Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 08/Géométrie transcendante, article 3

GNOMONIQUE.

Méthode universelle, commune à toutes les latitudes,
pour tracer toutes sortes de cadrans solaires ;

Par M. L. B. Francœur, professeur à la faculté des
sciences de Paris, etc.
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On trouve, dans l’ancienne Encyclopédie (Suppl.t au mot Cadran) ; la démonstration d’un procédé très-ingénieux et très-simple, propre à toutes les latitudes, pour tracer des cadrans solaires horizontaux, à l’aide de deux échelles convenablement divisées, et construites à l’avance, une fois pour toutes. La simplicité de ce moyen de construction, qui, n’exigeant qu’un peu d’usage delà règle, se trouve ainsi à la portée des ouvriers même les moins intelligens, en fait une méthode extrêmement remarquable. Mais, dans l’ouvrage cité, la démonstration m’en ayant semblé très-laborieuse, et de nature à conduire à des résultats imparfaits, j’ai cru faire une chose utile, en essayant de reprendre toute cette doctrine, pour la présenter sous un jour tout-à-fait nouveau. Je ferai voir ensuite avec quelle facilité la méthode s’applique au tracé des cadrans verticaux ou inclinés, déclinans ou non déclinans.

Soit le centre d’un cadran horizontal (fig. 1), c’est-à-dire, le point où ce cadran est rencontré par le style, que l’on sait d’ailleurs devoir être, dans tout cadran quelconque, dirigé vers le pôle. Soient la méridienne ou la projection du style, et CB une perpendiculaire à cette méridienne, et par conséquent la ligne de six heures. On sait que dans le cadran horizontal, les lignes horaires qui répondent à des heures également distantes de part et d’autre de midi, font aussi de part et d’autre des angles égaux avec la méridienne. On sait, en outre, que les lignes horaires qui répondent aux heures qui précèdent six heures du matin ou qui suivent six heures du soir, ne sont que les prolongemens respectifs de celles qui appartiennent aux heures correspondantes d’avant six heures du soir, ou d’après six heures du matin. Ainsi tout se réduit à savoir tracer les lignes horaires qui répondent aux heures comprises entre midi et six heures du soir.

Soit une de ces lignes horaires, répondant à une heure donnée quelconque, comprise entre ces limites. Soit menée une droite arbitraire joignant un point quelconque de la méridienne à un point quelconque de la ligne de six heures. La ligne horaire sera connue, si nous connaissons en quel point elle coupe la droite que nous supposons fixe ; et ce point sera connu, à son tour, si nous parvenons à déterminer sa distance au point Cherchons donc l’expression de cette distance.

Faisons d’où résultera la relation

(1)

nous aurons

Soit fait d’où

nous aurons

c’est-à-dire,

Mais, à cause de la proportionnalité des sinus des angles aux côtés qui leur sont opposés, on a

ce qui donnera, en substituant,

Cela posé, concevons une sphère qui ait son centre au centre du cadran. La méridienne la ligne horaire et la direction du style, détermineront sur cette sphère les sommets d’un triangle sphérique rectangle dans lequel l’un des côtés de l’angle droit sera la hauteur du pôle ou la latitude du lieu, l’autre l’arc qui mesure l’angle inconnu et l’angle oblique opposé à ce dernier, l’angle horaire qui répond à l’heure indiquée par à raison de par heure.

Désignant donc cet angle horaire par et la latitude du lieu par nous aurons, par les théories connues,

Cette valeur étant substituée dans celle de ci-dessus, elle deviendra enfin

Si ensuite on désigne par le milieu de on aura

c’est-à-dire, en substituant et réduisant

(2)

Or, la transversale étant arbitraire, et les grandeurs ne se trouvant conséquemment liées entre elles que par la seule relation (1), il nous est permis de les lier encore par deux autres relations ; ou, ce qui revient au même, nous pouvons supposer constant et donné, et établir une nouvelle relation entre et et c’est à ce dernier parti que nous nous arrêterons.

