Essai d’une nouvelle méthode servant à intégrer rigoureusement, lorsque cela est possible, toute équation différentielle à deux variables ;
Par M. le professeur Kramp, correspondant de l’académie royale des sciences, doyen de la faculté des sciences de Strasbourg, chevalier de l’Ordre royal de la Légion d’honneur.
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1. On sait que toute équation différentielle à deux variables a
pour intégrale complète une équation, entre les mêmes variables et
des constantes arbitraires, en nombre égal à celui qui désigne l’ordre
de l’équation proposée ; constantes qui peuvent se trouver impliquées
avec les variables de toutes les manières diverses admises dans l’analise comme moyens de combinaison. Mais, quoiqu’on démontre
très-rigoureusement que, quelle que puisse être la forme de l’équation différentielle, elle a toujours une intégrale, on est bien loin
encore de savoir assigner cette intégrale dans tous les cas.
2. Le problème inverse, c’est-à-dire, celui où étant donné
l’intégrale complète, avec toutes ses constantes arbitraires, on propose de redescendre à son équation différentielle, délivrée de toutes
ces constantes, se montre incomparablement plus traitable. Il ne
s’agit en effet, pour le résoudre, que de différentier l’équation
proposée autant de fois consécutivement qu’il y a de constantes distinctes à faire disparaître, et d’éliminer ensuite ces constantes
entre la proposée et ses différentielles successives. L’ordre, le degré
et la forme de l’équation différentielle résultante dépendront évidemment du nombre des constantes que renfermait la proposée, et de
la manière dont elles s’y trouvaient combinées avec les variables et
les quantités communes.
3. Que si, ensuite, on rencontre une autre équation différentielle, de même forme que celle à laquelle on sera parvenu,
on sera fondé à supposer que l’intégrale de cette dernière doit aussi
être de même forme que celle de la première ; et, par un procédé
analogue à la méthode des coefficiens indéterminés, on pourra essayer
de remonter à celle-ci. Voilà donc un nouveau champ de recherches qui s’ouvre devant nous, et dans lequel nous allons tenter
de nous engager.
4. En ne considérant, en premier lieu, que les équations du
premier ordre, qui ne comportent qu’une seule constante arbitraire,
et supposant qu’elles admettent une intégrale algébrique, cette intégrale ne pourra être que de la forme
où est la constante arbitraire, et où
peuvent être supposées des fonctions rationnelles et entières de puisque, dans le cas où quelques-unes de ces fonctions, se trouveraient affectées de dénominateurs, on pourrait toujours préalablement les faire disparaître.
5. Si de plus l’équation différentielle n’est que du premier degré
seulement, la constante ne devra également entrer qu’au premier
degré dans son intégrale, c’est-à-dire, que cette intégrale sera simplement de la forme
Nous nous occuperons uniquement, dans le présent mémoire, des
équations différentielles dont l’intégrale donne la valeur de en au premier degré seulement, et où conséquemment cette variable
est une fonction rationnelle fractionnaire de la constante c’est-à-dire, que nous ne considérerons, de l’équation précédente, que le
cas très-particulier
6. La différentielle de cette équation est
éliminant donc entre l’une et l’autre, il viendra
ou, en développant et réduisant
Nous sommes donc fondés à considérer toute équation différentielle de la forme
ou sont des fonctions rationnelles et entiers de sans comme devant avoir une intégrale de la forme
où est la constante et où
sont également des fonctions rationnelles et entières de sans et, si nous nous proposons de remonter à cette intégrale, ces quatre dernières fonctions seront les inconnues du problème.
7. En exprimant que les deux équations différentielles sont identiquement les mêmes, ce qui est permis, puisque nous avons admis
des coefficiens à tous les termes, nous aurons
8. On peut simplifier la troisième équation, en lui ajoutant et
lui retranchant successivement la différentielle de la première qui est
on a alors pour résoudre le problème les quatre équations
9. Prenant successivement ; 1.o la somme des produits respectifs
des première et troisième équations par et 2.o la somme
des produits respectifs des deuxième et quatrième par et
3.o la somme des produits respectifs des première et troisième par
et 4.o enfin la somme des produits respectifs des deuxième et quatrième par et et remplaçant chaque fois
(7) par sa valeur il viendra
Nous avons donc décomposé notre problème à quatre inconnues en deux problèmes à deux inconnues, puisque les deux premières équations ne renferment plus que et et les deux dernières et Pour mieux dire, nous l’avons réduit à un seul problème à deux inconnues, puisque les deux dernières équations ne différent uniquement des deux premières qu’en ce que et y ont pris la place de et respectivement. Nous sommes donc fondés à en conclure que si et ne sont pas racines d’une même équation du second degré, ils ne différeront au moins que par des constantes ; et on peut en dire autant de et
10. En prenant successivement la somme et la différence, d’abord des deux premières équations, puis ensuite des deux dernières, il
viendra
Posant donc
ces équations deviendront
11. En posant donc, pour abréger,
ces équations deviendront
12. Au moyen de ces dernières, il est facile, par la différentiation, d’en obtenir d’autres dont chacune ne renferme qu’une
seule des inconnues du problème. Si, en effet, on élimine d’abord
entre les deux équations de la première colonne et la différentielle
de la première et comme deux inconnues au premier degré,
puis qu’entre ces deux mêmes équations et la différentielle de la
dernière on élimine et comme deux autres inconnues au
premier degré ; et si l’on opère d’une manière semblable sur les
équations de la seconde colonne, il viendra
de sorte qu’en posant, pour abréger,
les quatre équations à résoudre seront
13. Au moyen de ces quatre équations, on déterminera d’où on conclura (10) qui (5), substitués
dans la formule
donneront l’intégrale de l’équation
14. On dira peut-être que nous ne faisons que déplacer la
difficulté et même d’une manière désavantageuse, puisque nous
ne faisons que ramener l’intégration d’une seule équation du premier ordre à celle de deux équations du second ; mais observons
que ces dernières sont linéaires, et même de la forme la plus
simple ; et nous verrons bientôt d’ailleurs que, lorsque l’on sait
que l’intégrale de la proposée doit être algébrique et rationnelle, on
peut assigner assez facilement l’intégrale de ces dernières.
