Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 06/Philosophie mathématique, article 1

PHILOSOPHIE MATHÉMATIQUE.

Doutes et réflexions sur quelques principes fondamentaux
de la mécanique rationnelle ;

Par M. Dubuat, chevalier de l’ordre royal et militaire
de St-Louis, professeur à l’école royale de l’artillerie
et du génie.
≈≈≈≈≈≈≈≈≈

J’ai déjà insinué, dans le précédent volume de ce recueil (pag. 215), qu’il y avait une sorte de contradiction, du moins apparente, entre certaines applications du principe des momens et le principe qui permet de transporter le point d’application d’une force en un lieu quelconque de sa direction. Je me propose de revenir ici sur ce sujet d’une manière plus spéciale ; et je commencerai par me proposer le problème suivant.

PROBLÈME. Des forces quelconques, appliquées à différens points d’un corps solide et ayant une résultante unique, étant données de grandeur et de position ; on demande le point d’application de leur résultante ?

La solution de ce problème, qui ne présente aucune difficulté, serait absolument sans intérêt, si l’auteur d’un traité de statique très-répandu n’avait fait la remarque que le problème est indéterminé, et que le calcul se borne à donner les équations de la droite qui représente la direction de la résultante, et sur laquelle se trouve le point demandé. C’est à la page 119 de la statique de M. Poinsot qu’est faite cette remarque, fondée sur ce que les valeurs des données du point d’application de la résultante se présentent sous la forme lorsqu’on veut les déterminer par les équations auxquelles conduit la recherche de cette résultante. Cela doit en effet être ainsi, suivant M. Poinsot, parce que la résultante pouvant être supposée appliquée à un point quelconque de sa direction, il est impossible que le calcul détermine l’un de ces points de préférence à tous les autres[1].

Si ce raisonnement était exact, il s’ensuivrait que le calcul ne pourrait donner le point d’application de la résultante de deux forces parallèles, ni de deux forces qui agissent suivant une même droite, ni même de deux forces qui concourent en un point ; car la résultante pouvant être supposée appliquée à un point quelconque de sa direction, il serait impossible que le calcul déterminât l’un de ces points de préférence à tous les autres[2].

Sans pousser plus loin ces conséquences absurdes, il est facile d’apercevoir le défaut du raisonnement de M. Poinsot. Le principe, supposé vrai, qu’une force peut être censée appliquée à un point quelconque de sa direction n’empêche pas que la résultante d’un certain nombre de forces, agissant sur un corps solide, n’ait un point d’application déterminé[3] ; et, si d’ailleurs les équations qui doivent déterminer la résultante donnent des valeurs pour les coordonnées de son point d’application ; au lieu de dire, avec M. Poinsot, que cela doit être, parce que la résultante est censée appliquée à un point quelconque de sa direction ; on dira que cela doit être, par la raison bien simple que les équations d’une droite ne déterminent pas l’un des points de cette droite plutôt que tout autre ; et on en conclura qu’il faut, outre les équations de la résultante, une autre équation entre les coordonnées de son point d’application, pour la détermination complète de ce point.

Solution. Soient donc les composantes, parallèles aux axes, des forces appliqués à différens points d’un système solide libre. Soient les composantes parallèles aux axes de leur résultante dont soit le point d’application ; on aura, comme l’on sait[4], pour l’intensité de la résultante,

(1)

et sa direction sera donnée par les trois équations

dont chacune est comportée par les deux autres, au moyen de la condition

(3)

qui exprime que la résultante est unique. Ces équations se réduisent donc ainsi à deux, et ne peuvent conséquemment déterminer autre chose que la direction de la résultante, et non les coordonnées de son point d’application. Il s’agit donc de trouver une nouvelle équation entre les mêmes coordonnées.

