Annales de mathématiques pures et appliquées/Tome 03/Analise appliquée, article 1

ANALISE APPLIQUÉE.

Essai d’application de l’analise algébrique au phénomène
de la circulation du sang ;
Par M. Kramp, professeur, doyen de la faculté des sciences
de l’académie de Strasbourg.
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I. Soumettre à l’analise littérale le mouvement du sang dans les vaisseaux du corps animal, c’est là un problème auquel, depuis plus d’un siècle, on paraît avoir renoncé. Les efforts de Borelli, Keil, Jurin, Sauvages, Bernoulli et autres hommes célèbres sont connus ; leurs longues démonstrations, fondées sur une application vicieuse de principes qui pouvaient être justes en eux-mêmes, n’ont conduit à aucun résultat certain ; leurs ouvrages sont oubliés et le terme même d’Iatromathématicien est tombé en mépris. Au milieu de cette immense variété de forces qui agissent ensemble dans les corps vivans, tant animaux que végétaux, il existe pourtant quelques lois certaines qui permettent d’appliquer à la physiologie du corps animé, les principes généraux de l’équilibre et du mouvement ; c’est ce que je me propose d’assayer dans ce mémoire.

2. Imaginons une masse quelconque, lancée par une force de projection quelconque, et qui, après avoir éprouvé à chaque instant l’effet des forces accélératrices et retardatrices qui auront pu agir sur elle, ait acquis, au bout du temps la vitesse Désignant par la somme des forces accélératrices, et par la somme des forces retardatrices, on aura équation qui ne repose sur aucune hypothèse, et qui, par sa simplicité et sa généralité, est applicable à toutes les suppositions de mouvemens quelconques.

3. Elle nous présente les trois cas de de et de Dans les deux derniers cas, le mouvement sera accéléré, ou bien il sera retardé, du moins pendant l’élément de temps \mathrm{d}t. Dans le premier cas, la vitesse restera la même ; et, si cette même égalité avait lieu dans tous les points du système, il en résulterait pour le corps un mouvement rigoureusement uniforme. On voit, de plus, que l’uniformité de mouvement ne peut avoir lieu, à moins qu’à tous les points du système, la somme des forces accélératrices et celle des forces retardatrices ne soient rigoureusement égales entre elles.

4. L’équation est applicable au cas d’un fluide circulant dans un canal étroit ; seulement alors il faudra entendre par non la vitesse actuelle du fluide, mais le produit de cette vitesse multipliée par la section du canal, lequel exprimera la quantité de fluide qui, pendant l’élément de temps, aura traversé cette section. Tant que, dans tous les points du système, on aura le mouvement du fluide sera tel que, dans des temps égaux, il passera par chaque section du canal des quantités de fluide rigoureusement égales entre elles ; condition qui ne saurait avoir lieu, à moins que, dans tous les points du système, il n’existe une égalité parfaite entre les forces accélératrices et les forces retardatrices qui agissent sur le fluide.

5. L’application de ces principes au mouvement du sang est facile. À chaque contraction, le cœur chasse d’un côté dans l’aorte, de l’autre dans le tronc des artères pulmonaires, une onde de sang, évaluée à deux onces, à peu près, mais dont la quantité est heureusement indifférente pour l’objet que nous nous proposons. Il communique à chacune des deux ondes un certain degré de vitesse, résultant des contractions partielles de ses fibres musculaires, et d’autant plus difficile à déterminer qu’il doit dépendre d’une infinité de circonstances qu’il serait assez téméraire de vouloir soumettre au calcul. Il est indifférent encore que les degrés de vitesse, communiqués par les deux ventricules aux deux ondes de sang, soient égaux ou inégaux entre eux.

6. L’onde de sang lancé dans l’aorte, y éprouve, dès son entrée, l’action des différentes forces retardatrices dont on peut voir le dénombrement dans les ouvrages de nos célèbres physiologistes, et dont l’effet va en augmentant depuis le tronc de l’aorte jusques au plus petits rameaux artériels, et augmente encore pendant le retour par le système veineux. On aura donc ce qui donne Ainsi donc la vitesse du sang au bout du temps sera égale à la vitesse initiale de l’onde, moins une certaine fonction du temps qui nécessairement va en augmentant. Il résulte de là qu’indépendamment des forces accélératrices, la vitesse initiale de l’onde ne saurait être conservée : que son mouvement, bien loin d’être uniforme, serait bientôt épuisé ; et que, dans des intervalles de temps égaux, il ne pourrait jamais passer des quantités égales de fluide par une section donnée du système.

