à l’angle prenons sur une portion égale à et joignons les deux triangles isocèles seront semblables ; donc l’angle sera égal à l’angle et par conséquent l’angle égal à l’angle mais on a aussi l’angle égal à l’angle donc les deux triangles et sont semblables, et donnent conséquemment cette proportion

ou

donc est constant et donné de grandeur ; et comme

on voit que la différence est constante, et que par conséquent le point est à une branche d’hyperbole dont les foyers sont et et dont l’axe transverse est égal à

De plus est la normale à cette courbe au point puisqu’elle fait, avec les deux rayons vecteurs des angles supplémens de l’autre, comme sous-tendus dans le cercle par des cordes égales Tous les rayons réfractés sont donc normaux à la branche d’hyperbole dont il s’agit.

Ainsi, lorsque l’angle de réfraction est moindre que l’angle d’incidence, la caustique formée par les rayons réfractès est la développée d’une branche d’hyperbole dont le foyer est le point de départ des rayons incidens, dont le centre est la projection du même point sur la droite séparatrice des deux milieux, et dont l’excentricité est à l’axe transverse dans le rapport donné du sinus d’incidence au sinus de réfraction.

Deuxième cas (fig. 2). d’où

L’angle étant alors supplément de prolongeons d’une quantité et joignons les triangles isocèles étant semblables, l’angle sera égal à et par conséquent l’angle égal à l’angle mais l’angle est égal à l’angle donc les deux triangles sont semblables et donnent couséquemment

ou

donc est donné de grandeur ; et comme

on voit que le point appartient à une ellipse dont et sont les foyers et dont le grand axe est égal à

De plus est la normale à cette courbe, puisqu’elle fait, avec les rayons vecteurs des angles égaux entre eux, comme sous-tendant des cordes égales du cercle Tous les rayons réfractés sont donc normaux à l’ellipse dont il s’agit.

Ainsi, lorsque l’angle de réfraction est plus grand que l’angle d’incidence, la caustique formée par les rayons réfractés est la développée d’une demi-ellipse, dont le foyer est le point de départ des rayons incidens, dont le centre est la projection du même point sur la droite séparatrice des deux milieux, et dont l’excentricité est au demi-grand axe dans le rapport donné du sinus d’incidence au sinus de réfraction. Il faut remarquer qu’ici l’angle d’incidence ne saurait croître au-delà d’une certaine limite déterminée par la formule

Comme les résultats que nous venons d’exposer sont déjà connus et ont été démontrés par l’analise[1], nous ne nous y arrêterons pas davantage. Passons donc à d’autres recherches.

Supposons (fig. 3, 4, 5) que la surface séparatrice des deux milieux soit une surface sphérique. Tirons de son centre au point lumineux une droite indéfinie par laquelle nous ferons passer un plan qui coupera cette surface suivant un cercle représenté dans la figure. Il est clair que tous les rayons émanés du point dans ce plan n’en sortiront pas en pénétrant du premier milieu dans le second.

Soient donc un rayon incident quelconque, son point d’incidence sur le cercle et la direction qu’il prend en se réfractant. Soit le prolongement de dans la direction opposée, et tirons le rayon ou la normale Les sinus des angles d’incidence et de réfraction sont toujours entre eux dans un rapport donné. Il faut remarquer, en outre, que ces angles doivent toujours être de même espèce, c’est-à-dire, tous deux aigus ou tous deux obtus.

Prenons, sur la direction de la droite un point tel que le produit de par soit égal au quarré du rayon ou Les triangles seront semblables et donneront le rapport sera donc constant. Posons

Le triangle donne encore

et comme les angles sont égaux, on a

Si le point est tellement placé, à l’égard de la surface séparatrice, que le rapport de au rayon soit égal au rapport donné du sinus d’incidence au sinus de réfraction, la formule ci-dessus fait voir que, l’angle d’incidence étant l’angle de réfraction sera pourvu toutefois que ces deux angles soient de même espèce. Cette condition n’est remplie qu’autant que le point tombe sur l’arc déterminé sur le cercle par la perpendiculaire à (fig. 3) ou par la tangente à ce cercle (fig. 4, 5), suivant que lui est intérieur ou extérieur. Ce cas particulier, dans lequel la courbure sphérique fait converger en un seul et même point les directions des rayons réfractés, a été signalé par M. le professeur de La Rive fils, dans son mémoire sur les Caustiques, imprimé récemment à Genève[2].