Soient respectivement, les angles que forme la direction de la résultante avec les axes des ces angles seront connus par les équations de cette résultante, et l’on aura

(4)

Cela posé, si l’on imagine un plan normal à la direction de la résultante, et passant par son point d’application ; en désignant par les coordonnées de ce point, la perpendiculaire abaissée sur ce plan du point aura pour longueur

(5)

Si ensuite on décompose chacune des forces en deux autres, l’une perpendiculaire et l’autre parallèle au plan dont il s’agit, les composantes de la première sorte seront

pour la force
pour la force
pour la force

d’où il suit que

(6)

sera la composante totale de parallèle à la résultante, et qu’ainsi son moment par rapport à notre plan normal sera (5)

(7)

ou, en développant,

Si l’on exécute la même décomposition pour les autres composantes du système, on en déduira des résultats analogues. On aura donc, au lieu des puissances du système, d’autres puissances ; dont les unes seront parallèles à la résultante, tandis que les autres lui seront normales ; ces dernières devront donc se détruire ; et la somme des momens des premières, par rapport à notre plan normal devra être nulle, puisque ce plan est supposé passer par le point d’application de la résultante. En exprimant donc que la somme des formules semblables à (8), relatives à toutes les forces, est nulle ; remarquant que les quantités constantes et leurs fonctions peuvent être placées hors du signe et qu’enfin

(9)

il viendra

(10)

ou enfin, en remettant pour les valeurs données par les équations (4).

(11)

Or, puisque sont les coordonnées du point d’application de la résultante, on doit avoir (2)

(12)

En combinant deux quelconques de ces trois équations avec l’équation (11), posant pour abréger

(13)

(14)

(15)

et ayant égard aux équations (1 et 3), il viendra

(16)

telles sont donc les coordonnées du point d’application de la résultante Si l’on suppose cette résultante parallèle à l’axe des on aura

d’où

ce qui donnera

c’est-à-dire,

Si en outre on supposait que les puissances primitives , sont parallèles à cet axe des ces puissances ne seraient autre chose que les composantes tandis que les autres composantes seraient nulles ; on aurait donc alors simplement

(17)

formules qui vont nous servir à constater une erreur, dans la théorie actuelle de la pression des fluides sur les corps flottans[5].

On sait que les pressions exercées par un fluide pesant sur les divers points de sa surface antérieure d’un corps flottant, ont une résultante unique et verticale, égale au poids du volume de fluide déplacé, et passant par le centre de gravité du volume de la carêne, supposée homogène. À l’égard du point d’application de cette résultante, il est le même, suivant tous les auteurs d’Hydrostatique, que le centre de gravité du volume de la carène ; cependant, si on, le détermine par les formes que nous venons d’exposer, on trouvera, en le comparant à ce centre, que la verticale comprise entre le point d’application de la résultante des poussées du fluide et le plan de flottaison est double de la verticale comprise entre ce même plan et le centre de volume de la carène. C’est donc une erreur de dire que ces deux points se confondent en un seul. Cependant cette erreur serait assez indifférente, si le principe déjà cité, qu’une force peut être censée appliquée à un point quelconque de sa direction, était vrai généralement et sans exception ; car, en vertu de ce principe, le centre de volume de la carène, qui est toujours sur la direction verticale de la résultante des poussées du fluide, pourrait être pris pour le point d’application de la résultante. Il en serait de même à l’égard d’une résultante ou même d’une force quelconque ; il suffirait, dans tous les cas, de connaître sa direction, et la recherche de son point d’application serait tout à fait inutile. Or, nous avons déjà eu occasion de remarquer (Annales, tom. V, pag. 215), qu’il n’est pas toujours permis de déplacer le point d’application d’une force, et de le porter sur un autre point de sa direction[6]. En revenant ici sur cette remarque, nous allons essayer de développer ce que nous n’avions fait qu’indiquer en l’endroit cité.

Le principe dont il s’agit n’est plus aujourd’hui réputé une simple hypothèse ; c’est une proposition démontrée, ou du moins que l’on croit l’être, et dont l’énoncé est :

« On ne change rien à l’action d’une force, en transportant son point d’application en un peint quelconque de sa direction, pourvu que ce second point soit censé lié au premier, par une droite inflexible, et que l’intensité et la direction de la force soient restées les mêmes. »

Admettons d’abord la proposition, et voyons quelles en seraient les conséquences.