7. Cependant la condition d’un mouvement uniforme du sang est indispensable au maintien des forces qui, dans l’état d’une santé parfaite, peuvent seules présider à toute cette classe nombreuse de fonctions animales qui dépendent de sa circulation entièrement libre. Il est essentiel qu’à chaque battement du cœur, les deux oreillettes reçoivent des deux troncs veineux des quantités de sang rigoureusement égales à celles que les deux ventricules lancent dans les deux troncs artériels ; il est essentiel, de plus, que cette égalité ait lieu pour chaque partie du corps en particulier ; sans quoi la quantité de sang que cette partie doit contenir, dans l’état de santé, ne saurait rester la même. Galien, à qui la circulation du sang était inconnue, définissait fort bien l’inflammation par sanguinis influxus copiosior quam pars postulat, et il avait raison. Cet influxus copiosior est l’effet fort naturel d’un mouvement accéléré du sang, à son entrée dans la partie. Il peut y avoir de même un mouvement retardé ; et, quoique Galien n’en parle pas aussi clairement, on voit qu’il doit en résulter un état opposé au premier, et qui exigera, pour sa guérison, un traitement contraire.

8. L’équation différentielle du mouvement du sang, dans l’état de santé, sera donc ce qui revient à l’existence de la force accélératrice et son égalité à la somme des forces retardatrices , est donc bien prouvée. Elle doit résider dans les vaisseaux eux-mêmes, et sur-tout dans les artères. Leur irritabilité n’est pas absolument démontrée ; mais leurs dilatations et contractions tombent sous les sens, et on ne voudra pas les regarder comme les effets d’une simple élasticité. Dans ce cas, la systole y égale tout au plus à la diastole, ferait regagner à l’onde le degré de vitesse que celle-ci lui aurait fait perdre ; ce qui n’ajouterait rien à sa vitesse absolue. Je serais disposé à croire que, dans le battement des artères, la systole est plus forte que la diastole, et qu’en ceci consiste peut-être l’avantage que doit avoir sur la simple élasticité cette force vitale particulière qui anime les vaisseaux artériels. Dans tous les cas, nous désignerons par, cette force accélératrice, à l’endroit du système qui répond au temps, nous aurons donc, pour condition indispensable du mouvement du sang, dans l’état de santé,  ; c’est-à-dire, que la force vitale des artères doit être partout égale à la somme des résistances.

9. Tant que cette équation de condition ou sera maintenue, le sang coulera, dans le système des vaisseaux sanguins, comme s’il circulait dans le vide parfait ; et la conservation rigoureuse de la vitesse primitive, imprimée par la contraction du cœur, permettra, jusqu’à un certain point, l’application de l’analise. Soient

La masse entière du sang ;

La masse de l’onde que le ventricule gauche chasser dans l’aorte ;

La vitesse primitive que cette onde a reçue du cœur ;

Le volume entier ou la capacité du système ;

le nombre des battemens, pendant le temps donné

10. La masse entière du sang sera donc partagée en un nombre d’ondes égal à Le temps employé par chacune de ces ondes, pour parcourir tout le volume du système, sera égal à l’espace divisé par la vitesse, ou à La fraction exprimera le nombre des battemens qui auront lieu dans le même temps. Ainsi donc, le mouvement du sang devant être regardé comme uniforme et continu dans l’état de santé, ce qui suppose nécessairement que le nombre des ondes est égal à celui des contractions du cœur qui ont lieu, pendant le temps que chaque onde emploie à achever entièrement sa circulation, on aura ou équation générale et applicable non seulement à l’état de santé, mais à tout mouvement du sang, dès qu’on le suppose parvenu à l’état d’uniformité. La vitesse du sang sera donc proportionnelle directement à la fréquence du pouls, à la masse de l’onde et à la capacité du système, et réciproquement à la masse entière du sang.

