Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 06/Géométrie analitique, article 3

GÉOMÉTRIE ANALITIQUE.

Construction géométrique des équations du deuxième
degré à deux et à trois variables ;

Par M. Bérard, principal et professeur de mathématiques
du collège de Briançon, membre de plusieurs sociétés
savantes.
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Le sujet dont je me propose ici d’entretenir le lecteur a déjà été tant de fois rebattu, qu’il n’est plus, pour ainsi dire, permis d’y revenir de nouveau, sans bien préciser d’abord ce qu’on se propose d’ajouter aux théories déjà connues.

On n’avait encore, pour la recherche des grandeur et direction des diamètres principaux, dans les lignes et surfaces du second ordre, que des méthodes indirectes et compliquées, lorsqu’en 1810 je publiai, dans mes Opuscules, l’équation dont les racines sont les quarrés des demi-diamètres principaux des lignes du second ordre, rapportées à des axes rectangulaires ; équation que j’y déduisais de la méthode de maximis et minimis.

M. Gergonne, ignorant sans doute ce que j’avais fait sur ce sujet, y revint peu après, par des procédés analogues (Annales, tom. II, pag. 335)

Auparavant (Annales, tom. II, pag. 33), M. Bret avait donné, par la transformation des coordonnées, appliquée d’une manière ingénieuse qui lui est propre, l’équation qui conduit à la détermination des diamètres principaux, dans les surfaces du second ordre, rapportées à des axes rectangulaires.

En octobre 1813 (Annales, tom. III, pag. 105), je donnai, pour la première fois, l’équation aux quarrés des demi-diamètres principaux des lignes et surfaces du second ordre, rapportée à des axes obliques quelconques. Cette équation remarquable, ainsi que les théorèmes que j’en ai déduits, ont été reproduits par M. Binet (Journal de l’école polytechnique, XVI.e cahier, pag. 321), par M. Hachette (Traité des surfaces du second degré, Paris 1813), et par M. Garnier (Géométrie analitique, pag. 372).

M. Bret (Annales, tom. IV, pag. 93), étendit ensuite ses méthodes au cas général des axes obliques.

Je rassemblai tout ce que j’avais fait sur ce sujet dans un mémoire que je publiai en 1814 (voyez l’annonce, Annales, février 1814), et dans lequel je m’occupai également des lignes et surfaces du second ordre dépourvues de centre, dont il n’avait pas encore été traité jusqu’alors.

M. Gergonne (Annales, tom. V, pag. 61), a donné une méthode très-simple et très-remarquable, pour la discussion géométrique des équations du second degré à deux et à trois variables, dans l’hypothèse des axes obliques ; mais on peut raisonnablement regretter que l’auteur n’ait point été aussi heureux dans la recherche des longueurs des demi-diamètres principaux.

Enfin, M. Bret (Annales, tom. V, pag.357), a donné une méthode nouvelle, assez briève, et dégagée de toute application du calcul différentiel, pour parvenir, dans les lignes et surfaces qui ont un centre, et, quelle que soit la direction des axes, à l’équation dont les racines sont les quarrés des demi-diamètres principaux.

Il est certes bien loin de ma pensée de revenir ici de nouveau sur le mode de discussion employé par M. Gergonne, et qui paraît laisser bien peu de choses à désirer ; mon dessein est seulement, en admettant comme déjà connues toutes les vérités que ce mode de discussion, ou tout autre équivalent, peut faire découvrir, de montrer comment on peut facilement construire la ligne ou la surface dont l’équation est donnée, du moins lorsque cette ligne ou cette surface a un centre ; car je ne dois pas dissimuler que, pour le cas où elle en est dépourvue, je n’ai encore rien trouvé d’assez simple, d’assez élégant et d’assez symétrique pour oser ici en occuper le lecteur. On trouvera au surplus, dans le mémoire rappelé plus haut, ce que j’ai pu faire de mieux à cet égard.

§. 1.

Construction des lignes du second ordre.

Lorsqu’une ligne ou portion de ligne du second ordre est tracée sur un plan, la méthode la plus simple que l’on puisse employer pour en déterminer le centre est la suivante : on y trace, sous une direction quelconque, deux ou un plus grand nombre de cordes parallèles, dont les milieux déterminent la direction d’un certain diamètre ; on répète la même opération pour d’autres cordes parallèles, d’une direction différente de celle des premières ; et on obtient ainsi un second diamètre. Si ces deux diamètres se coupent, la courbe a un centre, lequel n’est autre que leur intersection ; s’ils sont parallèles, tous les autres diamètres que l’on pourrait construire leur seraient également parallèles, et la courbe est dépourvue de centre, ou, en d’autres termes, elle a son centre situé à une distance infinie ; si enfin ces deux diamètres se confondent, tout autre diamètre se confondrait avec eux, et la courbe a une infinité de centres, situés sur une même ligne droite.