1.o La condition de stabilité d’un corps solide, flottant sur un fluide pesant, est que le centre de gravité du corps soit inférieur, dans la position d’équilibre, au centre des pressions du fluide ; ou, si le premier de ces deux points est supérieur au second, il faut, pour la stabilité de l’équilibre, que leur distance verticale soit moindre qu’une longueur donnée par le calcul, et dépendante de l’étendue et de la figure de la flottaison, ainsi que de la masse du corps. Mais, en se permettant de déplacer, à volonté, le point d’application des forces, tout cela se simplifie, et l’équilibre est toujours stable ou, si l’on veut, ne l’est jamais. Veut-on que l’équilibre soit stable ? On déplace le point d’application de la résultante des poussées du fluide, dans la position d’équilibre, et on le porte, sur la direction verticale de cette résultante, au-dessus du centre de gravité du corps ; cela suffit, comme nous venons de le dire, pour que l’équilibre soit stable. Veut-on, au contraire, qu’il ne le soit pas ? On porte le centre de pression, sur la même verticale assez au-dessous du centre de gravité pour qu’il en soit ainsi. En faisant ces déplacemens, on a soin de dire que le point d’application de la force et le point de sa direction auquel on le transporte sont censés liés entre eux par une verge inflexible et inextensible[7].

2.o La durée des oscillations d’un pendule dépend, non seulement de l’amplitude des oscillations et du moment d’inertie du pendule, mais encore de la distance verticale de son centre de gravité au centre ou à l’axe de rotation, dans la position d’équilibre. Or, le centre de gravité d’un corps est le point d’application de la résultante des actions exercées par la gravité sur les molécules matérielles de ce corps[8] ; le centre de gravité peut donc être déplacé sur sa verticale, tout comme le point d’application de toute autre force peut l’être sur sa direction[9]. Ce déplacement étant fait, dans la position d’équilibre du pendule, le centre de gravité étant transporté au centre de rotation, la durée des oscillations est nulle. On pourrait lui donner une valeur quelconque, en déplaçant convenablement le centre de gravité[10].

3.o Ce que nous venons de dire convient, avec quelques modifications, à tous les systèmes, et, en particulier, à un système de corps pesans. La distinction des équilibres stables et non stables de système suppose que la hauteur du centre de gravité est variable, et la détermination de la durée des oscillations, que le système peut faire sur une position d’équilibre stable, dépend de la valeur de l’ordonnée verticale du centre de gravité, dans la position d’équilibre. En vertu du déplacement des forces, le centre de gravité n’est pas en un point plutôt qu’en un autre de sa verticale ; d’où il suit qu’il ne devrait être question ni de la distinction des équilibres stables et non stables, ni de la durée des oscillations d’un système de corps pesants, dans tout traité de mécanique où on a démontré, dès les premières pages, qu’une force peut être supposée appliquée en l’un quelconque des points de sa direction[11].

La démonstration de ce principe est fondée sur plusieurs autres propositions, dont la première est celle-ci :

« Deux forces égales et contraires appliquées aux deux extrémités d’une droite inflexible, et agissant dans la direction de cette droite, sont en équilibre. »

Il est certain que l’équilibre a lieu entre les deux forces ; mais la preuve que l’on en donne, et qui consiste à dire qu’il n’y a pas de raison pour que le mouvement naisse d’un doté plutôt que de l’autre, n’est peut-être pas aussi claire qu’elle pourrait d’abord le paraître. En l’appliquant aux Couples de M. Poinsot ; composés de deux forces égales, parallèles et contraires, on en conclurait que les deux forces d’un même couple sont en équilibre ; car on pourrait dire aussi qu’il n’y a pas de raison pour que le mouvement naisse plutôt dans le sens de l’une de ces forces que dans le sens de l’autre[12]. Si l’on objectait que les momens des forces, par rapport au centre de masse du corps solide auquel on les suppose appliquées pouvant être inégaux, cette inégalité détruit l’identité entre les actions des deux forces, nous objecterions à notre tour que la même inégalité de momens peut exister dans le cas de deux forces égales et contraires, appliquées aux extrémités d’une droite faisant partie d’un corps solide, et agissant dans la direction de cette droite[13]. Les momens des forces, par rapport à un plan normal à leur direction, et passant par le centre de masse du corps, peuvent être inégaux ; ce qui détruit aussi l’identité parfaite que suppose la preuve. Mais laissons là cette preuve, et voyons la suite de la démonstration.

La seconde proposition dont on y fait usage peut être énoncée de la manière suivante.

« Si des forces appliquées à un système sont en équilibre, elles se détruisent, et sont à l’égard du système, comme si elles n’existaient pas ; en sorte qu’il est permis, dans tous les cas, de faire abstraction de ces forces, lorsqu’elles sont appliquées au système, ou de les y supposer appliquées lorsqu’elles ne le sont pas réellement. »

C’est principalement sur celle proposition, admise jusqu’à présent sans preuve, qu’est établie la démonstration du théorème relatif au déplacement du point d’application des forces. Il importe donc d’examiner si cette proposition est vraie en général, ou si, au contraire, elle admet des exceptions dans quelques cas particuliers.

