Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 07/Géométrie analitique, article 6

GÉOMÉTRIE DE LA RÈGLE.

Solution et construction, par la géométrie analitique,
de deux problèmes dépendant de la géométrie de
la règle ;

Par M. Gergonne.
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En montrant, dans un précédent article (page 289 de ce volume), comment la géométrie analitique, convenablement employée, peut conduire, pour la solution des problèmes de géométrie, à des constructions bien supérieures, pour l’élégance et la simplicité, à celles que fournit la géométrie pure, j’ai promis d’ajouter encore de nouveaux exemples de cette vérité à celui qu’offrait cet article.

C’est dans la vue de remplir cette promesse, que je me propose ici de résoudre les deux problèmes suivans :

PROBLÈME I. À une ligne quelconque du second ordre, inscrire un triangle dont les côtés passent par trois points donnés ; en n’employant que la règle seulement ?

PROBLÈME II. À une ligne quelconque du second ordre, circonscrire un triangle dont les sommets soient sur trois droites données ; en n’employant que la règle seulement ?

Le premier de ces deux problèmes, borné seulement au cercle, et sans exclure l’emploi du compas, a été longtemps célèbre ; et depuis Pappus, qui en a traité un cas très-particulier, beaucoup d’illustres géomètres en ont fait le sujet de leurs recherches.

En 1810, j’essayai d’y appliquer la géométrie analitique, toujours pour le cas du cercle ; elle me conduisit à une construction fort simple qui a paru dans les recueils de l’Académie du Gard ; mais on n’y pouvait parvenir qu’à la suite d’un calcul assez laborieux ; et, comme je n’avais pas aperçu que cette construction n’exigeait que l’emploi de la règle, je ne songeai nullement à l’étendre à toutes les sections coniques.

À la page 126 du 1.er volume du présent recueil, je proposai de démontrer géométriquement la solution graphique que j’avais obtenue, sans faire connaître l’analise qui m’y avait conduit. On me fit aussitôt observer que ma construction pouvait s’étendre indistinctement à toutes les lignes du second ordre ; et c’est ce qui me détermina à généraliser mon premier énoncé, comme on le voit à la page 259 du même volume. MM. Servois et Rochat donnèrent l’un et l’autre (pag. 337 et 342) une solution du problème ainsi généralisé.

Mais autre chose est de légitimer par le raisonnement une construction déjà connue ou de parvenir à cette construction. Je me propose donc de faire voir ici comment la géométrie analitique, bien employée, conduit à cette même construction d’une manière pour ainsi dire inévitable.

Comme il est très-aisé de ramener le dernier de nos deux problèmes au premier, c’est d’abord de celui-ci uniquement que je m’occuperai ; et, comme un problème du domaine de la géométrie de la règle est résolu, pour toutes les sections coniques, dès qu’il l’est pour une seule d’entre elles, je supposerai, pour plus de simplicité, que la courbe dont il s’agit est une parabole.

Je réduirai donc le problème au suivant :

PROBLÈME. Inscrire à une parabole un triangle rectiligne dont les côtés, prolongés s’il est nécessaire, passent par trois points donnés sur le plan de cette courbe ?

Solution. Soient les points donnés, et les sommets du triangle cherché ; de telle sorte que soit sur sur et sur

Il est évident que, si l’un des sommets, le sommet par exemple, était connu, le problème pourrait être réputé résolu ; car, en menant de ce point des droites par les points leurs intersections avec la parabole détermineraient respectivement les deux autres sommets Occupons-nous donc uniquement de la recherche de ce point

Soit le paramètre de la parabole dont il s’agit. Soit pris son axe pour axe des , et la tangente à son sommet pour axe des Soient alors les coordonnées tant des points donnés que des points cherchas , ainsi qu’il suit :


D’abord, puisque sont des points de la courbe, on doit avoir

(1)

En second lieu, puisque chacun des points est en ligne droite avec deux de ceux-là, on doit avoir

(2)

Voilà donc six équations, au moyen desquelles on peut déterminer les six coordonnées des trois points inconnus  ; mais, comme nous bornons notre recherche à celle du point il nous suffira d’éliminer entre les cinq dernières ; il en résultera une équation en et qui, jointe à la première, nous fera connaître les coordonnées du point cherché.

Mais on peut, par une combinaison convenable de ces six équations, en obtenir d’autres incomparablement plus simples, En retranchant, en effet, deux à deux, les équations (1), on obtient celles-ci

(3)

En comparant ces équations respectivement aux équations (2), on en déduit les suivantes

(4)

en chassant les dénominateurs dans ces dernières et en y remplaçant respectivement par leurs valeurs données par les équations (1) elles deviendront enfin

équations délivrées de  ; et entre lesquelles il n’est plus question que d’éliminer et pour obtenir la valeur de .

L’élimination de entre les deux dernières donne

ou, en chassant les dénominateurs et transposant,

Éliminant enfin entre celle-ci et la première des équations (5) il viendra

ou, en chassant les dénominateurs et réduisant,

En remplaçant par son équivalent toute l’équation sera divisible par et pourra ensuite être écrite ainsi

ce qui revient à

(A)

Telle est donc l’équation qu’il faudrait combiner avec l’équation pour obtenir les deux coordonnées du point cherché  ; puis donc que l’équation est celle de la parabole donnée, et que l’autre n’est que du premier degré seulement ; il en faut conclure que celle-ci est l’équation d’une droite qui coupe la parabole donnée au point cherché

Tout se réduit donc à construire la droite ou, ce qui revient au même, à déterminer deux points de sa direction ; ce qui revient encore à trouver deux systèmes de relations entre et qui y satisfassent.