Or, l’inspection de la formule (2) montre que, parmi toutes les relations que nous pourrions choisir, celle que nous devons préférer est

(3)

car alors cette formule (2) devient simplement

c’est-à-dire

(4)

D’un autre côté, en combinant entre elles les relations (1, 3) pour en éliminer il vient

de sorte que, si l’on fait

(5)

étant un angle auxiliaire, on aura

c’est-à-dire

(6)

Présentement, on peut remarquer, et c’est principalement en ceci que consiste le mérite de la méthode ; on peut remarquer, dis-je, que ou étant pris d’une longueur arbitraire, mais déterminée et constante, ainsi que nous venons de le supposer plus haut ; se trouve tout-à-fait indépendante de la latitude, et de l’angle horaire. Ainsi, pour toutes les latitudes, on pourra employer une même règle ou échelle sur laquelle seront marqués, une fois pour toutes, les points qui répondent aux diverses lignes horaires qu’on se propose de tracer sur le cadran ; et, au moyen d’une autre règle où seront aussi marqués, une fois pour toutes, les points qui répondent aux diverses latitudes, et qu’on appliquera le long de il ne s’agira, pour une latitude donnée, que de fixer l’extrémité de la première règle au point de celle-ci qui répondra à cette latitude[1]. Tout se réduit donc à diviser les deux règles et nous allons bientôt voir que rien n’est plus facile.

I. Construction de l’échelle des heures. Avant d’enseigner à construire cette échelle, nous ferons remarquer, 1.o que, si l’on pose ainsi qu’il arrive à trois heures, la formule (4) donne 2.o que si l’on pose successivement il viendra valeurs qui ne diffèrent que par le signe. Ainsi, lorsque la règle est disposée de la manière qui convient à la latitude, 1.o la ligne de trois heures doit passer par son milieu 2.o les lignes horaires également distantes de part et d’autre de trois heures coupent cette règle en des points symétriquement disposés de part et d’autre du point

On voit donc que tout se réduit à diviser la moitié de cette règle, en répétant les divisions dans un ordre rétrograde pour son autre moitié. Or, la formule (4) montre que l’opération se réduit à ce qui suit ; soit (fig. 2) la moitié de cette règle ; soit élevée au point la perpendiculaire et soit menée Alors, pour avoir le point de qui répond à une heure donnée, on mènera par une droite faisant avec un angle égal à l’angle horaire correspondant ; et l’intersection de cette droite avec sera le point cherché ; car on aura

En décrivant donc, entre les côtés de l’angle et d’un rayon quelconque, le demi-quadrans divisant ce demi-quadrans en trois, six ou douze parties égales, suivant qu’on voudra marquer les heures, les demi-heures ou les quarts-d’heures, et menant des droites du point aux points de division ; ces droites détermineront les divisions de qu’il faudra ensuite porter sur son prolongement vers

II. Construction de l’échelle des latitudes. Au point de (fig. 3) soit menée à cette droite une perpendiculaire et soit menée à par le point la parallèle indéfinie Du point comme centre et avec le rayon soit décrit le quadrans Alors, pour obtenir le point de division de qui répond à une latitude donnée, on prendra sur de en un arc égal à cette latitude ; on abaissera la perpendiculaire sur on mènera coupant en enfin, en abaissant perpendiculaire sur son pied sera le point demandé.

En effet, en menant et perpendiculaire sur on aura

c’est-à-dire

comme l’exige la formule (6)[2].

III. Réduction en tables. Quelques simples que puissent paraître les constructions que nous venons d’indiquer, elles présentent, comme tous les procédés graphiques, l’inconvénient de n’offrir qu’une précision subordonnée à l’adresse de celui qui opère, et, dans tous les cas, très-limitée. Nous croyons donc faire une chose utile en réduisant en tables les divisions de nos deux échelles, c’est-à-dire, les deux formules (4 et 6) ; ce qui est très-aisé, au moyen des tables de sinus et de logarithmes. Nous supposons, dans ces tables, la longueur ou c’est-à-dire que nous supposons l’échelle des heures divisée en un million de parties égales, ce qui est plus que suffisant pour le cas même où le cadran aurait l’excessive étendue d’un mètre quarré ; mais on sera toujours libre de n’admettre que division dans cette échelle, en rejetant un, deux, … chiffres sur la droite dans tous les nombres des deux tables.

La correspondance des divisions de de part et d’autre du point qui répond à trois heures, nous a permis de donner à la première table, calculée de trois en trois minutes de temps, une disposition analogue à celles des tables trigonométriques. Quant à la seconde, nous l’avons calculée de degré en degré, pour les deux premiers tiers du quadrans ; et de deux en deux degrés seulement pour le troisième tiers ; ce qui paraît plus que suffisant.

Table des heures.
Table des latitudes.