11, Quoiqu’on ait raison de supposer que, dans l’état de santé, le système des vaisseaux sanguins est entièrement rempli, on aurait pourtant tort de regarder le volume du système comme égal à la masse du sang, ou de faire en prenant ici pour non la masse elle-même mais le volume qu’elle occupe. Il faut, en effet, que soit moindre que sans quoi la circulation du sang deviendrait physiquement impossible. C’est à quoi la nature a pourvu, en donnant à nos vaisseaux l’extensibilité dont ils ont besoin, pour entretenir le mouvement. De la systole ils passent à la diastole, à l’arrivée de chaque nouvelle onde. Dans le premier de ces deux états, il sera permis de supposer  ; mais, dans le second, on aura et l’excès de la fraction sur l’unité, ou , sera ce que nous entendons par grandeur ou quantité du pouls. Or, en vertu de l’égalité on aura ainsi, la grandeur du pouls sera proportionnelle à la vitesse du sang, divisée par la fréquence du pouls, en supposant toutefois une valeur constante à masse de l’onde que le cœur chasse dans l’aorte, à chacune de ses contractions. Et effectivement, nous voyons que, dans le dernier stade des maladies aiguës, le pouls devient plus petit, à mesure qu’il devient plus fréquent. D’un autre côté, une augmentation dans la grandeur du pouls nous fait présumer, toutes choses étant égales d’ailleurs, une augmentation proportionnée dans la vitesse du sang.

12. De cette même égalité , on tire immédiatement la conclusion c’est-à-dire, que la masse du sang ne saurait changer, à moins que quelques-unes des quantités ou toutes ensemble ne reçoivent un changement proportionné. À chaque arrivée d’une nouvelle quantité de suc alimentaire, fourni par les premières voies, la quantité que nous désignons par sera augmentée ; il en résultera que la fréquence du pouls, la masse de l’onde sanguine, et la capacité du système de nos vaisseaux sanguins seront aussi augmentés ; mais la vitesse absolue du sang en sera diminuée. Ces trois conclusions sont assez bien prouvées par l’expérience. Il en résulte de plus qu’à chaque changement de la masse du sang, désignée par l’uniformité dans son mouvement doit être interrompue, jusqu’à ce que l’égalité entre les deux produits et soit rétablie de nouveau.

13. Cette même égalité fournit de plus ce qui nous montre que la capacité des vaisseaux sanguins doit être considérée comme une quantité très-variable. La dilatation des canaux artériels et veineux est une suite naturelle de leur réplétion ; leur abaissement est la conséquence de leur inanition. Dans ce cas, la capacité du système peut être supposée proportionnelle à la masse da sang ; on aura donc  ; ainsi, la vitesse du sang sera proportionnelle à la fréquence du pouls et à la masse de l’onde.

14. Il est des cas pourtant où la capacité du système est diminuée, tandis que la masse entière du sang reste la même. Cela arrive, par exemple, à la suite de chaque couche ; cela a encore lieu immédiatement après l’amputation d’un membre de quelque conséquence. Alors, regardant et comme des quantités sensiblement constantes, on aura Ainsi donc, la capacité du système étant proportionnelle à la vitesse du sang divisée par la fréquence du pouls, l’effet doit être une augmentation dans la fréquence du pouls, et un ralentissement dans la vitesse du sang. Le premier de ces deux effets est suffisamment prouvé par l’expérience, et l’autre en est une conséquence nécessaire.

15. Jusqu’ici nous avons supposé et ainsi le mouvement du sang était censé rigoureusement uniforme. Il cessera de l’être dès que cette égalité n’aura pas lieu ; et l’on peut prévoir qu’il sera accéléré dans le cas de et retardé dans le cas de Il en résultera deux grandes classes de maladies parfaitement opposées ; et l’on voit que le rapport de l’une à l’autre est celui du plus au moins, du positif au négatif.

16. Ce serait bien peu connaître les limites de nos facultés intellectuelles, aussi bien que celles des connaissances que l’observation est en état de nous fournir, que d’entreprendre à intégrer l’équation différentielle tandis que les fonctions et aussi, bien que la forme conjecturale qu’elles peuvent avoir, sont des quantités absolument inconnues pour nous. Tant qu’il sera permis de les supposer indépendantes du temps t, on aura, en intégrant Ainsi, l’accroissement ou le décroissement de la vitesse sera proportionnel au temps. Mais il est assez visible que ce rapport ne peut se maintenir que dans les premiers instans. Il cessera d’avoir lieu dès que les quantités P et Q, dont la première exprime la somme des forces accélératrices et l’autre celle des forces retardatrices, seront devenues fonctions du temps ; et dès-lors il faudra renoncer à intégrer l’équation différentielle

