Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 13/Géométrie élémentaire, article 7

GÉOMÉTRIE ÉLÉMENTAIRE.

Recherche, par un procédé nouveau, de la surface et
du volume de la sphère et de ses parties ;

Par M. Gergonne.
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Il y a plus de deux mille ans que, pour déterminer la surface et le volume d’une sphère, on est dans l’usage de la considérer comme la limite du corps engendré par la révolution d’un demi-poligone régulier d’un nombre de côtés pair, tournant autour de la diagonale qui en joint deux sommets opposés.

Mais on peut, tout aussi naturellement, considérer la sphère comme la limite du corps qui serait terminé par une suite de fuseaux cylindriques circonscrits tous égaux entre eux et d’un rayon égal au sien, se réunissant tous à ses deux pôles, et passant par les côtés d’un poligone régulier quelconque, circonscrit à son équateur : et c’est même ainsi qu’on l’envisage dans la construction des aérostats. Mais il n’est pas à notre connaissance qu’on ait jamais tenté de parvenir par cette voie à la détermination de sa surface et de son volume.

Nous ne prétendons pas que cette nouvelle manière de parvenir au but ait sur le procédé vulgaire des avantages bien décidés ; mais nous croyons devoir observer 1o.  qu’il n’est jamais sans intérêt de voir comment, en géométrie, des procédés très-différens conduisent exactement au même résultat ; 2o.  que, si la méthode vulgaire a sur celle-ci l’avantage de ne décomposer la surface et le volume du corps dont la sphère est la limite qu’en parties terminées par des lignes droites et des arcs de cercles seulement, par une sorte de compensation, celle-ci ne décompose la surface et le volume de ce même corps qu’en parties égales, 3.o que cette nouvelle manière de procédé exige la détermination préalable de la surface et du volume de certains corps que l’on rencontre souvent dans les arts, surface et volume qui, comme nous le verrons, sont exactement quarrables, et cubables et qu’on peut être bien aise d’avoir appris, chemin faisant, à évaluer ; 4.o que la détermination de la surface et celle du volume de la sphère qui, suivant le procédé ordinaire, dépendent de deux théories distinctes, se rattachent, en suivant celui-ci, à une seule et unique théorie ; 5.o qu’enfin quand bien même la comparaison entre les deux procédés ne ferait qu’offrir aux commençans le sujet d’un utile exercice, ce serait encore un motif suffisant pour ne point négliger la considération de celui qui va faire le sujet de cet article.

Il nous aurait sans doute été facile de revêtir ce qu’on va lire des formes rigoureuses auxquelles M. Legendre, à l’exemple d’Euclide, a cru devoir assujettir ses Élémens de géométrie ; mais précisément parce que cela est facile, nous avons cru, dans la vue d’abréger, devoir nous en dispenser, en nous appuyant simplement sur la considération des limites ; nous nous sommes même bornés à indiquer brièvement les points pour lesquels cette considération est nécessaire, en abandonnant au lecteur le soin d’un facile remplissage. On pourra, au surplus, suppléer à nos omissions par un raisonnement dont on trouve le modèle à la page 183 du V.e volume du présent recueil, et qui nous paraît le plus propre à employer en ces sortes de rencontres.

1. La détermination de la surface et celle du volume d’une sphère se réduisent évidemment à ces deux points ; 1.o déterminer l’aire du quadrilatère curviligne compris entre deux méridiens et deux parallèles quelconques à l’équateur ; 2.o déterminer le volume de la pyramide sphérique qui, ayant ce quadrilatère pour base, a son sommet au centre de la sphère. On voit en effet, 1.o qu’en supposant que les parallèles dont il s’agit passent par les deux pôles, on obtiendra la surface du fuseau et le volume de l’onglet sphérique compris entre les plans de deux méridiens quelconques ; d’où il sera facile de conclure la surface et le volume de la sphère entière ; 2.o qu’en supposant, au contraire, que les deux méridiens entre lesquels le quadrilatère se trouve compris sont distans l’un de l’autre d’une circonférence entière, on obtiendra la surface de la zone sphérique comprise entre les plans de deux parallèles quelconques et le volume du corps terminé par cette zone et par deux surfaces coniques droites qui, ayant mêmes bases qu’elle, auraient leur sommet commun au centre de la sphère ; d’où il sera facile de conclure la surface de la calotte et le volume du secteur sphérique, et par suite la surface et le volume de la sphère entière.