Imitons ce procédé par l’analise. Soit

(1)

l’équation de la courbe dont il s’agit ; l’angle des coordonnées étant supposé

Soit l’équation d’une corde quelconque parallèle à l’axe des en combinant cette équation avec la proposée, celle-ci deviendra

les deux valeurs de déduites de cette équation seront les ordonnées des extrémités de la corde dont il s’agit. Mais le coefficient du second terme d’une équation du second degré, pris avec un signe contraire, étant la somme de ses racines, il en résulte que, pour le milieu de cette corde, on aura

en changeant donc en , dans cette dernière équation, l’équation résultante

sera celle du lieu géométrique des milieux de toutes les cordes parallèles à l’axe des c’est-à-dire, l’équation du diamètre qui coupe toutes ces cordes en deux parties égales.

On peut remarquer que cette équation n’est autre chose que la dérivée de la proposée (1), prise par rapport à seulement ; et en conclure que la dérivée de la même équation, prise par rapport à seulement, sera l’équation du diamètre coupant en deux parties égales les cordes parallèles à l’axe des

Il suit de là que les équations des diamètres coupant en deux parties égales les cordes parallèles aux deux axes sont

En thèse générale ces deux diamètres se couperont : ils seront parallèles si l’on a

d’où

enfin ils se confondront, si l’on a en outre,

ou

d’où

Dans le premier cas, la courbe aura un centre ; dans le second, elle en sera dépourvue, enfin dans le troisième, elle en aura une infinité, tous situés sur une droite dont l’équation sera

occupons-nous uniquement du premier de ces trois cas.

Nous venons d’observer que, lorsqu’une ligne du second ordre a un centre, ce centre est déterminé par l’intersection de deux quelconques de ses diamètres. Si, de ce même centre et d’un rayon quelconque, on décrit un cercle, ce cercle coupera, en général, la courbe en quatre points, lesquels seront les extrémités de deux diamètres égaux, symétriquement situés par rapport aux diamètres principaux ; de sorte que la droite qui divisera en deux parties égales l’angle de ces deux diamètres, indiquera par sa direction celle de l’un des diamètres principaux. Si donc on prend le rayon du cercle de telle manière que les deux diamètres se confondent, l’un des diamètres principaux se confondra aussi avec eux, et le rayon du cercle sera la moitié de ce diamètre.

Imitons analitiquement ce procédé. D’abord la combinaison des équations (2) donne, pour les équations du centre

(3)

En y transportant l’origine, et posant, pour abréger

(4)

l’équation (1) devient

(5)

L’équation du cercle ayant son centre à la nouvelle origine, et son rayon égal à est

(6)

Soit donc l’équation du diamètre passant par l’une des intersections des deux courbes, il viendra, en substituant dans les équations (5) et (6),

d’où on conclura, par l’élimination de

(8)

Telle est donc l’équation qui donnera les directions des deux diamètres qui passent par les intersections de la courbe avec le cercle dont le centre coïncide avec le sien, et dont le rayon est

Si nous supposons ce rayon indéterminé, nous pourrons profiter de son indétermination pour faire coïncider les deux diamètres, lesquels auront alors pour direction commune celle de l’un des diamètres principaux ; et la valeur qui en résultera pour sera la moitié de la longueur de ce diamètre.

Il faut pour cela que l’équation (8) ait ses deux racines égales ; c’est-à-dire, qu’il faut que son premier membre soit un quarré, ou du moins puisse le devenir, à l’aide d’un multiplicateur convenable, indépendant de En la multipliant par elle devient

Or, sous cette forme, on voit qu’elle sera un quarré si l’on a

c’est-à-dire,

(9)

et qu’alors la racine de ce quarré sera

(10)

La première de ces deux équations fera connaître les deux valeurs de et on en conclura, au moyen de la seconde, les valeurs correspondantes de Il est difficile de penser qu’aucune autre voie puisse conduire aussi brièvement à la détermination des grandeurs et directions des demi-diamètres conjugués.

§. II.

Construction des surfaces du second ordre.

Lorsqu’une surface ou portion de surface du second ordre est donnée dans l’espace, la méthode la plus simple que l’on puisse employer pour en déterminer le centre est la suivante : on lui mène, sous une direction quelconque, trois ou un plus grand nombre de cordes parallèles, non comprises dans un même plan, dont les milieux déterminent la position d’un certain plan diamétral ; on répète la même opération pour deux autres systèmes de cordes parallèles, d’une direction différente de celle des premières ; on obtient ainsi deux autres plans diamétraux. Si les trois plans se coupent en un point, la surface a un centre, lequel n’est autre que leur intersection ; s’ils se coupent tous trois, suivant une même droite, la surface a une infinité de centres situés sur cette droite ; s’ils se confondent, elle a une infinité de centres situés sur l’un d’eux ; enfin s’ils sont parallèles, ou si seulement leurs intersections deux à deux sont parallèles, la surface est dépourvue de centre ou, en d’autres termes, elle a son centre situé à une distance infinie.