Or, les équations de l’équilibre et celles du mouvement d’un système étant respectivement

Si on ajoute aux forces ou si l’on en retranche d’autres forces en équilibre, et satisfaisant par conséquent à la première équation, il est évident que ces nouvelles forces ne changeront rien à l’expression commune aux deux équations ; d’où il semblerait permis de conclure que des forces en équilibre se détruisent et s’évanouissent également, soit dans les formules de la statique soit dans celles de la dynamique. Mais on sait que, pour obtenir certaines conditions ou pour parvenir à certains résultats du mouvement d’un système, il faut différentier la seconde équation, et évaluer la différentielle dans une position d’équilibre. Cette différentielle devient alors une fonction des forces en équilibre, telle que ces forces ne s’y évanouissent plus ; ce qui suffit pour prouver que des forces en équilibre ne se détruisent pas toujours et ne sont pas toujours, à l’égard d’un système, comme si elle n’existaient pas.

Cependant, lorsqu’il ne s’agit que des conditions de l’équilibre ou, plus généralement, lorsque la solution d’un problème n’exige pas que la formule soit différenciée et évaluée dans une position d’équilibre, nous venons de voir que des forces supposées en équilibre se détruisent, et peuvent être regardées comme nulles ; il est donc permis alors de changer le point d’application d’une force, et de le porter en un autre point de sa direction, pourvu (et c’est la condition énoncée dam tous les traités) que le second point Soit lié ou censé lié, c’est-à-dire ; regardé comme lié au premier, par une verge inflexible et inextensible.

Ici se présentent naturellement deux questions. Que signifient ces expressions : censés liés ou regardés comme liés ? Si le point auquel on transporte la force fait partie d’un système, sa liaison avec le point d’application est déterminée par la nature du système ; elle est par conséquent indépendante de tout ce qu’on peut imaginer en disant que les deux points sont liés ou censés liés entre eux par une verge inflexible et inextensible. Si ; au contraire, le second point est pris hors du système, sa liaison avec le premier est tout à fait arbitraire, et toujours telle qu’on voudra le supposer. La fiction exprimée par ces termes : censés liés ou regardés comme liés, est donc inutile dans le second cas et contradictoire dans le premier[14]. On éviterait ce double inconvénient, en réduisant la condition du déplacement des forces à ce que le second point, s’il fait partie du système, soit tel que sa distance au premier soit, par la nature même de ce système, constante et invariable. Mais, cette condition est-elle absolument nécessaire ? et ne peut-il exister qu’une seule espèce de liaison entre deux points, dont l’un est le point d’application d’une force, et l’autre celui auquel il est permis de transporter ce point d’application, telle est la seconde question qu’il s’agit de résoudre[15].

Or, la propriété en vertu de laquelle un point situé sur la direction d’une force peut être pris pour le point d’application de cette force, consiste en ce que deux forces égales et contraires, appliquées aux deux points, suivant la direction de la droite qui les joint, sont en équilibre. Il faut donc, après avoir posé les équations de l’équilibre, en conclure les équations de condition qui peuvent avoir lieu entre les coordonnées de ces deux points.

Soient donc ces coordonnées ; les forces égales et opposées, appliquées aux deux points ; soient aussi

les équations de condition, entre les coordonnées ; les équations de l’équilibre seront

et étant deux indéterminées. En nommant la résultante des forces et désignant par la distance entre les deux points on a

où il est facile de conclure

et étant des indéterminées dépendant des premières. Substituant ces valeurs dans la première équation de condition, il vient

ou simplement

On trouverait le même résultat en prenant les valeurs de et les substituant dans la seconde équation de condition. Donc il ne peut y avoir qu’une seule équation de condition entre les coordonnées des deux points ; et cette équation exprime que la distance entre ces deux points est constante et invariable.

Il suit de tout ce qui a été dit ci-dessus que le théorème relatif au changement du point d’application des forces est sujet à des exceptions, dans plusieurs cas connus ; que, hors de ce cas, le théorème est démontré, ainsi que la condition à observer dans la manière de déplacer ce point. Mais il se présente encore ici une question à examiner ; c’est la suivante :

Le théorème relatif au déplacement du point d’application des forces, peut-il être démontré au commencement d’un traité de mécanique ; et peut-il conséquemment être considéré comme devant servir de fondement à cette science ?