Il y a même un évident avantage à procéder ainsi ; car, si l’on déterminait d’entrée la surface et le volume de la sphère entière, on serait obligé ensuite de faire de nouveaux frais pour parvenir à l’expression de la surface et du volume de ses diverses parties.

2. Considérons donc le quadrilatère compris entre deux méridiens et deux parallèles ; les arcs de ces parallèles interceptés entre les méridiens étant des arcs semblables, on pourra leur circonscrite, à l’un et à l’autre, des portions de polygones réguliers d’un même nombre de côtés, dont les côtés homologues seront parallèles et distans du centre de la sphère d’une quantité égale à son rayon. On pourra donc concevoir que, par ces mêmes côtés homologues, on ait fait passer une suite de surfaces de cylindres droits circonscrits à la sphère, lesquelles se couperont consécutivement, suivant des courbes planes, situées dans les plans des méridiens conduits par les sommets homologues des deux polygones. En faisant donc abstraction des parties de ces surfaces cylindriques qui excèdent leurs intersections consécutives, ainsi que de celles qui sont au-delà des plans des deux parallèles, on obtiendra une surface toute composée de portions de surfaces cylindriques de même rayon, et de même que les arcs des deux parallèles sont limites des portions de polygones circonscrits, la surface de notre quadrilatère curviligne sera la limite de cette surface composée de surfaces cylindriques.

En outre, si l’on imagine deux pyramides qui, ayant leur sommet commun au centre de la sphère, aient pour bases ces deux mêmes surfaces, celle qui aura pour base le quadrilatère faisant partie de la surface de la sphère, sera la limite de celle dont la base sera composée de parties cylindriques.

Notre problème se trouve donc réduit à évaluer la surface de cette dernière base ; ainsi que le volume de la pyramide qui lui répond, et à examiner ensuite ce que deviennent l’une et l’autre à la limite. Mais cette surface se trouve composée de parties égales entre elles, en nombre pareil à celui des côtés des deux portions de polygones ; et la pyramide qui lui répond peut aussi être décomposée en un pareil nombre de pyramides égales, ayant ces parties pour bases ; de sorte que tout se réduit à déterminer l’aire de la base et le volume de l’une quelconque de ces pyramides et à les multiplier par le nombre des côtés des deux portions de polygones.

Chacune de ces pyramides partielles fait partie d’un onglet cylindrique d’un rayon égal à celui de la sphère, lequel se trouve borné, d’une part par la surface convexe du cylindre dont il fait lui-même partie, et par les plans de deux méridiens, c’est-à-dire, par deux plans passant par un même point de l’axe du cylindre, et ayant leur commune section perpendiculaire à cet axe, et conséquemment dirigée suivant un de ses diamètres. La pyramide partielle est détachée de l’onglet par deux plans passant par l’axe du cylindre, et coupant conséquemment sa surface convexe suivant deux parallèles à ce même axe.

3. Concevons donc que, sur l’axe d’un cylindre droit, on ait pris un point arbitraire, par lequel on aie conduit un diamètre, qu’on ait fait passer deux plans par ce diamètre et deux autres plans par l’axe du cylindre ; ces quatre plans détacheront de ce corps une pyramide quadrangulaire à base convexe, et notre problème se trouvera réduit à déterminer l’aire de la base et le volume de cette pyramide.

Or si, par le même diamètre, on conduit un plan perpendiculaire à l’axe du cylindre, et donnant conséquemment une section circulaire, notre pyramide et sa base se trouveront la somme ou la différence de deux autres dans lesquelles ce plan circulaire serait un des quatre plans qui les limiteraient ; de sorte que le problème se réduit à déterminer l’aire de la base et le volume de la pyramide pour le cas seulement où un des deux plans qui ne passent pas par l’axe du cylindre est perpendiculaire à cet axe.

Soient (fig. 6) le point pris arbitrairement sur l’axe du cylindre, le diamètre arbitraire mené par ce point, celui des deux plans qui, passant par ce point, est perpendiculaire à l’axe du cylindre l’autre plan passant par ce diamètre, et enfin et les deux plans passant par l’axe ; la pyramide dont il s’agit aura pour base le trapèze convexe et son sommet au point et il s’agira d’évaluer l’aire de la base et le volume de cette pyramide.

