Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 11/Analise transcendante, article 5

ANALISE TRANSCENDANTE.

Essai d’une nouvelle méthode, servant à intégrer
rigoureusement, lorsque cela est possible, toute
équation différentielle à deux variables :

Par M. le Professeur Kramp, correspondant de l’académie
royale des sciences, doyen de la faculté des sciences
de Strasbourg, chevalier de l’Ordre royal de la Légion d’honneur.
≈≈≈≈≈≈≈≈≈
(Deuxième mémoire.)

Dans un précédent mémoire (pag. 97), nous avons fait voir que toute équation différentielle de la forme

sont des fonctions quelconques de admet une intégrale de la forme

dans laquelle sont d’autres fonctions de et où est la constante arbitraire ; et nous avons vu que la détermination de ces dernières fonctions dépend, en général, de l’intégration d’équations linéaires du second ordre à coefficiens variables.

Nous nous réservons de revenir, dans une autre occasion, sur l’intégration de ces équations. Pour le présent, notre but est uniquement de parcourir successivement les diverses formes que peuvent avoir les fonctions de qui entrent dans l’intégrale, en allant des plus, simples aux plus composées.

Supposons, en premier lieu, que l’intégrale soit

dans laquelle sont des constantes déterminées, et où est la constante arbitraire.

Si l’on change en ce qui est permis, cette formule deviendra

ce qui prouve que, dans la formule (I), on peut transporter les accens des lettres qui en sont affectées à celles qui en sont dépourvues, sans qu’il en résulte autre chose qu’une simple transformation de la constante arbitraire et conséquemment sans que la valeur de délivrée de cette constante, soit aucunement affectée par ce changement.

Si, dans la même formule, on change en et qu’on multiplie ensuite les deux termes de la fraction par ce qui est permis, elle deviendra

et on pourra profiter de l’indétermination de pour rendre trois des coefficiens égaux à trois nombres donnés ; d’où il suit que, dans les deux séries de coefficiens

de la formule (I) on peut toujours amener trois des coefficiens à devenir trois nombres donnés, pourvu que ces coefficiens n’appartiennent pas tous trois à une même série, et qu’on modifie les cinq autres conformément au changement que ceux-là auront éprouvé ; on n’aura fait ainsi, en effet, que l’équivalent d’une transformation de constante arbitraire, et conséquemment la valeur de délivrée de cette constante, ne sera aucunement affectée de ce changement.

En chassant le dénominateur et transposant, la valeur de donne

dont la différentielle est

éliminant entre l’une et l’autre, il viendra, en développant, réduisant et ordonnant,

qu’on pourra représenter par

(D)

en posant, pour abréger,

et l’on pourra évidemment remplacer les deux équations sans numéros par les deux suivantes :

Lors donc que l’on rencontrera une équation différentielle de la forme (D), on sera fondé à soupçonner que son intégrale pourrait bien être de la forme (I), et tout se réduira à déterminer les coefficiens au moyen des six relations ci-dessus ; à la vérité, elles sembleraient insuffisantes pour cet objet, mais nous avons vu tout à l’heure que trois de ces coefficiens étaient tout-à-fait arbitraires ; il n’est donc question que de déterminer les cinq autres en fonction de ces trois-là ; puis donc que nous avons pour cela six équations, il s’ensuit que le problème, loin d’être indéterminé comme il le paraissait d’abord, est, au contraire, plus que déterminé, et que conséquemment il doit exister, entre les six coefficiens une équation de condition, au défaut de laquelle une équation différentielle de la forme (D) ne pourrait être supposée avoir une intégrale de la forme (I).

Nous verrons tout à l’heure quelle est cette équation de condition, et, pour le moment, nous observerons seulement que, si, dans les équations que nous avons numérotées, on transporte les accens des lettres qui en sont affectées à celles qui en sont dépourvues, on ne fera ainsi que changer les signes des six coefficiens ce qui ne changera aucunement la valeur de conclusion tout-à-fait conforme à ce que nous avions d’abord annoncé.

Rien n’est plus facile que de déduire, de ces six équations, deux groupes de quatre équations chacun, tels que dans le premier il n’y entre que les lettres dépourvues d’accens ; et dans le second celles qui en portent, on trouve, en effet,

Il est présentement plus facile d’obtenir l’équation de condition. Si l’on fait successivement le produit des équations (7, 8′) et celui des équations (7′, 8), on aura

prenant la différence de ces équations ; et transposant, nous aurons

mettant ici pour leurs valeurs respectives et divisant ensuite par il viendra, en réduisant et transposant,

Et telle est l’équation de condition qui doit avoir lieu pour qu’une équation différentielle de la forme (D) admette une intégrale de la forme (I).