17. Examinons d’abord le cas de ou de positif. Le mouvement du sang sera sensiblement accéléré ; et, sans vouloir soumettre à un calcul rigoureux la solution de l’équation on voit pourtant que les conséquences de ce mouvement accéléré doivent être celles qui suivent : accumulation de la masse sanguine dans le système veineux, et par conséquent à la surface du corps ; elle pénétrera avec force dans ces petits vaisseaux qui sont invisibles dans l’état naturel ; de là ces yeux étincelans, ces battemens fréquens du cœur et des artères ; cette force et cette fréquence du pouls ; cette respiration embarrassée ; ces urines colorées, ces céphalagies ; cette foule de symptômes enfin dont l’ensemble constitue cette classe de mouvemens fébriles qui est connue sous le nom de Pyrexies.

18. L’autre cas de , ou de négatif a pour suite un mouvement du sang retardé. L’onde de sang qui, à chaque battement, rentre dans le cœur, par le tronc du système veineux, est moindre alors que celle que le cœur chasse dans l’aorte. Le sang s’accumulera donc, dans le système artériel, en laissant entièrement vides les petits canaux du système veineux, et en se retirant en partie des grandes veines. L’évacuation du cœur, à chaque battement, ne sera qu’incomplette ; continuellement, mais faiblement irrité, il éprouvera des contractions petites, mais plus fréquentes que dans l’état naturel ; le resserrement et la contraction des vaisseaux veineux de la surface, leur disparition, la pâleur répandue sur tout le corps, la diminution de l’embonpoint, les yeux languissans ; tels sont les symptômes que l’on doit regarder comme la suite naturelle de cet état où la somme des résistances est plus grande que celle des forces vitales des artères, et détermine, en conséquence, le refoulement de la masse sanguine vers l’intérieur du corps.

19. Et tels sont les deux genres opposés de maladies qui doivent nécessairement avoir lieu, dès que l’égalité entre la somme des forces vitales et celle des résistances n’est plus maintenue, ce qui rend impossible cette uniformité dans le mouvement du sang, qui est pourtant la condition indispensable à l’état de santé parfaite. Le mouvement alors sera accéléré, dans le cas de  ; retardé, dans le cas de L’un et l’autre des deux états opposés font naître les symptômes que de tous temps on a désignés par la dénomination générale de fièvres. Les deux classes opposées ont été parfaitement reconnues ; mais on ignorait la cause physique de cette différence, laquelle pourtant est géométriquement démontrée, et susceptible d’être énoncée par une équation différentielle fort simple.

20. Il est assez naturel de désigner les mouvemens fébriles de la première classe par la dénomination d’état positif, et ceux de la seconde par celle d’état négatif ; attendu que la différence de l’une à l’autre est effectivement celle du plus au moins, du positif au négatif. Les dénominations de fièvre positive et de fièvre négative seraient toutefois assez impropres. On se sert du mot fièvre pour désigner la maladie entière, dont chaque accès est souvent marqué par des symptômes qui annoncent alternativement l’un ou l’autre des deux états. C’est ainsi que chaque accès de la fièvre intermittente ordinaire commence toujours par le frisson, qui porte tous les caractères de ce que nous avons nommé état négatif ; il est suivi par la seconde période qui est celle de la chaleur, et dans laquelle on reconnaît le passage du négatif au positif ; vient enfin la crise de l’accès, qui rétablit tout dans l’état naturel d’égalité entre la force vitale des artères et la somme des résistances,

21. La fièvre n’est donc jamais une maladie du cœur lequel, uniquement destiné à donner à l’onde la première impulsion, ne peut prendre aucune part aux variations de vitesse qu’elle peut éprouver dans son cours. Elle ne dépend pas non plus de la vitesse absolue du sang, très-variable en elle-même, et affectée par les causes les plus légères. Un exercice quelconque du corps, plus long-temps soutenu que de coutume ; une passion un peu violente ; un excès quelconque commis dans l’usage des alimens, etc., provoquent une vitesse augmentée du sang, un pouls plus fréquent que de coutume, et un accroissement de chaleur ; mais personne ne sera tenté de désigner cet état par le nom de fièvre. Tant que subsistera l’égalité entre la somme des forces vitales et celle des résistances, le mouvement uniforme du sang sera maintenu par la simple cessation des causes accidentelles qui avaient provoqué un pareil état ; la répartition égale de la masse sanguine, dans les deux systèmes artériel et veineux, se rétablira d’elle-même, et tout rentrera dans l’état naturel.