Concevons qu’ayant circonscrit à l’arc de cercle une portion de polygone régulier quelconque, on la considère comme le périmètre de la base d’une portion de surface prismique droite ayant même axe que le cylindre et terminée par sa rencontre avec les trois plans et qu’on fasse de cette surface la base d’une pyramide ayant également son sommet en on conçoit que la pyramide cylindrique sera la limite de la pyramide prismique, et que la base de la première sera la limite de la base de la seconde. Tout se réduit donc à assigner l’aire de la base et le volume de la seconde ; et d’examiner ce que deviennent l’une et l’autre à la limite.

Mais si, par l’axe du cylindre et par les sommets de la portion de polygone circonscrite à l’arc on conçoit des plans, ces plans diviseront la pyramide prismique en plusieurs pyramides ordinaires à bases trapèzes ; et il est clair que, pourvu qu’on sache assigner l’aire de la base et le volume de l’une quelconque d’entre elles, c’en sera assez pour pouvoir assigner l’aire de la base et le volume de la pyramide prismique totale qui en est la somme

4. Soit donc le trapèze (fig. 5) la base de l’une de ces pyramides partielles ; de manière que soit un des côtés de la portion de polygone régulier dont il vient d’être question ; son milieu sera son point de contact avec l’arc de cercle ; et cette base touchera la surface du cylindre suivant la droite parallèle à et Abaissons sur le diamètre les perpendiculaires abaissons aussi perpendiculaire entre les deux premières de ces droites ; menons et le rayon menons enfin, un autre rayon perpendiculaire à la droite parallèle à l’axe du cylindre ainsi que la droite

Les triangles rectangles et sont semblables comme ayant les côtés parallèles chacun à chacun ; et les triangles rectangles et le sont également, comme ayant les côtés perpendiculaires chacun à chacun ; de sorte qu’on a les deux proportions

multipliant ces proportions par ordre, en supprimant les facteurs communs, observant que et remplaçant par son égal il viendra

d’où

mais le premier de ces deux produits exprime l’aire du trapèze donc le second l’exprime également ; c’est-à-dire que ce trapèze est équivalent à un rectangle qui, ayant pour hauteur la plus grande largeur de la surface convexe de l’onglet cylindrique, aurait pour base la projection de la hauteur de ce trapèze sur le diamètre

Quant au volume de la pyramide qui, ayant ce trapèze pour base, a son sommet au point en remarquant que en est la hauteur, on en conclura que ce volume a pour expression l’aire du rectangle dont il vient d’être question, multipliée par le tiers du rayon du cylindre.

On conclura facilement de là (3) 1o. que la base de la pyramide prismique circonscrite à la pyramide cylindrique dont la base est le quadrilatère (fig. 6) est équivalente à un rectangle qui, ayant pour hauteur la plus grande largeur de la surface convexe de l’onglet, aurait pour base la projection sur le diamètre de la portion de polygone régulier circonscrite à l’arc 2o. que conséquemment le volume de cette même pyramide prismique est le produit de la multiplication de l’aire de ce même rectangle par le tiers du rayon du cylindre.

5. En passant donc de là à la limite, on reconnaîtra 1o. que le trapèze cylindrique lui-même est équivalent à un rectangle qui, ayant pour hauteur la plus grande largeur de la surface convexe de l’onglet cylindrique, aurait pour base la projection de l’arc sur le diamètre 2o. que le volume de la pyramide cylindrique qui aurait ce trapèze pour base et son sommet en est le produit de la multiplication de l’aire de ce même rectangle, par le tiers du rayon du cylindre.

Si l’on fait présentement attention à ce que nous avons dit ci-dessus (3), on verra que les mêmes choses doivent encore avoir lieu, lors même qu’aucune des deux faces planes de l’onglet n’est perpendiculaire à l’axe du cylindre ; pourvu que son arête rectiligne, intersection des plans de ces deux faces, continue d’être perpendiculaire à l’axe du cylindre, c’est-à-dire, d’en être un diamètre.

Il résulte de là 1o. que pour diviser la surface convexe d’un onglet cylindrique, dont l’arête rectiligne est un diamètre du cylindre, en parties qui aient entre elles des rapports donnés, il suffit de diviser son arête rectiligne en parties qui aient entre elles les mêmes rapports, et de conduire ensuite, par les points de division, des plans perpendiculaires à cette arête ; 2o. que pour diviser son volume en *parties qui aient entre elles des rapports donnés, il faut, après avoir, par ce qui vient d’être dit, partagé sa surface convexe en parties ayant entre elles ces mêmes rapports, conduire des plans par l’axe et par les lignes de division. Il est digne de remarque que toutes ces opérations puissent être exécutées par une géométrie rigoureuse.