15. On pourrait encore objecter que l’intégration de chacune de
ces équations introduisant deux constantes, on se trouvera avoir
bien plus de constantes que ne le comporte la nature du problème ;
mais il faut se rappeler, 1.o que les valeurs de doivent vérifier les quatre équations du premier ordre que nous avons
d’abord obtenues (11) ; 2.o que celles de doivent
vérifier l’équation ; 3.o enfin la valeur de , déduite
de l’intégrale, qui devra vérifier l’équation différentielle proposée ;
ce qui nous fournira les conditions nécessaires pour déterminer les
constantes superflues.
16. Appliquons ces divers procédés à un exemple et soit l’équation différentielle proposée à intégrer
nous aurons
De là nous conclurons successivement
substituant donc dans nos équations du second ordre, en et elles deviendront
ou, en simplifiant,
Les équations qui devront donner et seront donc
Il suffira donc d’obtenir l’intégrale des deux premières pour avoir
celle des deux dernières.
17. Essayons de faire
étant des coefficiens numériques inconnus, nous aurons
substituant dans la première équation, elle deviendra, en ordonnant
exprimant donc que cette équation est Identique, nous auront
Substituant dans la valeur hypothétique de elle deviendra
où et sont les deux constantes arbitraires que comporte l’intégrale.
L’équation en traitée de la même manière, donnera
où et seront les deux constantes.
18. On tirera de là
en se rappelant qu’ici
et substituant (11) dans les équations du premier ordre en et il viendra ; en réduisant,
Ces relations devant subsister quel que soit nous ferons successivement
et les deux équations donneront également
de sorte que nous aurons
nous aurons donc aussi
étant deux nouvelles constantes.
19. Nous conclurons ensuite de là
En nous rappelant qu’ici et substituant ces valeurs dans l’équation
elle deviendra, toutes réductions faites,
équation de relation entre nos quatre constantes,
20. En substituant les valeurs de dans l’équation
elle deviendra, en divisant par
ou encore
ou enfin
d’où l’on voit qu’il n’y a plus proprement qu’une seule constante ; en la représentant par l’équation deviendra simplement
d’où
qui est en effet l’intégrale de l’équation différentielle proposée, comme il est facile de s’en convaincre, par la différentiation et l’élimination de la constante [1]
21. Dans un prochain mémoire, nous nous occuperons soit des
équations différentielles qui admettent une intégrale de la forme
soit de celle dont l’intégrale a la forme
↑ On peut faire, contre cette méthode, l’objection très grave, à ce qu’il nous paraît, que le procédé employé pour intégrer les équations du second ordre en et pouvait tout aussi bien, et sans tant de circuit, être immédiatement appliqué à l’équation proposée du premier ordre seulement en ; mais peut-être tout ceci n’est-il encore qu’un provisoire ? peut-être M. Kramp, étendant sa théorie, comme il paraît en avoir le dessein, aux équations des ordres supérieurs, nous enseignera-t-il dans quelque mémoire subséquent, à intégrer généralement et rigoureusement les équations de la forme
dans le cas où sont des fonctions rationnelles et entières en seulement ; ou tout au moins à en ramener l’intégration à celle de quelque autre équation plus simple, dût-elle être même d’un ordre plus élevé. L’intégrale de cette dernière équation doit être de la forme
où sont aussi des fonctions entières et rationnelles de seulement, inconnus du problème, et où et sont les deux constantes arbitraires. Il s’agirait donc d’exprimer que le résultat de l’élimination de ces constantes entre cette équation et ses première et seconde différentielles, est identique avec la proposée, et de tirer des trois conditions résultantes les valeurs de ou du moins des équations différentielles, d’un ordre quelconque, faciles à intégrer, et dont chacune ne renfermât qu’une seule de ces inconnues.