22. L’état positif, indiqué par peut avoir deux causes générales ; la force vitale des artères sera trop grande, ou bien la somme des résistances sera trop petite. La force vitale des artères tient au système nerveux ; des observations anatomiques nous donnent lieu de croire que le nerf intercostal, et ses ramifications, étendues dans toutes les parties du corps, sont destinés, par la nature, à maintenir cette force. Une disposition vicieuse dans cette partie importante du système, peut augmenter cette même force au delà de la mesure naturelle ; elle peut aussi l’affaiblir au point qu’elle ne saurait plus balancer la somme des résistances. Indépendamment de la force vitale, une disposition vicieuse du sang peut exciter des mouvemens fébriles La masse sanguine est sujette à se coaguler ; et cette tendance continuelle doit être comptée parmi les principales résistances que le sang rencontre dans son cours. Bien loin de la regarder comme un défaut, nous la jugeons absolument nécessaire pour prévenir l’état de et empêcher ainsi que le mouvement du sang, d’uniforme qu’il devait être, ne devienne accéléré. L’observation a suffisamment prouvé qu’un sang chargé de particules bilieuses est très-disposé à produire des pyrexies ; tandis que la présence de la pituite, dans cette même masse, provoque l’état entièrement opposé. Il paraît donc que cette tendance naturelle au coagulum est diminuée par la première des deux causes, et augmentée par la seconde. De plus, nous aimons à reconnaître, dans la présence du calorique. une des grandes causes qui influent sur cette mobilité de la masse sanguine ces accès de fièvres inflammatoires, qui suivent depuis l’état de la transpiration supprimée, et le refoulement du calorique dans l’intérieur du corps, nous rendent cette assertion fort probable.

23. Au défaut d’intégrer l’équation dans le cas de nous pouvons prévoir que cet état ne peut pas se soutenir long-temps. Le sang accumulé dans le système veineux, trouverait, en y entrant, une somme de résistances supérieures à ce que doit être dans l’état naturel ; ainsi, au bout de quelque temps, l’équilibre entre et sera de lui-même rétabli ; mais l’une et l’autre quantités seront plus grandes que l’état de santé ne peut le comporter. Le mouvement de la masse sanguine sera revenu de lui-même à l’état d’uniformité mais la vitesse du sang sera augmentée au point où elle doit nécessairement troubler la marche de plusieurs fonctions naturelles ; la masse sera inégalement répartie entre les deux systèmes ; et, tant que l’équilibre de ces deux forces se maintiendra, on voit que l’égale répartition ne saurait se rétablir d’elle-même. Les symptômes de la pyrexie resteront ; seulement ils n’augmenteront plus. L’accès sera parvenu à son maximum. Alors doit approcher le moment décisif qui doit prononcer sur le sort du malade. Il survient quelques signes précurseurs du changement qui se prépare. Il doit, en effet, arriver de deux choses l’une, attendu que l’une des deux forces doit, à la fin, l’emporter sur l’autre. La marche des maladies nous fait voir, ou du moins elle rend très-probable que, pour arriver à une fin salutaire, il doit se faire un changement dans la mixtion même de la masse sanguine. C’est ce que les plus anciens maîtres de l’art ont désigné par le nom de coction, terminée par la crise. Elle s’annonce ordinairement par des frissons, et par plusieurs symptômes auxquels on reconnaît l’état négatif de la fièvre ; et cela doit être ainsi, attendu que, pour passer de l’état positif à celui de zéro, il faut bien que la nature prenne une marche rétrograde. La crise se termine par des évacuations appelées critiques, et qui donnent une preuve assez évidente du changement de mixtion qui s’opère dans la masse même du sang. Elle a visiblement pour son double but, d’opérer une répartition égale de la masse sanguine dans tous les vaisseaux du corps, et de rétablir l’équilibre, indispensable dans l’état de santé, entre la force vitale des artères et la somme des résistances.

24. La progression, très-sensiblement arithmétique, que les jours critiques forment entre eux a été, dans tous les temps, un grand problème à résoudre parmi les maîtres de l’art. L’intégration de l’équation si elle était possible, éclaircirait sans doute ce mystère. Peut-être l’équation intégrale se trouverait du nombre de celles dont les racines procèdent dans une progression arithmétique ; et, si cette conjecture était fondée, elle servirait au moins à répandre un peu de jour sur une des opérations de la nature qui, en s’écartant de la marche ordinaire dans l’état de santé, paraissent d’autant moins susceptibles d’être représentées par des signes et des expressions algébriques.