Pour rentrer dans la généralité de la question, faisons passer une circonférence par les trois points cette circonférence coupera la droite en un second point et, à cause de la relation lui sera tangente en Cela étant, les sinus des angles formés par cette tangente avec les cordes seront entre eux comme ces cordes. Soit le rapport donné de ces sinus : on aura ainsi de sorte que les trois droites seront constamment proportionnelles aux trois constantes

La circonférence qui passe par les trois points est divisée par ces points en trois arcs sur chacun desquels le point peut également se trouver. Voilà donc trois cas distincts qu’il faut discuter séparément.

Premier cas (fig. 3). Le point tombe sur l’arc

Les angles étant alors supplémens l’un de l’autre ; prolongeons d’une longueur qui soit à dans le rapport donné de à ou de à et soit menée Les triangles ayant un angle égal en et compris entre deux côtés proportionnels, seront semblables ; d’où il suit que l’angle sera égal à l’angle et par conséquent l’angle égal à l’angle Les triangles ayant en outre les angles égaux sont donc semblables et donnent

ou

donc est constante et donnée de grandeur. Or, on a

ainsi

ou(1)

Le lieu géométrique du point est donc une courbe dans laquelle la somme des produits des rayons vecteurs, rapportés aux points et par deux constantes, est elle-même une quantité constante.

Deuxième cas (fig. 4). Le point se trouve sur l’arc

Les angles étant alors égaux entre eux, soit prise sur prolongée, s’il est nécessaire, au-delà du point une longueur qui soit à dans le rapport donné de à et soit menée Les triangles ayant un angle égal en et compris entre deux côtés proportionnels, seront semblables ; d’où il suit que l’angle sera égal à l’angle et conséquemment plus petit que de sorte que doit réellement tomber entre et Ensuite l’angle sera égal à l’angle et, comme les angles sont aussi égaux, on voit que les triangles sont aussi semblables, et donnent conséquemment

ou

donc est constant et donné de grandeur. Or, on a

ainsi

ou(2)

Le lieu géométrique du point est donc une courbe dans laquelle la différence des produits des rayons vecteurs, rapportés aux points et par deux constantes est elle-même une quantité constante.

Troisième cas (fig. 5), Le point tombe sur l’arc

Soit prise sur prolongée, s’il est nécessaire, au-delà de une longueur et soit menée. Par là les triangles et seront semblables, l’angle égal à l’angle et plus grand que l’angle de sorte que doit réellement tomber sur le prolongement de Ensuite, l’angle sera égal à l’angle mais d’ailleurs les angles sont égaux, comme ayant le même supplément donc les triangles sont semblables et donnent

ou

donc est constant et donné de grandeur. Or, onr a

ainsi

ou(3)

Le lieu géométrique du point est donc encore ici une courbe dans laquelle la différence des produits des rayons vecteurs, rapportés aux points et par deux constantes est elle-même une quantité constante ; mais ici la différence est inverse de celle du cas précédent.

En résumé, nous voyons que le lieu géométrique du point est une courbe telle que la somme ou la différence des produite des distances de ses points aux deux points fixes et par deux coefficiens déterminés est constante et donnée de grandeur. Il sera donc toujours facile de construire cette courbe, d’après l’équation qui lui correspondra ; on trouvera que c’est une courbe du genre de l’ellipse ou de l’hyperbole, différant d’autant moins de l’une ou de l’autre de celles-ci que le rayon du cercle dont le centre est sera plus grand par rapport à la distance du point à sa circonférence, et qu’en même temps les deux coefficiens seront moins inégaux.

