Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 03/Analise transcendante, article 2

ANALISE TRANSCENDANTE.

Second mémoire sur les facultés numériques ;[1]
Par M. Kramp, professeur, doyen de la faculté des
sciences de l’académie de Strasbourg.
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1. Les produits dont les facteurs procèdent suivant une progression arithmétique, et que j’ai nommés facultés numériques, n’ont pas été inutiles au progrès de l’analise. Ils ont servi à exprimer, par un seul terme, et à trouver, d’une manière fort simple, les valeurs numériques de toutes les fonctions transcendantes qui dépendent du cercle, aussi bien que quelques classes, très-nombreuses, d’intégrales définies, Il s’en faut de beaucoup que cette mine soit épuisée. Le langage de l’analise transcendante a été borné, jusqu’ici, aux seules idées de fonctions exponentielles et de fonctions circulaires ; et il est naturel de considérer cette extrême pénurie, comme une des causes principales de l’impossibilité où nous nous trouvions de résoudre le plus grand nombre des problèmes qui se présentaient à nous. Les facultés numériques viennent, fort à propos, pour enrichir ce langage, et pour étendre ainsi le domaine de la science.

2. J’ai prouvé, dans un premier mémoire, que toute faculté était réductible à la forme très-simple ou  ; mais, comme les facultés de cette dernière forme ne dispensent pas de la considération des autres ; afin de faire correspondre une différence de dénomination à une différence de symboles, j’appellerai, à l’avenir, factorielles les fonctions de la forme générale et je réserverai exclusivement le nom de facultés numériques, ou simplement de facultés, pour désigner les fonctions de la forme ou , auxquelles se réduisent les premières, dans le cas particulier où l’on a et

3. La factorielle ou peut toujours être développée en une série de la forme

J’ai fait voir ailleurs[2] que, dans le cas d’un exposant infiniment petit, les coefficiens devenaient ces nombres même dont l’usage, dans le calcul sommatoire, a été remarqué par leur illustre inventeur Jacques Bernoulli. Mettant à la place de et désignant par les valeurs que reçoivent les coefficiens , dans le cas d’un exposant infiniment petit, on aura

et en général

En faisant le calcul de ces nombres, on verra que tous ceux d’un indice impair, tels que sont égaux à zéro, à l’exception du premier qui est et que tous ceux d’un indice pair, savoir sont alternativement positifs et négatifs. Leurs valeurs sont

4. Les nombres de Bernoulli nous mènent naturellement aux deux fonctions que j’ai désignées par et La première par laquelle nous exprimons la série

sert à trouver la première dériver de la factorielle dans laquelle nous regardons l’exposant comme la variable de la fonction. En faisant, pour abréger, on a

[3]

La seconde par laquelle nous représentons la série

est liée avec la première, par l’équation linéaire très-simple

Elle est essentielle pour trouver le logarithme naturel de la factorielle On a en effet,

5. Le logarithme naturel de la factorielle que, pour abréger, nous représenterons simplement par est remarquable par la forme de ses dérivées successives. On a d’abord

sur quoi on peut remarquer que c’est l’expression de la somme de fractions

augmentée de Si ensuite, pour abréger, on désigne simplement par la somme infinie de fractions

on aura ; en faisant toujours

6. Ces sommes de fractions se trouvent facilement, par les formules connues. On a, en effet,

Toutes ces séries peuvent être regardées comme convergentes à volonté, attendu qu’on n’aura qu’à calculer à part quelques-uns des premiers termes de et employer ensuite la formule, pour trouver la somme des autres. Lorsque, dans ces formules, on suppose à une valeur imaginaire, on est conduit à une suite de théorèmes du plus grand intérêt dans l’analise, et sur lesquels nous reviendrons en son lieu.

7. En désignant par la série

ordonnée suivant les puissances de l’exposant le logarithme naturel de la factorielle les coefficienss seront ce que deviennent les dérivées de ce logarithme, dans le cas de ou de respectivement divisées par On aura ainsi

De on passe facilement à cette factorielle elle-même ; et si l’on représente par

la série qui l’exprime, on aura

8. On peut remarquer, au sujet des nombres de Bernonlli, que les séries que nous allons désigner, et dont nous ferons un usage fréquent, dans le calcul sommatoire, sont toutes parfaitement sommables. En faisant, pour abréger, on a

et ainsi des autres. La loi que suivent les coefficiens des polynômes fonctions de qui entrent dans les seconds membres se présente assez naturellement ; on a, par exemple, pour le dernier

et ainsi des autres. La seconde de ces séries a été donnée par Euler (Inst. calculi differentialis, part. II, chap. VI, §. 163.). De celle-ci j’ai déduit la première, par intégration, et les autres, par des différentiations successives.

9. Si, dans la première de ces séries, on suppose on est conduit à celle qui suit :

Cette série, peu connue, est peut-être la plus convergente de toutes celles qui font connaître le logarithme du sinus d’un angle proposé. La supposition de imaginaire, appliquée aux autres séries, conduit aussi à des théorèmes fort intéressans.