En réduisant la question au seul cas de l’équilibre, pour lequel le théorème est vrai, généralement et sans exception, et en l’énonçant de la manière suivante : Lorsqu’il s’agit d’exprimer les conditions de l’équilibre d’un système, il est permis de transporter les points d’application des forces à des points quelconques de leur direction, pourvu que ces points, s’ils font partie du système soient à des distances fixes et invariables des points réels d’application[16] ; en renonçant, disons-nous, de cette manière, sa démonstration dépend, comme nous l’avons déjà remarqué, de celle d’une autre proposition, laquelle, réduite aussi au cas de l’équilibre, est : Si, parmi les forces appliquées à un système, il s’en troupe qui soient d’elles-mêmes en équilibre, leur existence dans le système ne changera rien aux conditions de l’équilibre entre les autres forces qui lui sont appliquées.

C’est donc cette dernière proposition qu’il faudra démontrer, à moins pourtant qu’on ne veuille l’admettre comme évidente d’elle-même. La difficulté de trouver une démonstration antérieure à toute théorie, et fondée uniquement sur la définition des forces en équilibre, fera probablement qu’on s’en tiendra à ce dernier parti[17]. Mais alors il conviendra d’expliquer pourquoi cette proposition, vraie sans exception en statique, ne l’est point toujours en dynamique[18]. Quoi qu’il en soit, en l’admettant comme un théorème démontré ou comme une proposition évidente d’elle-même, il est facile d’en conclure la formule générale de l’équilibre entre des forces quelconques, appliquées à un système aussi quelconque.

Soient en effet des forces en équilibre, appliquées aux différens points d’un système ; et supposons la condition d’équilibre exprimée par l’équation

(1)

Soient d’autres forces, indépendantes des premières, appliquées aux mêmes points ; la condition de l’équilibre entre les forces totales sera

ou, en supprimant dans le développement la partie détruite par l’équation (1), et désignant par les fonctions dérivées de prises successivement par rapport à

En vertu de la proposition mentionnée plus haut, les forces en équilibre doivent s’évanouir, et il ne doit rester dans le premier membre de l’équation que les forces donc les fonctions dérivées sont des dimensions nulles, et la fonction primitive est linéaire ; ce qui change l’équation (1) en celle-ci

(2)

étant des coefficiens encore inconnus ; mais indépendans de l’intensité des forces.

Cela posé, lorsque la résultante des forces qui agissent le point est perpendiculaire à la surface courbe sur laquelle ce point est assujetti à se mouvoir, c’est-à-dire, lorsqu’on a l’équation de condition les forces sont en équilibre, et la somme des termes qui contiennent ces forces doit s’évanouir ; donc l’expression linéaire doit être de la forme étant indépendant des forces. Par une raison semblable doit être de la forme et ainsi de suite ; de sorte que l’équation (2) devient

(3)

De plus, lorsqu’il y a, entre les coordonnées des deux points ainsi qu’entre les forces qui leur sont appliquées, la réaction exprimée par

les forces considérées ensemble sont en équilibre, et doivent conséquemment s’évanouir, et il en serait de même pour deux autres groupes de forces quelconques[19] ; d’où il suit qu’on doit avoir ce qui réduit l’équation (3) à

dans laquelle le facteur indépendant des forces, ne peut donner une condition d’équilibre en l’égalant à zéro ; donc enfin l’équation générale de l’équilibre doit être simplement