La figure 6 représente les deux échelles, divisées suivant ces tables, en supposant à la longueur d’un décimètre,

Si l’on considère présentement que tout cadran solaire vertical ou incliné, déclinant ou non déclinant, pourvu toutefois que sa surface soit plane, est un cadran horizontal pour le point de la surface de la terre dont le plan tangent serait parallèle à celui de ce cadran, on verra aussitôt que la méthode que nous venons de donner pour tracer un cadran horizontal est également applicable à la construction de tout cadran quelconque. Il faut seulement substituer à la latitude du lieu celle du point du globe pour lequel le plan tangent est parallèle à celui du cadran, et avoir égard à la différence dans la manière de compter les heures qui naît de la différence entre la longitude de ce point et celui du lieu pour lequel le cadran est destiné.

Soient donc la longitude et la latitude du lieu ; soient et les mêmes élémens pour le point du globe dont le cadran horizontal est parallèle à celui qu’il s’agit de tracer. Soient enfin l’inclinaison du plan du cadran, c’est-à-dire, l’angle qu’il fait avec le plan horizontal, mesuré au-dessus de ce dernier plan et du côté du nord, et la déclinaison du même plan, c’est-à-dire, l’angle que fait l’horizontale tracée sur ce plan, avec l’horizontale qui joint les points d’est et d’ouest, mesuré à l’est, et au nord de cette dernière droite ; d’après ces notations, on trouvera aisément

(7)

(8)

Cela posé. Lorsqu’on voudra tracer un cadran plan quelconque, on choisira sur sa surface un point pour centre, par lequel on mènera une horizontale et une perpendiculaire à cette horizontale. Le complément de l’angle de cette perpendiculaire avec la verticale sera l’inclinaison du cadran que l’on prendra pour et qu’on fera positive ou négative suivant que le cadran regardera le midi ou le nord.

Par le centre du même cadran, on concevra une seconde horizontale perpendiculaire à la méridienne horizontale du lieu ; on prendra pour l’angle de cette horizontale avec la première, en donnant à le signe plus ou le signe moins, suivant que le plan du cadran regardera l’orient ou l’occident.

À l’aide de et et de la latitude du lieu on calculera par les formules (7, 8) ; d’où on conclura et On n’aura nul égard au signe de mais on aura attention à celui de

On posera le style qui, comme nous l’avons déjà dit, doit toujours passer par le centre du cadran, et être constamment dirigé vers le pôle. On en déterminera la projection sur le cadran : ce serait la ligne de midi pour le lieu pour lequel le cadran serait horizontal. On mènera, par le centre, une perpendiculaire à cette projection : ce serait la ligne de six heures pour le même lieu.

On disposera ensuite l’échelle des heures sur ces deux lignes, comme nous l’avons dît ci-dessus pour les cadrans horizontaux ; mais en employant la latitude au lieu de la latitude

Enfin, on tracera les lignes horaires, mais en observant que, pour tracer par exemple la ligne horaire qui répond à l’heure quelconque il faudra employer le point de division de l’échelle des heures qui répond à l’heure

Dans le cas particulier, et le plus ordinaire, où le cadran est vertical, les formules (7 et 8) deviennent simplement

Je ne sais si je m’abuse, mais il me paraît que les quelques pages qui précèdent peuvent suppléer, avec avantage, les nombreux et volumineux traités qu’on a écrit sur la gnomonique.

  1. On peut même construire sur ces principes un système de règles en bois, ou mieux en cuivre, qui faciliterait beaucoup l’opération. Deux de ces règles tout-à-fait fixes et d’une longueur arbitraire seraient perpendiculaires l’une à l’autre ; la troisième d’une longueur invariable, et ayant toujours ses extrémités sur les deux premières ne devrait changer de situation, dans l’angle que pour un changement de latitude ; enfin, la quatrième d’une longueur indéfinie, et ne pouvant que tourner autour du point pourrait se fixer à tous les points de et dirigerait le crayon dans le tracé des lignes horaires.
  2. À ces constructions on peut, au surplus, substituer les suivantes, qui se présentent moins naturellement, à la vérité ; mais qui ont peut-être l’avantage de donner les points de division des deux échelles d’une manière moins confuse.

    I. Échelle des heures. Sur comme rayon (fig. 4), soit décrit le quadrans et menée la corde soit pris l’arc double de l’angle horaire ; soit menée coupant en ; le pied de la perpendiculaire abaissés de ce point sur sera le point cherché.

    II. Échelle des latitudes. Sur la ligne de six heures, soit prise une partie (fig. 5) ; sur sa moitié soit décrit le quadrans soit pris l’arc égal à la latitude ; soit menée parallèle à et coupant en soit menée prolongée jusqu’à la circonférence en décrivant alors un arc du point comme centre, et avec le rayon cet arc déterminera sur le point cherché.

    Le lecteur s’assurera facilement que ces constructions reviennent à celles du texte.