25. Mais, pour que cette crise soit heureuse, il faut que cette force se maintienne, et qu’elle continue à balancer la somme des résistances augmentées par l’entrée du sang dans les petits vaisseaux artériels et veineux. Cela n’arrive pas toujours ; il est assez fréquent, au contraire, dans le cas sur-tout où le malade est dépourvu des secours de l’art, que la force vitale des artères succombe à la somme des résistances. Alors l’expression deviendra négative ; le mouvement du sang, d’accéléré qu’il était, deviendra retardé ; et, par une suite de changemens faciles à concevoir, d’après les principes qui viennent d’être exposés, la fièvre, positive jusqu’alors, deviendra négative. C’est ainsi que se produit ce que les maîtres de l’art ont désigné par le nom de mauvaises crises ; elles se reconnaissent à la marche de la maladie, à la constitution connue du malade et à la constitution épidémique ; mais sur-tout à ce que les signes diagnostics de la fièvre négative, précurseurs de la crise, se soutiennent trop long-temps, et que les forces du malade ne se rétablissent pas.

26. La fièvre négative qui succède ainsi à la fièvre positive, est bien plus dangereuse qu’elle ne l’aurait été si elle s’était présentée dès le commencement. Considérant, en effet, que le sang alors est engagé dans tout l’ensemble des petits vaisseaux du corps, et qu’il n’est plus soutenu par la force vitale des vaisseaux, nous devons concevoir que son mouvement se ralentira, qu’à la longue il s’arrêtera tout-à-fait, et qu’ainsi la maladie se terminera par une inaction générale et une immobilité absolue de la masse sanguine. Tant que la marche de la fièvre était positive, on a dû facilement concevoir l’idée d’un maximum : ce maximum aurait dû avoir lieu lorsque, par l’entrée même du sang dans les petits vaisseaux, la somme des résistances serait redevenue égale à la somme des forces vitales des artères. Mais un pareil terme est contraire à l’idée d’une fièvre qui, de positive qu’elle avait été, est devenue négative. La force vitale des artères ayant succombé une fois à la somme des résistances, ne pourra lui redevenir égale, qu’autant qu’elle sera soutenue par des secours extraordinaires, et indépendans de la marche naturelle de la maladie, abandonnée à elle-même.

27. Dans les accès de fièvres intermittentes, qui tous commencent pas cet effet négatif, indiqué par la nature emploie un moyen bien simple pour opérer la répartition égale de la masse sanguine, et pour rendre de nouveau la force vitale des artères égale à la somme des résistances : c’est l’intensité avec laquelle opèrent alors toutes les forces musculaires pour pousser la masse sanguine, accumulée dans le système artériel, pour opérer son passage dans le système veineux, et en effectuer ainsi la répartition égale entre les deux systèmes. Il en résulte une nouvelle force accélératrice, laquelle, ajoutée à celle des artères, la rend égale à la somme des résistances. Mais au maximum des fièvres inflammatoires, on ne peut guères compter sur un accroissement d’intensité des forces animales, affaiblies par la durée même de la maladie : elles sont réputées nulles alors ; le rétablissement de l’équilibre, entre les forces accélératrices et les forces retardatrices de la circulation, ne peut plus être exigé de la nature, abandonnée à elle-même ; elle a un besoin indispensable du secours de l’art.

28. Ce que nous avons dit jusqu’ici sur les deux forces désignées par et regardait la circulation du sang, considérée dans son entier depuis sa sortie du ventricule gauche, dans le tronc de l’aorte, jusqu’à son entrée de la veine cave dans l’oreillette droite. Mais, l’équation doit encore avoir lieu, pour chaque partie du corps en particulier, indépendamment du système entier. Dès qu’elle n’est plus maintenue, il en résulte des affections locales dans le commencement, mais plus ou moins graves, suivant l’importance de la partie affectée, et qui doivent nécessairement provoquer, dans tout le système des vaisseaux sanguins, d’une manière plus ou moins sensible, l’un des deux états désignés par les notations et et par les dénominations correspondantes de fièvre positive et de fièvre négative.