[20]
  1. M. Poinsot n’a fait, ce me semble, en ceci, qu’énoncer d’une manière un peu plus positive ce que tous les géomètres qui ont écrit dans ces derniers temps ont implicitement admis. Aucun d’eux n’a songé, plus que lui, à assigner le point d’application de la résultante. J’avouerai que moi-même j’ai constamment jusqu’ici professé la même doctrine qu’eux.
    J. D. G.
  2. J’ai aussi constamment pensé jusqu’ici que le calcul ne pouvait proprement donner le point d’application de la résultante, soit de deux forces parallèles, soit de deux forces qui agissent suivant la même droite, soit enfin de deux forces qui concourent en un même point.
    J. D. G.
  3. Il me paraît, au contraire, que ces deux choses s’excluent formellement ; qu’est-ce en effet qui distinguerait, autrement, le point d’application effectif de la résultante de celui où, on peut la supposer appliquée ?
    J. D. G.
  4. Voyez, Prony, Francœur, Poinsot, Labey ou Poisson.
  5. Serait-ce trop hasarder que de dire qu’en calculant les formules (16), M. Dubuat n’a peut-être fait autre chose qu’assigner un point de la direction de la résultante, lié par une loi géométrique ou analitique tout à fait arbitraire, avec d’autres points, pris arbitrairement sur les directions des composantes. Qu’est-ce en effet que le moment d’une force ? Peut-il être quelque chose indépendamment d’une définition ? Et, quelque définition qu’on en veuille donner, les momens peuvent-ils avoir, à priori, quelques propriétés non renfermées, du moins implicitement, dans la définition qu’on aura voulu en donner ? J’ai déterminé la résultante de plusieurs forces parallèles (et je n’ai eu nullement besoin pour cela de connaître leurs points d’application), je cherche la distance de cette résultante à un plan fixe, parallèle aux directions des forces ; je trouve que cette distance est égale à la somme des produits des composantes par leurs distances à ce plan, divisée par la somme de ces mêmes composantes, c’est-à-dire, par la résultante ; j’en conclus que le produit de la résultante par sa distance à un plan fixe, parallèle à la direction commune des forces, est égal à la somme des produits des composantes par leurs distances au même plan ; je prévois que je serai souvent dans le cas de rappeler cette proposition ; cette pensée me fait désirer d’en pouvoir abréger l’énoncé : dans celle vue, je conviens d’appeler moment d’une force le produit de cette force par sa distance à un plan parallèle à sa direction ; et dès-lors ma proposition se réduit à dire simplement que le moment de la résultante est égal à la somme des momens des composantes. Tout est, dans ce cas, clair et intelligible ; mais, du moment que je compare une force à un plan non parallèle à sa direction, je n’aperçois plus de moment, du moins d’après le sens que je viens tout-à-l’heure d’attacher à ce mot. À la vérité, je pourrais bien, en généralisant la définition, appeler moment d’une force le produit de cette force par la distance de son point d’application à un plan quelconque ; mais, s’il est admis que ce point peut être pris arbitrairement sur sa direction, il s’ensuivra, comme M. Dubuat l’a fort bien observé lui-même (Annales, tom. V, pag. 215), qu’excepté le cas du parallélisme au plan, le moment d’une force est tout ce qu’on voudra.

    En vain objectera-t-on, contre cette doctrine, que tous les géomètres reconnaissent l’existence d’un centre, des forces parallèles ; qu’est-ce, en effet, que ce centre ? le voici : on prend arbitrairement, sur les directions de plusieurs forces parallèles, des points que l’on suppose fixes ; on imagine ensuite que les forces, toujours appliquées à ces points, changent d’une manière quelconque leur direction commune ; on trouve que, dans ce changement, la résultante est toujours dirigée vers un même point fixe, et c’est ce point qu’on nomme le centre des forces parallèles. Mais, outre que rien de semblable ne saurait plus exister, lorsque les forces cessent d’être parallèles ; qui ne voit que, même dans le cas où elles sont telles, ce qu’on appelle centre des forces est tout aussi arbitraire et que les points pris arbitrairement sur les directions de ces forces ?