10. Ayant trouvé le logarithme naturel de la factorielle égal à

la lettre désignant toujours il importe d’examiner ce que devient cette expression, dans le cas d’un exposant imaginaire. Soit donc la lettre désignant la racine quarrée de moins un ; on aura

Ici, si l’on fait

on aura

le logarithme de prendra donc la forme d’un binôme dans lequel on aura

les deux séries sont convergentes à volonté.

11. Ayant ainsi

il est visible qu’on aura

ce qui donnera

d’où on conclura

Dans le cas, très-fréquent, de lequel donne

on aura

et par suite

d’où

12. Quelles que soient la base et la différence la factorielle dans les deux cas de positif et de négatif, qui doivent toujours être soigneusement distingués, sera réductible à la faculté pour laquelle nous avons proposé la notation très-simple devenue nécessaire, par l’usage très-fréquent de ce genre particulier de fonctions, dans la plupart des opérations de haute analise. Nous avons observé, dans un premier mémoire, que le passage des factorielles aux facultés s’exécutait au moyen des deux formules

La supposition de donne aux formules précédemment calculées une très-grande simplicité. On a alors

formule qu’on peut rendre convergente à volonté, en y introduisant un nombre entier arbitraire qu’il suffira de prendre de 4 à 6.

Il viendra ainsi

Sur quoi on doit observer qu’il s’agit toujours ici de logarithmes naturels.

13. Si, dans cette supposition de l’exposant prenait la forme du binôme imaginaire en posant alors

il viendrait

Posant, de plus, ce qui donne

on aura

ce qui donnera encore

14. Le logarithme de pouvant toujours être développé en une série de la forme

on aura dans le cas actuel de

Les valeurs numériques de toutes ces sommes de puissances sont connues et calculées ; quant à celle de elle est

On sait de plus que les sommes à indice pair sont réductibles aux puissances paires de  ; d’où l’on obtient

Quant aux autres coefficiens l’analise ne nous offre pas les mêmes moyens de les obtenir ; il faudrait, pour y parvenir, interpoler la série des nombres de Bernoulli, d’après une loi probablement fort simple, mais que nous ne connaissons pas encore.

15. Ayant

on doit avoir

de là résulte

en changeant en on aura de même

16. On a vu (8) que

En remplaçant par on aura, après les réductions connues,

Les réductions appliquées aux valeurs des logarithmes de et de qu’on vient de trouver, conduisent aux deux théorèmes très-importans qui suivent :

THÉORÈME I.

THÉORÈME II.

Les principes généraux étant posés, proposons-nous la solution générale des deux problèmes qui suivent :

17. PROBLÈME I. Évaluer numériquement le produit

continué à l’infini ?

Solution. Ce produit se décompose dans ceux-ci

dans mon Analise des réfractions, je les ai réduit respectivement à

ce qui rend le produit cherché égal au simple produit des deux factorielles

il ne reste donc plus qu’à réduire ces factorielles aux facultés, ce qui se fait à l’aide des formules ci-dessus (12). En posant, pour abréger, on trouvera

d’où on conclura

la solution du problème proposé sera donc réduite à la détermination des trois facultés dont on trouvera les valeurs numériques toutes calculées, dans la table donnée à la page 6 de ce volume.[4]

18. PROBLÈME II. Évaluer numériquement le produit

continué à l’infini ?

Solution. En continuant de faire il suffira de remplacer par dans la formule qu’on vient de trouver. Le produit demandé deviendra égal à

Les logarithmes des deux facultés du dénominateur sont réductibles aux formes et ce qui rend le logarithme de leur produit égal à Il serait fort à désirer que quelque calculateur courageux voulût calculer les binômes pour toutes les valeurs de depuis 0 jusqu’à 1, de même que nous devons à M. le professeur Bessel une table des logarithmes de dans le cas d’une base réelle. En attendant, la série (13), qui a l’avantage d’être convergente à volonté, nous fournit un moyen très-expéditif de trouver la valeur numérique de logarithme du produit, Il faudra, pour en faire usage, déterminer l’angle et le coefficient de manière qu’on ait

ce qui donne

et on aura

19. Appliquant la solution de ces deux problèmes au cas particulier de qui donne et qui rend (5) la variable , d’où on sera conduit aux théorèmes très-connus, démontrés par EULER (Introd. in. anali. infin., 1.re partie, n.os 156 et suivans.) ; savoir :

20. Si dans (17) on fait on aura, d’un côté, le produit

continué à l’infini, lequel, par conséquent, sera égal à ce que devient la fraction

par cette supposition qui donne

La faculté devient ainsi La faculté deviendra

et le produit des deux facultés sera (16)

Après avoir employé toutes ces réductions, on sera conduit au théorème très-connu,

21. Et si, dans cette dernière formule, on change en elle deviendra

formule connue depuis l’analise d’Euler.