On voit aussi 1o. que la surface convexe totale de l’onglet cylindrique dont l’arête rectiligne est un diamètre du cylindre est équivalente à celle d’un rectangle qui, ayant pour base ce même diamètre, aurait pour hauteur la plus grande largeur de cette surface ; 2o. que le volume total de l’onglet est les deux tiers de celui du prisme triangulaire circonscrit[1]. Cette surface convexe et ce volume sont donc rigoureusement quarrable et cubable ; et il est fort remarquable que ce soit la face convexe de l’onglet, dont le développement est terminé par des courbes transcendantes, qui jouisse de cette propriété à l’exclusion des faces planes qui sont terminées par des courbes algébriques fort simples.

6. Soient présentement, sur un hémisphère (fig. 8), deux petits cercles parallèles à celui qui sert de base à l’hémisphère, et concevons qu’ils soient coupés tous trois en par un même méridien. Par ces points d’intersection menons des tangentes à ces trois cercles, prenons arbitrairement, sur la première par l’axe et par les points et faisons passer des plans qui détermineront sur les deux autres tangentes des parties et Les trois droites appartiendront ainsi à la surface d’un même cylindre circonscrit à la sphère, et la portion de cette surface sera (5) équivalente à un rectangle ayant pour hauteur et pour base la distance entre les centres des deux petits cercles ; et cela soit que ces petits cercles appartiennent à un même hémisphère ou qu’ils se trouvent situés dans les deux hémisphères opposés ; et, quant à la pyramide qui, ayant cette même surfase pour base, aura son sommet au centre de l’hémisphère, son volume aura pour expression le produit de la multiplication de l’aire du rectangle dont il vient d’être question par le tiers dit rayon du cylindre ou, ce qui revient au même, de celui de la sphère.

Si nous revenons présentement à notre quadrilatère sphérique considéré ci-dessus (2) et compris entre deux méridiens et deux parallèles quelconques, nous verrons que, d’après ce qui précède, l’assemblage de portions de surfaces cylindrique dont il est la limite est équivalent à un rectangle qui ayant pour hauteur la longueur de la portion de polygone régulier circonscrite à l’équateur, de telle sorte que ses côtés soient parallèles à ceux des portions de polygones réguliers circonscrites aux deux arcs de parallèles qui terminant le quadrilatère, et pour hauteur la distance entre les centres de ces deux parallèles ; et que le volume de la pyramide qui, ayant cet assemblage de portion de surfaces cylindriques pour base, a son sommet au centre de la sphère, est le produit de l’aire de ce même rectangle par le tiers du rayon de cette sphère.

7. En passant donc de là à la limite, on reconnaîtra 1o. que, pour obtenir l’aire du quadrilatère sphérique compris entre deux méridiens et deux parallèles quelconques, il faut multiplier l’arc de l’équateur compris entre les deux méridiens, par la distance entre les centres des deux parallèles ; 1o. que, pour obtenir le volume de la pyramide sphérique qui, ayant ce même quadrilatère pour base, a son sommet au centre de la sphère, il faut multiplier l’aire de sa base par le tiers du rayon de la sphère.

Et de là on conclura sans difficulté 1o. que l’aire du fuseau sphérique est la produit de la multiplication de l’arc de l’équateur qu’il intercepte par le diamètre de la sphère, 2.o que l’aire d’une zone sphérique à bases parallèles est le produit de la multiplication de la circonférence d’un grand cercle par la distance entre les centres de ses deux bases, 3o. que l’aire d’une calotte sphérique est le produit de la multiplication de la circonférence d’un grand cercle par la flèche de cette calotte ; 4o. qu’enfin l’aire de la surface sphérique entière est le produit de la circonférence d’un grand cercle par son diamètre.

Et de là résultera encore que le volume soit d’un onglet sphérique, soit du corps terminé par une zone et par deux surfaces coniques de mêmes bases qu’elle, ayant leur sommet commun au centre de la sphère, soit d’un secteur sphérique, soit enfin de la sphère entière, est le produit de la multiplication de l’aire du fuseau, de la zône, de la calotte ou la surface sphérique entière qui le termine par le tiers du rayon de la sphère.


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  1. Bezout avait déjà déduit cette dernière proposition du calcul intégral ; mais seulement pour le cas où l’une des deux faces planes de l’onglet est perpendiculaire à l’axe du cylindre. (Voyez son cours)