Imitons ce procédé, par l’analise ; soit

(1)

l’équation de la surface dont il s’agit, les angles des coordonnées étant

Soient les équations d’une corde quelconque, parallèle à l’axe des  ; en combinant ces équations avec la proposée, celle-ci deviendra.

Les deux valeurs de déduites de cette équation, seront les coordonnées, parallèles aux des deux extrémités de la corde dont il s’agit. Mais le coefficient du second terme d’une équation du second degré, pris avec un signe contraire, étant la somme de ses racines, il en résulte que, pour le milieu de cette corde, on doit avoir

en changeant donc en et en dans cette dernière, l’équation résultante

sera celle du lieu géométrique des milieux de toutes les cordes parallèles à l’axe des c’est-à-dire, l’équation du plan diamétral qui coupe toutes ces cordes en deux parties égales.

On peut remarquer que cette équation n’est autre chose que la dérivée de la proposée (1), prise par rapport à seulement ; et en conclure que les dérivées de la même équation, prises successivement par rapport à et seront les équations des plans diamétraux coupant en deux parties égales les cordes respectivement parallèles aux axes des et des

Il suit de là que les équations des plans diamétraux coupant en deux parties égales les cordes parallèles aux trois axes sont

En thèse générale ces trois plans se couperont en un point : Ils se couperont suivant une même droite, lieu des centres, si l’on a, à la fois,

ils se confondront en un seul, lieu des centres, si l’on a, à la fois

enfin, ils n’auront aucun point commun, et conséquemment la surface sera dépourvue de centre, si l’on a

Occupons-nous uniquement du cas où les trois plans se coupent en un point.

Nous venons de voir que, lorsqu’une surface du second ordre a un centre, ce centre est déterminé par l’intersection des trois quelconques de ses plans diamétraux. Si de ce même centre, et d’un rayon quelconque, on décrit une sphère, cette sphère coupera en général la surface suivant une courbe à double courbure, aux différens points de laquelle menant des rayons, ces rayons seront les élémens rectilignes d’une certaine surface conique ayant même centre que la sphère. Mais, si l’on prend le rayon de la sphère de telle manière que tous ces élémens se confondent en une seule droite, cette droite indiquera, par sa direction celle de l’un des diamètres principaux, et le rayon qui remplira cette condition sera la moitié de la longueur de ce diamètre.

Imitons analitiquement ce procédé. D’abord, en posant pour abréger

il viendra (2), pour les coordonnées du centre,

En y transportant l’origine, et faisant encore pour abréger

(4)

l’équation (1) deviendra simplement

(5)

L’équation de la sphère ayant son centre à la nouvelle origine et son rayon égal à est

(6)

Soient donc les équations du diamètre passant par l’un quelconque des points de l’intersection des deux surfaces ; il viendra, en substituant dans les équations (5) et (6),

d’où on conclura par l’élimination de

Telle est donc la relation qui doit exister entre et pour que la droite, dont les équations sont et soit située sur la surface du cône. On voit qu’à chaque valeur de l’une de ces quantités répondront deux valeurs de l’autre ; ce qui revient à dire que tout plan conduit par l’origine perpendiculairement, soit au plan des soit au plan des coupera la surface conique suivant deux de ses génératrices.

Mais, si l’on suppose que le rayon, ait été choisi de manière que toutes ces génératrices se confondent entre elles et avec un des diamètres principaux ; il devra arriver que, soit qu’on résolve l’équation (8) par rapport à ou qu’on la résolve par rapport à la valeur de l’une ou de l’autre de ces quantités sera unique ou, ce qui revient au même, se réduira uniquement à sa partie rationnelle. En exprimant cette double condition, c’est-à-dire, en supprimant le radical dans cette équation résolue successivement par rapport à et à et chassant ensuite le dénominateur, on obtiendra, en transposant, les deux équations

lesquelles ne sont, au surplus, que les dérivées de (8), prises successivement par rapport à et par rapport à Telles sont donc les équations qui feront connaître les valeurs de et de qui conviennent aux diamètres principaux, lorsque toutefois, sera déterminée conformément à la présente hypothèse.

Au moyen de ces équations, l’équation (8) se simplifie ; en en retranchant en effet la somme des produits respectifs de celles-ci par et elle devient

(10)

Éliminant donc et de cette dernière, au moyen des équations (9), et faisant encore usage des abréviations déjà employées ci-dessus il viendra

Cette dernière équation fera connaître les longueurs des demi-diamètres principaux ; on en conclura ensuite leurs directions, au moyen des équations (9). On conviendra encore ici qu’il n’est guère présumable que tout autre procédé puisse conduire au but d’une manière tout à la fois aussi simple et aussi élémentaire.

Ceux qui désireront plus de développemens sur ce sujet, pourront consulter l’ouvrage déjà côté sur la Discussion et la construction des lignes et surfaces du second ordre ; ouvrage dans lequel je me suis principalement attaché à faire connaître les caractères et la construction des huit cas que présente l’équation à deux variables, et des quinze cas que présente celle qui en renferme trois.