22. Les formules (17) et (19) nous conduisent aux deux théorèmes qui suivent

Ces deux formules, qui sont identiques entre elles, procureront à ceux qui voudront s’occuper de la construction d’une table des facultés, pour les fractions décimales comprises entre 0 et 1, l’avantage précieux de diminuer leur travail de moitié, en ne les obligeant à le pousser que jusqu’à ce qui donnera, en outre, une grande convergence à la série qu’on est obligé d’employer pour le calcul de cette table. En changeant en on aura pareillement

23. Le théorème suivant mérite d’être remarqué ; il concerne le produit de deux facultés dans lesquelles la somme des exposans est un nombre entier quelconque, pair ou impair.

Dans le cas d’une somme paire, soient et par conséquent  ; la lettre pourra alors désigner un nombre entier quelconque, et une fraction moindre que l’unité. Cela posé, on a

ou

on aura donc (16)

Dans le cas d’une somme impaire, soient posés

ce qui donnera

pouvant désigner un nombre entier quelconque. On aura alors

ou

donc (22)

Si, dans le cas de pair, se change en ce qui donnera toujours étant un nombre entier quelconque, il viendra

Si le même changement arrive, dans le cas de impair, en sorte qu’on ait toujours étant un nombre entier quelconque, il viendra

24. L’analise que nous venons de développer n’est nullement bornée au cas proposé ; et si l’on demandait soit la valeur du produit

soit celle du produit

continué à l’infini, on la trouverait encore, en suivant rigoureusement les mêmes principes.

25. Jusqu’ici nous avons supposé que les facteurs de nos factorielles constituaient toujours une progression arithmétique du premier ordre ; c’est-à-dire, une progression ayant ses premières différences constantes ; et ces sortes de fonctions peuvent être appelées Factorielles du premier ordre. On peut aussi imaginer une suite de facteurs constituant une progression arithmétique du second ordre ; c’est-à-dire, une progression ayant ses secondes différences constantes, telle que

Le terme qui répondrait à l’indice serait alors,

Un semblable produit pourrait être appelé Factorielles du second ordre ; et, pour peu qu’on suive le développement de la plupart de nos séries, on verra que ces factorielles, de même que celles des ordres supérieurs, c’est-à-dire, celles dans lesquelles ce sont les différences d’un ordre plus élevé que le second, qui sont constantes, doivent se rencontrer très-fréquemment. Heureusement toutes ces factorielles sont réductibles à celles du premier ordre, moyennant une décomposition analitique fort simple. On peut toujours, en effet, pour le second ordre, déterminer les deux premiers termes et les deux premières différences de manière que le terme général

devienne équivalent au produit

indépendamment de l’indice Il faudra, pour cela, résoudre les trois équations

[5]

on aura alors

en sorte que la factorielle proposée du second ordre deviendra le simple produit

de deux factorielles du premier ordre, et rentrera, comme telle, dans la théorie qui vient d’être développée.[6]

  1. Voyez la page première de ce volume.
  2. Voyez Élémens d’arithmétique universelle, page 360, n.os 557 et suivans.
  3. La lettre est employée ici comme signe de dérivation ; en sorte qu’en général
  4. Depuis l’impression de la table de M. Bessel, nous nous sommes aperçu que M. Legendre dans ses Exercices de calcul intégral (Paris, 1811), avait publié une table du même genre, et nous venons d’apprendre qu’une pareille table venait aussi d’être calculée par M. Gauss. Voilà donc trois géomètres du premier ordre qui, faute de moyens rapides de communication, ont consommé un temps précieux en de pénibles calculs, pour parvenir aux mêmes résultats.

    M. Legendre, dans sa table, désigne par ce que M. Kramp représente par et par, ce que M. Kramp désigne par Cette table, calculée par une méthode analogue à celle qui a été indiquée dans la note de la page 12 de ce volume, ne contient les logarithmes de la faculté qu’à sept décimales seulement, et encore la septième décimale n’y est pas toujours exacte ; on n’y trouve pas non plus les différences des logarithmes qu’elle renferme ; mais ces logarithmes y sont calculés pour les valeurs de de millième en millième, ce qui rend à la fois les interpolations plus faciles et moins fréquemment nécessaires. Les détails dans lesquels entre M. Legendre, sur le calcul de cette table, et sur la nature, les propriétés et les usages des nombres qu’elle renferme, sont d’ailleurs du plus grand intérêt.

    J. D. G.
  5. Les inconnues de ces trois équations étant au nombre de quatre, on pourra disposer de l’une d’elles pour rendre les valeurs des autres les plus simples possibles,
    J. D. G.
  6. Ce que M. Kramp appelle ici Factorielles de différens ordres est ce que Vandermonde avait déjà appelé Puissances de différens ordres, avec cette différence seulement que les factorielles de l’ordre sont des puissances de l’ordre Ainsi, suivant le langage de M. Kramp, les puissances du premier ordre, c’est-à-dire, les simples puissances que l’on considère dans les élémens, sont des factorielles de l’ordre zéro.
    J. D. G.