Nous allons faire voir présentement que la normale au point de la courbe dont il s’agit coïncide avec le rayon réfracté Soit en effet cette normale (fig. 3), la courbe répondant alors à l’équation (1). Comme on peut toujours, d’un point pris à volonté sur le plan d’une courbe, lui mener une ou plusieurs normales, supposons que la normale à la courbe proposée soit celle qui passe par un point fixe pris sur son plan. D’après les théories connues, sa portion sera un minimum ou un maximum, entre toutes les droites que l’on peut mener du point à la même courbe. Donc, en vertu de l’équation (1), la somme

dans laquelle est un coefficient constant arbitraire, sera aussi un minimum ou un maximum. De là résulte, suivant un théorème général que nous avons démontré ailleurs[3], que, si l’on applique au point trois forces dirigées suivant les droites et proportionnelles aux quantités respectivement, leur résultante sera dirigée suivant la normale Or, l’une d’elles ayant déjà cette direction, les deux autres qui agissent suivant et devront aussi avoir leur résultante dirigée suivant avec laquelle elles feront des angles dont les sinus devront être conséquemment en raison inverse de leurs intensités, c’est-à-dire, dans le rapport de à Mais fait avec et des angles dont les sinus sont entre eux comme les cordes qui les sous-tendent, dans le cercle c’est-à-dire, dans le rapport de à donc la normale coïncide avec On démontrerait la même chose pour le cas des équations (2) et (3), (fig. 4 et 5)[4].

Cette propriété fait voir que la courbe à laquelle sont tangens les rayons réfractés ou est la développée de l’une des courbes (1), (2), (3) ; or, cette courbe n’est autre chose que la caustique formée par ces rayons réfractés, d’où il faut conclure que la caustique que forment les rayons lumineux qui émanent d’un point, après s’être réfractés à la rencontre d’une circonférence dans le plan de laquelle ce point se trouve situé, est la développée d’une courbe dont la propriété caractéristique est que la somme ou la différence des produits des distances de ses points au point lumineux et à son conjugué par rapport au cercle, par deux coefficiens constans est une quantité constante. Les courbes de ce genre ayant quelque ressemblance soit avec l’ellipse, soit avec l’hyperbole, on doit en conclure que les caustiques dont il s’agit ici ne doivent pas différer extrêmement des développées de ces deux courbes[5].

La proposition que nous venons d’établir doit maintenant être appliquée aux différentes circonstances que peut présenter la question.

Tout étant supposé comme ci-dessus (fig. 3), soit d’abord supposé le point dans l’intérieur du cercle réfringent, ce qui donne Élevons la perpendiculaire à l’axe L’angle étant égal à l’angle sera tangente au cercle et l’angle sera la plus grande valeur que puisse prendre l’angle d’incidence qui est toujours égal à Concevons décrit le cercle pour chaque point d’incidence ; il faudra supposer successivement que le point tombe sur l’arc puis sur l’arc en se rappelant que l’angle ne peut devenir obtus.

Si l’on a il s’ensuit le point tombe toujours sur l’arc quel que soit la caustique formée par les rayons réfractés est alors la développée de la courbe (2).

Si l’on a et est compris entre et le point tombe sur l’arc quel que soit la caustique répond alors à la courbe (1).

Soit enfin et d’où et Si le point d’incidence tombe sur l’arc on voit que la caustique est la développée de la courbe (1) ; et, s’il tombe sur elle devient celle de la courbe (3). L’angle d’incidence a ici une limite au-dessous de qu’on obtient en faisant dans la formule d’où ou

Examinons maintenant ce qui a lieu (fig. 4 et 5), quand le point est extérieur au cercle, d’où résulte Soit alors tangente au cercle il est clair que les rayons qui partent du point ne pourront pas tomber, à la fois, sur les deux arcs et ils tomberont seulement sur l’un ou sur l’autre. D’après cela, si l’on suppose décrit le cercle pour chaque point en se rappelant que les angles sont toujours de même espèce, et que le premier est obtus ou aigu, suivant que tombe sur ou sur on parviendra aux résultats suivans.