Lors donc que l’on rencontrera une équation différentielle de la forme (D) qui satisfera à cette condition, on pourra être certain qu’elle a une intégrale de la forme (I), et, pour l’obtenir, on prendra arbitrairement trois des huit coefficiens en les choisissant telles néanmoins qu’ils ne soient ni tous pourvus, ni tous dépourvus d’accens. Supposons, pour fixer les idées, que ce soient les trois coefficiens l’équation (I) fera connaître et ensuite seront donnés par (7, 8), tandis que le seront par (7′, 8′) ; il ne sera donc plus question que de substituer les valeurs de ces coefficiens dans la formule (I) pour avoir l’intégrale demandée[1].

Pour appliquer ce procédé à un exemple, soit l’équation différentielle

nous aurons ici

l’équation de condition est donc satisfaite. En conséquence, nous prendrons arbitrairement

d’après quoi l’équation (1) donnera

on aura ensuite, par les équations (7, 8), (7′, 8′)

au moyen de quoi la valeur générale de sera

comme il est d’ailleurs facile de le vérifier, par la différentiation et l’élimination de

Soit présentement la formule

(I)

on prouvera, comme ci-dessus ; que, par de simples transformations de la constante arbitraire, les accens peuvent être transportés des lettres qu’ils affectent à celles qui en sont dépourvues ; et que, par le même moyen, on peut amener trois des douze coefficiens à devenir égaux à trois nombres donnés arbitrairement, pourvu que ces coefficiens ne soient ni tous trois affectés ni tous trois dépourvu d’accens.

En chassant le dénominateur et transposant, cette formule devient


dont la différentielle est


d’où, en éliminant la constante,


En résolvant cette équation par rapport à développant, réduisant et ordonnant, on obtiendra un résultat de cette forme

(D)

dans lequel on aura

Lors donc qu’on rencontrera une équation différentielle de la forme (D), on sera fondé à soupçonner que son intégrale pourrait bien être de la forme (I) ; et tout se réduira à déterminer, s’il est possible, les coefficiens au moyen des quatorze équations ci-dessus.

Mais ces coefficiens sont au nombre de douze seulement, sur lesquels nous avons vu que trois pouvaient être pris d’une manière tout-à-fait arbitraire ; il n’y en a donc que neuf à déterminer en fonction tant de ces trois-là que des coefficiens dont se compose la valeur de puis donc que nous avons quatorze équations pour déterminer ces neuf coefficiens, il s’ensuit qu’une équation différentielle de la forme (D) ne peut avoir une intégrale de la forme (I) que sous cinq conditions distinctes.

Nous verrons bientôt quelles sont ces conditions ; mais, avant d’y parvenir, occupons-nous à isoler les uns des autres les quinze binômes que renferment nos quatorze équations. Des équations qui ne sont point encore numérotées, on tire facilement, par addition et soustraction,

voilà donc tous ces binômes Isolés les uns des autres, sauf le binôme

Posons, pour abréger,

(15)

d’où

Remarquons présentement que l’on peut, de six manières différentes, faire des combinaisons de quatre sortes de lettres où se trouvent les deux sortes de lettres qui entrent dans savoir :

d’où il suit que le binôme est susceptible de six déterminations différentes, en fonction des quatorze lettres qui entrent dans la valeur de on trouve aisément, en effet,

Or, ces six équations devant donner la même valeur pour il s’ensuit qu’en élirninant entre elles, les cinq équations résultantes en seront les équations de condition cherchées. Nous n’effectuerons pas l’élimination, car la forme des équations résultantes dépendrait uniquement de la manière arbitraire dont nous aurions procédé. Il n’en est pas, en effet, du cas où l’on a plusieurs équations de condition comme de celui où l’on n’en a qu’une seule ; dans ce dernier cas, en effet, en chassant les dénominateurs, et même les radicaux s’il y en a, réduisant et passant tout dans le premier membre, on parviendra toujours à la même équation réduite, sous quelque forme que se présente d’ailleurs l’équation primitive ; tandis qu’au contraire, lorsqu’on a plusieurs équations de condition, elles peuvent être remplacées, d’une infinité de manières différentes, par le système d’un même nombre d’autres équations en même nombre, résultant de leur combinaison, sans qu’il soit possible de deviner, d’après l’un de ces systèmes, la forme des équations primitives desquelles il a été dérivé.

