Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 13/Analise transcendante, article 7

ANALISE TRANSCENDANTE.

Considérations analitico-géométriques, sur les solutions particulières des équations différentielles du 1.er ordre ;

Par M. J. L. Woisard, répétiteur de mathématiques
à l’école d’artillerie de Metz.
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On sait que l’intégrale d’une équation différentielle du premier ordre renferme une constante arbitraire ; et que, par conséquent, cette dernière équation peut être considérée comme représentant une infinité de lignes, dont on obtiendrait les équations individuelles, en faisant varier, depuis l’infini positif jusqu’à l’infini négatif, le paramètre arbitraire qui entre dans l’intégrale complète.

Mais on trouve aussi quelquefois des polynômes qui, sans être des cas particuliers de l’intégrale complète, ni des facteurs communs à tous les coefficiens de dans l’équation différentielle, satisfont néanmoins aux conditions exprimées par cette dernière, quand on les égale à zéro. Nos analistes modernes les ont appelés Solutions particulières ; ils en ont expliqué l’origine, ils ont donné le moyen de les obtenir, sans résoudre l’équation différentielle proposée, et ont fait voir que les lignes qu’elles représentent sont les enveloppes de celles que représente l’intégrale complète.

J’ai considéré le même problème dans un ordre inverse, c’est-à-dire que j’ai cherché à déduire des propriétés des lignes enveloppes la démonstration de l’existence des solutions particulières, dans certaines équations différentielles, et à les déterminer, sans résoudre les équations dont elles dérivent. Quoiqu’en général il soit peu important d’obtenir, par de nouveaux moyens des résultats déjà connus, j’ai pensé que néanmoins une méthode géométrique pourrait offrir quelque intérêt, parce que souvent elle rend sensibles des raisonnemens difficiles à saisir, et que d’ailleurs elle m’a conduit à plusieurs conséquences importantes qui, je crois, n’ont point encore été signalées.

Pour exposer convenablement la théorie que j’ai en vue, je suis obligé de rappeler succinctement les propriétés déjà connues des lignes enveloppes.

1. Soit une équation quelconque à deux variables, renfermant un paramètre arbitraire ; on peut toujours imaginer une ligne (fig. 1), rapportée à deux axes rectangulaires, telle que, pour une valeur déterminée du paramètre les coordonnées de chacun de ses points satisfassent à l’équation Généralement cette ligne changera de figure et de situation par rapport aux axes, quand on fera varier la valeur du paramètre ainsi, elle pourra devenir successivement lors qu’on remplacera par On appelle enveloppe des lignes représentées par l’équation une ligne tangente commune à toutes celles qu’on peut obtenir en faisant varier la valeur de depuis l’infini positif jusqu’à l’infini négatif ; et les lignes qu’elle touche, toutes en sont dites les enveloppées.

2. Soient deux enveloppées consécutives, dont les équations sont respectivement et elles différent d’autant moins de forme et de position que la différence est plus petite ; et, si l’on vient à la supposer tout à fait nulle, la branche de la seconde viendra se confondre avec la branche de la première ; d’où il suit qu’à mesure que sera devenu moins différent de le point d’intersection des deux courbes se sera mu sur la branche de la première, de manière à coïncider avec le point de celle-ci, lorsque sera devenu rigoureusement égal à donc les points communs à l’enveloppante et à l’enveloppée sont les points d’intersection de cette dernière ligne avec celle qu’on obtient en faisant varier infiniment peu le paramètre dans l’équation Donc pour avoir les coordonnées de cette intersection, c’est-à-dire du point il faut résoudre simultanément les deux équations

[1]

3. On en conclut ordinairement que, la première réduisant la seconde, elles peuvent être remplacées par le système de ces deux-ci :

mais cette simplification, employée inconsidérément, peut quelquefois faire négliger des racines communes, c’est ce qui aurait lieu, par exemple, si on l’appliquait à l’équation

qui représente un cercle, d’un rayon constant ayant son centre en un point déterminé de l’axe des En la différentiant par rapport à on trouve d’où l’on serait tenté de conclure que deux cercles consécutifs ne se coupent pas. Mais on reconnaîtra facilement l’erreur de cette conclusion, si l’on considère que peut être pris avec deux signes ; et que, par conséquent, supposer que est la différence des deux polynomes

c’est chercher seulement les points d’intersection de demi-cercle (fig. 2) avec le demi-cercle et ceux du demi-cercle avec le demi-cercle tandis qu’on omet les points et d’intersection du demi-cercle avec le demi-cercle lesquels se confondent avec et lorsque la distance des centres devient nulle. Nous en conclurons que la simplification indiquée ci-dessus ne doit être employée que quand l’équation ne renferme aucun terme susceptible de plusieurs valeurs différentes, et que, dans le cas contraire, il faut combiner tour à tour toutes les formes de l’une des équations avec toutes les formes de l’autre. Ainsi, dans l’exemple précédent en considérant avec le signe dans la première équation, et avec le signe dans la seconde, le résultat de la soustraction eût été

ou, à cause de infiniment petit

d’oùet

C’est ce qu’on aurait également trouvé, au surplus, en mettant l’équation sous la forme