    J. D. G.

  6. Il est permis, je crois, de déplacer le point d’application d’une force, lorsque cette force doit conserver invariablement la même direction ; mais, si elle doit changer de direction par rapport au système auquel elle est appliquée ou, ce qui revient au même, si ce système doit changer de situation par rapport à elle, on ne jouira plus de la même faculté ; le point d’application de la force sera alors celui par lequel sa direction ne cessera de passer, malgré le changement survenu. C’est, en particulier, le cas des corps pesans ; c’est également celui des corps solides flottant sur des fluides.
    J. D. G.
  7. Pour parvenir à la condition de stabilité de l’équilibre d’un corps flottant, on est obligé de comparer sa position d’équilibre à une autre position qui en soit très-voisine. Il y a donc lieu, dans ce cas, à l’exception mentionnée dans la note précédente.
    J. D. G.
  8. Dans toutes les situations que ce corps peut prendre dans l’espace.
  9. Oui, dans le cas d’équilibre ; non, dans celui du mouvement.
  10. Cette seconde objection me paraît devoir se résoudre comme la première.
  11. Même réponse encore que ci-dessus,
    J. D. G.
  12. C’est aussi là ce qui arrive ; le système n’est alors entraîné dans le sens d’aucune force, ou plutôt il l’est également dans le sens de l’une et de l’autre ; car c’est à cela que revient au fond le mouvement de rotation que ces forces tendent à faire naître.
  13. L’une et l’autre objections me sembleraient être tout au moins prématurées ; on ne peut guère savoir ce que c’est que des momens, ni de quelles propriétés ils jouissent, lorsqu’on n’en est encore qu’à la démonstration du principe dont il s’agit ici. D’ailleurs, encore une fois, loin que la mécanique doive recevoir ses lois de la théorie des momens, cette théorie me semble au contraire devoir être absolument subordonnée aux principes de cette science ; principes au défaut desquels les momens sont et ne peuvent être que des fonctions tout à fait insignifiantes.
    J. D. G.
  14. Quelques auteurs, pour démontrer les conditions de l’équilibre du polygone funiculaire, transportent d’un nœud au nœud voisin les points d’application des forces ou de leurs résultantes. Ces nœuds sont donc censés liés entre eux par une droite inflexible. Cependant, d’après la définition du polygone funiculaire, donnée par les mêmes auteurs, les nœuds sont assemblés par des cordes flexibles ; il y a donc ici contradiction.
    Note de M. Dubuat
  15. Voici comment j’ai cru devoir entendre jusqu’ici la faculté de déplacer le point d’application d’une force. Une force étant appliquée à un point d’un système, je prends arbitrairement un second point sur la direction de cette force. Si ce point est un point du système qui, par sa nature, soit invariablement lié avec le premier, je suppose que la force lui est appliquée ; si c’est, au contraire, un point de l’espace, tout à fait étranger au système, je ne puis y transporter la force sans imaginer, au préalable, une liaison de ce point avec le premier. Il m’importe peu, au surplus, que la condition de distance invariable entre le deux points soit nécessaire ; tout ce qu’il faut pour mon but, c’est qu’elle soit suffisante.

    Dans la statique, il doit être permis, en outre, de transporter une force d’un point d’un système à un autre point du système non lié avec lui d’une manière invariable ; car, lorsque l’équilibre existe dans un système, cet équilibre doit subsister ; à plus forte raison, si l’on conçoit que le système se soit tout-à-coup solidifié. On peut donc, dans le polygone funiculaire en équilibre, supposer tout les nœuds liés entre eux d’une manière invariable,

    J. D. G.

  16. J’avoue que je n’ai jamais bien compris ce que pouvait être, en statique, le point réel d’application d’une force. Loin que je croie difficile d’admettre qu’une force peut être transportée suivant sa direction ; il me semble au contraire que toute la difficulté consisterait plutôt ici à bien établir qu’il n’est pas permis de transporter une force parallèlement à sa direction (Voyez Annales, tom. I, pag. 175, à la note).
  17. Ce serait assez mon avis, et cela précisément parce que la proposition dont il s’agit me semble résulter évidemment de la définition de l’équilibre.
  18. J’ai quelquefois pensé que les forces, considérées indépendamment du mouvement qu’elles peuvent faire naître, n’étant que des êtres de raison, on avait peut-être tort de vouloir isoler la science de l’équilibre de celle du mouvement. Ne serait-ce pas à cette cause que tiendraient en partie les difficultés théoriques que l’on rencontre dès l’entrée de la mécanique ?
    J. D. G.
  19. Cette proposition étant facile à établir, nous en supprimons la démonstration, pour abréger.
    Note de M. Dubuat.
  20. M. Dubuat voudra peut-être bien me pardonner la manière franche dont j’ai hasardé de combattre quelques assertions répandues dans le cours de son mémoire. Si même il considère la liberté avec laquelle j’en ait usé à son égard comme un témoignage de l’estime que je lui porte, il ne fera que me rendre une justice rigoureuse. Loin que je regarde son travail comme inutile ou déplacé, je pense au contraire que c’est à des dissertations du genre de la sienne que ce recueil doit être principalement consacré ; et je me ferai toujours un devoir d’accueillir avec empressement toutes celles qui auront pour objet d’éclaircir et de perfectionner les doctrines fondamentales qui constituent proprement la philosophie de la science.
    J. D. G.