Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 03/Analise transcendante, article 4

ANALISE TRANSCENDANTE.

De l’intégration des équations linéaires d’un ordre
quelconque, à coefficiens constans, dans le cas des
racines égales ;
Par M. F. M.
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À M. le Rédacteur des Annales,

Monsieur,

On sait qu’en procédant à l’intégration des équations linéaires, à coefficiens constans, la substitution de au lieu de semble en défaut, lorsque deux ou un plus grand nombre de racines de l’équation en sont égales entre elles ; et que d’Alembert publia en 1748, une méthode très-ingénieuse pour écarter cette difficulté. Cependant, quel que soit le mérite de cette méthode, adoptée par Euler, dans son calcul intégral, et depuis par les auteurs de tous les traités sur cette matière, il m’a semblé qu’elle laissait à désirer un procédé plus rigoureux.

Je n’ignore pas qu’au fond le moyen employé par d’Alembert, et par les autres géomètres après lui, peut être entièrement justifié, soit par des considérations tirées de la théorie des limites, soit en faisant adroitement disparaître dans les termes à conserver (par un calcul un peu long quand il y a plus de deux racines égales) la quantité infiniment petite dont on a supposé que les racines venaient à différer. Mais cette petite différence que, dans tous les traités que je connais, l’on annulle, sans que les quantités deviennent nulles en même temps, occasione toujours de l’embarras aux commençans, qui ne peuvent pas encore saisir le véritable esprit de la démonstration.

Je pense donc que la méthode suivante, qui n’est point sujette aux mêmes difficultés, et qui a l’avantage de donner immédiatement l’expression générale de l’intégrale, quels que soient l’ordre de l’équation et le nombre des racines égales, pourrait être introduite, avec avantage, dans les élémens ; et c’est pour lui donner la publicité nécessaire que je me suis déterminé, Monsieur, à vous l’adresser.

§. I. Cas où toutes les racines sont égales.

Soit l’équation

on sait que son intégrale complette est

étant les racines de l’équation

qui provient de la substitution de au lieu de dans l’équation (P).

Quand toutes les racines de l’équation (Q) sont égales entre elles et à l’intégrale assignée se réduit à

mais cette valeur de n’est plus qu’une intégrale particulière, puisqu’elle ne renferme qu’une seule constante arbitraire

La simple substitution de au lieu de parait donc être ici en défaut, et ne pouvoir faire connaître la véritable intégrale de la proposée (P).

Cependant, puisque cette substitution satisfait toujours à l’équation différentielle, et puisque le défaut apparent de la méthode dépend d’une certaine relation existante entre les coefficiens constans supposons

étant une fonction de qu’on peut espérer de déterminer en telle sorte que l’intégrale renferme le nombre de constantes arbitraires nécessaire à la question.

Remarquons auparavant que, dans le cas où l’équation (Q) a toutes ses racines égales, comme elle est équivalente à on a

le signe supérieur ou le signe inférieur devant être pris, dans la valeur de , suivant que est pair ou impair.

En conséquence, la proposée devient

or, on sait que, lorsqu’une fonction est de la forme et étant des fonctions de , on a

pourvu qu’on écrive le développement avec les précautions convenables ; c’est-à-dire, qu’on a

mais, quand , on a, par la nature de la fonction ,

donc,

mais la forme de la proposée, dans le cas actuel, est

en mettant donc, dans le second membre de cette dernière équation, au lieu de leurs valeurs en tirées de la forme générale (R), égalant ensuite entre elles les deux valeurs de , et divisant de part et d’autre par on aura l’équation identique

ce qui donne et, en intégrant,

donc

valeur qui, renfermant constantes arbitraires, est l’intégrale complette de la proposée (P).

§. II. Cas où quelques racines seulement sont égales.

Lorsqu’il n’y a que racines de l’équation (Q) qui soient égales entre elles et à  ; étant supposé égal à l’intégrale se réduit à

ou

intégrale qui n’est que particulière, puisqu’au lieu de ou constantes arbitraires, elle n’en renferme que

Dans ce cas, l’équation (Q) revient à

Considérons séparément le premier facteur, et posons l’équation

Il est évident, par le cas général que nous venons de traiter, que cette équation se rapporte à l’équation différentielle

dont toutes les solutions seraient égales entre elles ; en sorte que son intégrale se présenterait sous la forme particulière

Si donc, en raisonnant comme dans le cas général, nous instituons les mêmes calculs, nous trouverons, pour l’intégrale complette de cette équation (P′),

valeur qui renfermera constantes arbitraires.

Mais, d’après la propriété des équations différentielles linéaires, l’on sait que, si l’on a valeurs particulières de leur somme donne immédiatement l’expression générale de cette fonction.

Donc, en réunissant la valeur précédente de aux solutions fournies par les facteurs inégaux de l’équation (Q), lesquelles renferment chacune une constante arbitraire, nous aurons enfin pour intégrale complette de la proposée (P)

J’ai l’honneur, etc.
Périgueux, le 27 juin 1812.