Néanmoins, pour simplifier les raisonnemens, je supposerai que l’équation n’a aucun terme susceptible de plusieurs valeurs. Dans beaucoup de circonstances, on pourra lui donner cette propriété, en faisant disparaître les radicaux, et, dans tous les cas, au moyen de la remarque précédente, il sera facile de modifier convenablement les principes qui vont être établis.

4. Puisque le système des deux équations

détermine ceux des points de l’enveloppée (fig. 1) qui appartiennent à l’enveloppe l’élimination de entre ces deux équations, donnera l’équation de l’enveloppe. Cette règle est la conséquence des premières notions de la géométrie analitique. Je vais actuellement examiner quelques résultats auxquels conduit son application ; en représentant, pour plus de brièveté, la fonction par la simple lettre

D’abord sera indépendant de toutes les fois que sera de la forme et sont des fonctions de et des constantes autres que Alors il n’y aura pas lieu à élimination, et deux enveloppées quelconques seront représentées par les équations

Si est indépendant de et de ces deux équations seront incompatibles, et les lignes qu’elles représenteront n’auront aucun point commun ; ainsi, par exemple, en faisant varier dans l’équation on obtient une suite de droites parallèles. Si, au contraire contient les variables, ou seulement l’une d’elles, les deux équations ne pourront être satisfaites qu’en posant séparément et par conséquent toutes les enveloppées se coupent en des points déterminés, et en nombre fini. Ainsi, par exemple, en faisant varier dans l’équation on obtient des paraboles qui passent toutes par l’origine et dont les branches ne se rencontrent pas.

Mais, hors le cas ci-dessus indiqué, contiendra encore et en l’égalant à zéro, on en tirera, pour ce paramètre des valeurs qu’on substituera dans l’équation Le résultat de la substitution des valeurs de fonction de et donnera les enveloppes cherchées. Mais le résultat de la substitution des valeurs constantes donnera des cas particuliers de l’équation Ce seront ceux pour lesquels deux enveloppées consécutives se confondront en une seule ; et par conséquent on trouvera, par ce moyen, toutes celles qui servent de limites aux autres[2].

Par exemple, en différentiant par rapport à l’équation

qui représente une droite, on trouve

d’où

et

Si l’on substitue dans la proposée, on trouvera équation de la droite (Fig. 3), C’est, parmi toutes les enveloppées, celle qui fait le plus grand angle aigu avec l’axe des Si, au contraire on substitue il viendra

équation de l’enveloppe de toutes les droites

5. Toute ligne peut être considérée comme l’enveloppe d’une infinité de systèmes d’enveloppées différentes. L’équation générale de celles-ci est arbitraire ; elle doit seulement renfermer un paramètre variable, et représenter une ligne tangente à la première en des points qui varient de situation lorsqu’on fait varier ce paramètre.

6. Supposons présentement que l’on élimine entre et en faisant, pour abréger le résultat sera une fonction de et Représentons-la par et cherchons quelles sont les lignes dont elle exprime les propriétés.

Une ligne (fig. 4) peut être regardée comme représentée par l’équation si, en substituant dans cette équation, à la place de et les coordonnées de l’un quelconque de ces points, on en tire pour la valeur du coefficient de dans l’équation de la tangente en ce même point. Or on peut toujours, dans l’équation, donner à la constante une valeur telle que la ligne représentée par cette équation passe par le point et la valeur de tirée de déterminera la direction de la tangente à cette ligne Donc la ligne doit être telle que si, par un quelconque de ses points on fait passer une des lignes représentées par elle ait avec cette ligne une tangente commune ; donc elle doit être ou l’un des cas particuliers de ou l’une des enveloppes des lignes représentées par cette dernière équation.

7. Il s’agirait actuellement de déterminer l’équation des enveloppes telles que sans être obligé d’intégrer l’équation pour cela il suffira (5) de trouver l’équation d’une ligne qui soit tangente à et dont le point de contact prenne successivement différentes positions, quand on fera varier un paramètre.