Or, les deux systèmes de relations les plus naturels à établir pour y satisfaire sont les suivans :


donc le point déterminé par les équations et le point déterminé par les équations sont deux points de la direction de

On pourrait, pour déterminer chacun de ces points, tirer les valeurs de et des deux couples d’équations par lesquels ils sont donnés ; mais il est incomparablement plus commode de construire les quatre droites elles-mêmes. L’intersection des deux premières sera le point celle des deux dernières sera le point

Nous examinerons tout-à-l’heure ce que peuvent être les droites occupons-nous seulement, pour le présent, de la construction des droites  ; ou, pour mieux dire, de la construction de l’une d’elles ; car on voit assez que est par rapport au point ce que est par rapport au point

La droite () serait déterminée, si nous connaissions deux quelconques des points de sa direction. Or, on voit d’abord que cette droite passe par le point d’où il suit qu’il ne s’agit plus que d’en trouver un autre point ; or, ce point sera donné par deux relations entre et qui résolvent également l’équation () ; et, entre toutes les relations qu’il soit possible de choisir, les plus simples sont, sans contredit ; les suivantes :

La droite () est donc une droite menée par les points et et ce dernier point, lui-même ; se trouve déterminé par l’intersection des droites

Pour de semblables raisons, la droite ( sera une droite menée par le point et par un point intersection des deux droites

Notre construction se trouve donc réduite ainsi à celles des trois droites ou plutôt à celle de la première seulement ; puisque les deux autres sont respectivement, par rapport aux points , ce qu’est celle-ci par rapport au point .

Or, soit pris sur la parabole donnée un point quelconque la tangente à la courbe en ce point sera, comme l’on sait

ou, en réduisant et mettant pour

(1)

Supposons, en second lieu, qu’il soit question de mener à la parabole une tangente par un point extérieur  ; en représentant par les coordonnées du point de contact ; on aura pour déterminer ce point les deux équations

et(2)

dont la première exprime que le point de contact est sur la courbe, tandis que la seconde exprime que le point satisfait à l’équation (1). Puis donc que l’équation est du second degré et l’autre du premier seulement, on aura deux points de contact et conséquemment deux tangentes par le point

Dans la recherche de ces deux points de contact, au lieu de tirer des équations (2) les deux systèmes de valeurs qu’elles fournissent pour et il revient au même et il est plus commode de construire les lignes qu’expriment ces deux équations. Puis donc que la première est celle de notre parabole elle-même, et que l’autre n’est que du premier degré seulement, cette dernière doit appartenir à une droite passant par les points où les deux tangentes touchent la courbe, c’est-à-dire, que cette droite est la polaire du point

On voit donc, d’après cela, que nos trois droites , à la construction desquelles nous avons ramené notre problème, ne sont autre chose que les polaires respectives des trois points

Or, comme la droite polaire d’un point donné, sur le plan d’une section conique, peut se construire à l’aide de la règle seulement, il s’ensuit que nous pouvons étendre notre construction à une section conique quelconque ; et voici à quoi elle se réduit.

Construction I. Soient trois points donnés à volonté, sur le plan, d’une ligne du second ordre quelconque ; et supposons qu’il soit question d’inscrire à la courbe un triangle dont les côtés, prolongés au besoin, passent respectivement par les trois points donnés.

Soient les trois sommets inconnus, devant se trouver sur sur et sur

Soient construites les polaires des points représentons-les respectivement par et se coupant en et en et en Soient menées coupant respectivement en alors la courbe sera coupée respectivement en par en par en par

On doit remarquer, au surplus, que chacune de ces droites coupera la courbe en deux points, et qu’ainsi le problème aura deux solutions. On doit remarquer encore, comme nous l’avons déjà fait plus haut, que tout peut se réduire à la construction du point d’où il est facile de conclure les deux autres. Il est donc superflu de déterminer le point et conséquemment de mener la droite

Le second problème se ramène facilement à celui-ci.

Construction II. Soient trois droites données à volonté, sur le plan d’une ligne du second ordre quelconque ; et supposons qu’il soit question de circonscrire à la courbe un triangle dont les sommets soient sur les trois droites données.

Soient les points inconnus où la courbe doit être touchée par les côtés du triangle, étant son point de contact avec le côté qui se termine à et le point de contact avec le côté qui se termine à et et enfin le point de contact avec le côté qui se termine à et

Cherchez les pôles respectifs des droites Opérez sur ces pôles et sur les droites comme vous l’avez fait dans le problème précédent ; les sommets du triangle inscrit dont les côtés passent par seront en même temps les points de contact de la courbe avec les côtés du triangle cherché.

Ce qui nous a principalement déterminé à prendre ces deux problèmes pour exemple de nos méthodes, c’est que M. Lhuilier, dans ses Élémens d’analise géométrique et d’analise algébrique, insinue que, soit sous le rapport de la mise en équation, soit sous celui de la construction, la géométrie analitique, qu’il appelle la Méthode des coordonnées, ne paraît guère leur être commodément applicable. Nous pensons que les géomètres qui prendront la peine de comparer nos constructions à celles qu’on déduit des considérations purement géométriques, en jugeront d’une toute autre manière.

Dans un prochain article, nous essayerons d’étendre nos procédés au problème général où il s’agit soit d’inscrire à une ligne du second ordre un polygone de côtés, dont les côtés passent par un même nombre de points donnés, soit de circonscrire à la même courbe un polygone de côtés dont les sommets se trouvent sur un pareil nombre de droites données.