Puis donc que nos six équations sont d’une forme assez simple et symétrique, nous les conserverons sous cette forme. Lorsqu’on voudra en faire usage, il ne s’agira que de déterminer la valeur de au moyen de l’une quelconque des quatre premières, où cette lettre ne se trouve qu’au premier degré, et d’examiner ensuite si cette valeur satisfait aux cinq autres.

On peut remarquer, au surplus, que nos cinq équations de condition donnent les valeurs de en fonction de de sorte que si l’on veut former une valeur de qui soit intégrale algébriquement, on pourra se donner arbitrairement tous les coefficiens du numérateur, tandis que ceux du dénominateur se trouveront tous déterminés par ceux-là.

Des valeurs de nos quinze binômes, il est aisé de déduire deux systèmes de vingt équations chacun, tels que le premier renferme toutes les combinaisons trois à trois des lettres dépourvues d’accens, tandis que le second ne renferme que celles qui en sont affectées voici le premier de ces deux systèmes :

Le second système ne devant différer de celui-là qu’en ce que les petites lettres y portent des accens, nous nous dispenserons de l’écrire, et nous conviendrons d’en désigner les équations, comme ci-dessus, par les mêmes nombres affectés d’accens.

Lors donc que l’on rencontrera une équation différentielle de la forme (D) qui satisfera à nos cinq conditions, on pourra être assuré que son intégrale est de la forme (I), et, pour l’obtenir, on prendra arbitrairement trois des douze coefficiens en les choisissant toutefois de telle sorte qu’ils ne soient ni tous pourvus ni tous dépourvus d’accens. Supposons, pour fixer les idées, que ce soit les trois coefficiens l’équation (1) fera connaître  ; on aura ensuite par les équations (16, 16′) ; les équations (18, 18′) donneront on aura par les équations (20, 20′) ; et enfin par les équations (17, 17′) ; il ne s’agira donc plus que de substituer les valeurs de ces douze coefficiens dans la formule (I) pour avoir l’intégrale cherchée.

Pour appliquer ce procédé à un exemple, soit l’équation différentielle

nous aurons ici

et de là

ces valeurs substituées dans nos équations (), ces équations deviendront

les quatre premières s’accordent à donner valeur qui satisfait également aux deux autres ; nos cinq conditions sont donc satisfaites ; et conséquemment l’intégrale de l’équation proposée est algébrique et de la forme (I).

En conséquence, pour en obtenir l’intégrale, nous prendrons arbitrairement

l’équation (1) donnera

les équations (16, 16′) donneront ensuite

de là on conclura, par les équations (18, 18′),

par les équations (20, 20′)

et enfin par les équations (17, 17′),

Substituant donc toutes ces valeurs dans la formule (I), nous aurons, pour l’intégrale de l’équation proposée,

comme il est d’ailleurs facile de le vérifier par la différentiation et l’élimination de la constante

  1. La formule (D} revient à

    où encore à

    Si l’on a, comme on le suppose ici, en représentant de ces deux binômes par on pourra, dans les dénominateurs des deux membres changer respectivement et en et ce qui changera notre équation en celle-ci :

    posant alors

    elle devient

    or, cette équation appartient à une classe qu’on sait intégrer algébriquement, (Voyez le Traité de calcul différentiel et intégral de M. Lacroix, dernière édition, tome II, page 477, n.o 693), et son intégrale est, comme l’on sait,

    est la constante arbitraire.

    En y changeant en ce qui est permis ; cette intégrale devient

    or, comme le signe de la constante est arbitraire, il suffira d’écrire simplement

    En remettant pour leurs valeurs, nous aurons donc

    ce qui donne

    c’est la formule qui répond au cas où l’on aurait pris arbitrairement respectivement égaux à

    On peut observer, au surplus, que

    dont l’intégrale est

    l’intégrale de sera donc pareillement

    égalant donc entre elles ces deux intégrales, en ajoutant à l’un des deux membres la constante il viendra, en réduisant et passant aux nombres

    ou, en remettant pour leurs valeurs,

    intégrale également algébrique.

    J. D. G.