Les rayons incidens tombant sur l’arc si l’on a la caustique est la développée de la courbe (2) ; mais, si l’on a elle répondra à la courbe (1) ; les rayons incidens susceptibles de réfraction n’atteindront pas et leur limite sera donnée par la formule

Les rayons incidens tombant sur l’arc si l’on a la caustique se rapporte à la courbe (1) ou à la courbe (3), suivant qu’on a ou Mais se rapporte à la courbe (2). Dans ce dernier cas, l’angle d’incidence a une limite au-dessous de l’angle droit donnée par la formule

Outre les suppositions que nous venons de parcourir, il reste celle de Nous avons vu qu’alors, tant que les rayons incidens tombent sur l’arc la caustique se réduit à un point unique mais, à l’égard de ceux qui tombent sur l’autre arc la caustique devient la développée de la courbe (1) ou de la courbe (2), suivant que le point est intérieur ou extérieur au cercle


Pour compléter ces recherches, nous allons encore considérer la surface sphérique comme surface réfléchissante, ou, ce qui revient au même, le cercle comme courbe réfléchissante, et nous ferons connaître la nature de la caustique que forment alors les rayons réfléchis.

En admettant les mêmes notations et constructions que ci-dessus, on parvient aisément alors aux conclusions que voici :

Si la distance du point au centre du miroir est plus petite que son rayon, la caustique formée par les rayons réfléchis est la développée de la courbe définie par l’équation

Si la distance du point au centre du miroir est plus grande que son rayon, la caustique est la développée de la courbe ou de la courbe suivant que le miroir est convexe ou concave à l’égard du point

Il convient de rappeler ici une autre propriété optique dont jouissent en commun les courbes désignées par (2) et (3) dans ce qui précède, et qui se trouve énoncée dans les Œuvres de Descartes ; propriété qui découle de celle que nous avons exposée relativement aux normales de ces courbes. En voici l’énoncé. Soient et deux points donnés de position, et soit un rapport donné ; soit construite une courbe telle que, pour chacun de ses points la quantité soit égale à une constante arbitraire qu’on peut prendre positive, négative ou nulle. Si des rayons lumineux, partant du point se réfractent à la rencontre de cette courbe, de telle sorte que les sinus des angles d’incidence et de réfraction soient entre eux dans le rapport donné de à les directions des rayons réfractés convergeront vers le point fixe [6].


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  1. Voyez le mémoire inséré à la page 229 du XI.e volume du présent recueil.
    J. D. G.
  2. Nous aurions déjà annoncé cet intéressant mémoire que nous n’avons reçu au surplus que depuis peu, si nous n’avions voulu faire connaître en même temps quelques résultats sur le même sujet que nous avons obtenus depuis long-temps, mais que le défaut de loisir nous a empêché jusqu’ici de mettre en ordre.
    J. D. G.
  3. Voyez tom. XIV, pag. 115.
  4. Si l’on voulait faire usage du calcul différentiel, on aurait ; en nommant les droites et l’élément de la courbe
    d’où

    or, et sont les sinus des angles que fait la normale avec les rayons vecteurs et donc, etc.

  5. Ce qui précède nous conduit à une construction assez simple des courbes (1), (2), (3).

    Soit prise (fig. 6) sur la direction de une longueur et soit parallèle à qui coupe en la direction de On a d’abord

    d’où

    les triangles donnent ensuite

    donc le point est donné de position et la distance donnée de grandeur ; de sorte que le point appartient à une circonférence de cercle dont on connaît le centre et le rayon.

    Ainsi, décrivons un cercle dont le centre et le rayon soient déterminés par les proportions

    et

    le point sera un centre de similitude des cercles dont et sont les centres. Soient menées par ce point des droites qui coupent ces deux cercles en des points corrélatifs et de sorte que les rayons soient parallèles entre eux ; puis, faisant passer par les points et une suite de cercles prenons sur chacun d’eux une corde égale à tellement que l’angle soit de même espèce que nous obtiendrons, par cette construction, tous les points de la courbe demandée, et toutes ses normales

    Une construction analogue, indiquée (fig. 2), a lieu relativement à l’ellipse et à l’hyperbole dont il a été question (fig. 1 et 2).

  6. Nous avons déjà insinué ailleurs (tom. V, pag. 289) qu’il se pourrait bien que la plupart des caustiques, d’ordinaire d’une figure si compliquée, ne fussent que des développées de courbes beaucoup plus simples. Cette pensée semble avoir présidé au beau travail qu’on vient de lire ; et c’est sans doute ce qui a conduit son estimable auteur aux élégans résultats auxquels il est parvenu, et qui jettent tant de jour sur un des plus épineux sujets que puisse offrir l’analise appliquées.
    J. D. G.