8. Les enveloppes cherchées peuvent être courbes ou droites ; je considérerai d’abord les premières.

Soit (fig. 4) une tangente à l’enveloppante courbe si je mène à toutes les enveloppées des tangentes parallèles à cette première droite, la suite des points de contact déterminera une courbe qui passera par le point Je dis de plus qu’en ce point elle sera tangente à En effet, la position d’une tangente se détermine en prenant la limite de la position d’une corde dont l’une des extrémités s’approche indéfiniment de l’autre, considérée comme fixe. Or, si l’on considère la corde il est évident que l’extrémité s’approchera indéfiniment du point quand ce dernier s’approchera du point et qu’ils se confondront à la limite, puisqu’alors sera parallèle à donc la limite de la corde est la même que celle de la corde mais cette dernière étant corde de la courbe a pour limite la tangente donc cette dernière droite est aussi tangente à la courbe transversale

Nous pouvons conclure de là que les enveloppes cherchées se trouveront parmi les enveloppes des transversales dont il faut présentement chercher l’équation générale.

Si l’équation était donnée, en y mettant pour la valeur qui convient à l’enveloppée on trouverait les coordonnées du point en résolvant simultanément les équations

après avoir mis pour dans la dernière, la tangente tabulaire de l’angle que fait la droite avec l’axe des et, pour obtenir l’équation de la transversale il faudrait éliminer entre les deux mêmes équations ; mais (6) le résultat de cette élimination serait donc cette dernière équation, en y considérant comme uns constante arbitraire, représentera les transversales cherchées.

9. Je suppose présentement que l’enveloppe soit une droite (fig. 5) faisant avec l’axe des un angle La transversale représentée par l’équation se confondra avec cette droite, lorsqu’on y fera de plus, étant la limite des enveloppées sera aussi la limite des transversales. Donc les droites enveloppes des lignes représentées par seront des cas particuliers de celles que représente l’équation et se trouveront parmi celles de ces lignes qui servent de limites aux autres, et par conséquent la valeur de qui leur correspond satisfera à la condition

Mais il est en général très-difficile de trouver les valeurs infinies qui satisfont à une équation, parce qu’elles proviennent de la disparition des termes qui représentent les plus hautes puissances de l’inconnue ; et par conséquent, pour avoir les valeurs qui correspondent à des parallèles aux il faudra faire dans l’équation et si représente le résultat de cette substitution, on cherchera les valeurs nulles que l’on peut tirer de

10. Nous pouvons donc conclure qu’à l’exception des fonctions de seul, toutes les solutions particulières de l’équation s’obtiendront en éliminant entre

et

mais, comme les transversales dont il a été question dans les n.os précédens peuvent avoir des enveloppes et des limites autres que les enveloppes des lignes représentées par l’équation on peut, en suivant cette méthode, trouver des facteurs étrangers à la question. La géométrie semble n’offrir pour les reconnaître aucun moyen que la vérification à posteriori ; mais voici quelques théorèmes que l’analyse n’avait pas, à ce que je crois, fait encore découvrir.

et qui sont la conséquence immédiate des remarques faites ci-dessus (4, 8, 9,).

1.o Lorsque la différentielle est indépendante de et de les solutions particulières de l’équation différentielle ne peuvent représenter que des droites, et sont conséquemment décomposables en facteurs de la forme

2.o En ce cas, si p, sont les valeurs de tirées de l’équation les solutions particulières correspondantes seront

et la question sera réduite à trouver les valeurs de .

3.o Lorsque l’équation a des solutions particulières, fonctions de seul, l’équation est satisfaite par  ; et, ai l’on substitue cette valeur dans le polynôme , les solutions cherchées seront les facteurs de la forme

4.o Pour trouver les solutions particulières fonctions de seul, on indique ordinairement la règle suivante : « Remplacez, dans l’équation par et si représente le résultat de cette substitution, éliminez entre et  ; vous trouverez alors toutes les solutions fonctions de seul, et en outre les solutions fonctions de et déjà obtenues par la première méthode ». Les principes établis ci-dessus fournissent le moyen d’abréger ce calcul ; il est évident, en effet, que toutes les fois que a des solutions particulières, fonctions de seul, l’équation est satisfaite par et qu’on les obtiendra toutes en substituant zéro au lieu de dans le polynôme et cherchant ensuite ses diviseurs de la forme

  1. On trouve ce point de doctrine nettement déduit de la série de Taylor, sans considération d’infiniment petits, ou autres équivalentes, à la page 361 du III.e vollume du présent recueil.
    J. D. G.
  2. On trouve un exemple de l’introduction de ces enveloppées particulières dans l’équation générale des enveloppes, dans un article de M. Poncelet sur la théorie des polaires réciproques (Annales, tom. VIII, pag. 210-226.)