29. La condition d’un mouvement uniforme, dans chaque partie du corps, est encore fondée sur l’équation ou Elle cessera d’avoir lieu, lorsque les quantités et ne seront plus égales entre elles. Dans le cas de la différentielle au deviendra positive ; le mouvement du sang sera accéléré, durant son passage, par les vaisseaux de cette partie ; il s’accumulera donc dans les veines ; il entrera, avec plus ou moins de force, dans les petits vaisseaux veineux qui, dans l’état naturel, restent invisibles à l’œil ; il donnera un nouveau degré de vitesse à toute cette masse de sang qui le précède ; il en résultera, pour tout l’ensemble du système, ce que nous avons nommé fièvre positive ; et la partie, elle-même, sera affectée d’une inflammation locale. On voit que cette différence peut fort bien aller jusqu’à détruire insensiblement la structure même des vaisseaux de la partie, à provoquer les phénomènes qui annoncent la coction de cette masse, et enfin à établir la suppuration,

30. Dans le cas opposé de la différentielle au deviendra négative ; le mouvement du sang sera retardé dans la partie ; le sang commencera à se ralentir, sur-tout dans les vaisseaux artériels, tandis qu’il abandonnera, peu à peu, les petits canaux veineux ; le sang dont ils seront remplis opposera une certaine résistance à la masse sanguine qui, amenée par les artères, devrait entrer dans les vaisseaux de cette partie, et passer de là dans le système veineux sans rencontrer de résistance ; et ainsi se produira cet état, opposé au précédent, que nous avons désigné par la dénomination de fièvre négative. L’affection locale de la partie prendra alors le nom de gangrène. La fièvre qui accompagne cet état, et dont la marche, parfaitement opposée à celle de la fièvre inflammatoire, a été fort bien connue par les anciens, prend alors le nom de typhus, tandis que l’autre était appelée par eux synothus.

31. L’inflammation locale passe à l’état de gangrène, dès que la masse sanguine a assez pénétré dans les petits vaisseaux pour que la somme des résistances l’emporte enfin sur la force vitale et que cette dernière finisse par succomber à l’autre. L’état de succède alors à celui de et les symptômes qui annoncent l’un de ces deux états sont remplacés, et souvent en très-peu de temps, par ceux qui annoncent l’autre.

32. Il est très-possible, au reste, que l’inflammation topique soit accompagnée de tous les signes de la fièvre négative ; et que, d’un autre côté, la fièvre positive soit unie à l’état gangreneux d’une partie déterminée du corps. Les forces que nous avons désignées par et sont les sommes de toutes les forces partielles, propres à chaque partie du corps ; en sorte qu’en désignant ces dernières par , on aura Or, il est possible qu’on ait, en même temps et ce qui exigera que quelques-unes des quantités , soient plus grandes que leurs correspondantes ou bien il est possible qu’on ait à la fois et auquel cas quelques-unes des quantités , devront, au contraire, être plus petites que leurs correspondantes Dans ce dernier cas, l’état de la fièvre sera négatif, malgré l’inflammation locale dont certaine partie du corps se trouvera affectée ; dans le premier, au contraire, la maladie aura tout le caractère d’une fièvre positive, bien que quelque partie du corps soit affectée de gangrène.

33. La fièvre négative, accompagnée d’inflammation locale dans quelques parties du corps, nous fera donc présumer, avec certitude ; qu’une autre partie, externe ou interne, sera affectée de gangrène. Réciproquement, la fièvre positive, jointe à l’état gangreneux d’un ou de plusieurs endroits, nous fera juger, avec le même degré de certitude, que, dans d’autres endroits, il doit y avoir des inflammations locales et partielles. L’observation des fièvres exanthématiques confirme chaque jour la vérité et l’application pratique de ces corollaires. Ayant reconnu une fois l’état positif ou négatif de la fièvre, on pourra faire une pergnose certaine sur la fin qu’elle doit avoir ; et réciproquement, en comparant la totalité des inflammations locales avec celle des endroits déjà tombés en gangrène, on sera en état de prononcer avec certitude sur celle des deux forces et qui doit enfin remporter sur l’autre.

34. La péripneumonie, ou l’inflammation locale de la substance des poumons, forme une classe à part, par plusieurs des symptômes qui l’accompagnent. Ici, il faut appliquer l’équation au circulus minor, ou au passage du sang par les viscères de la poitrine ; désignera la force vitale des vaisseaux de ces parties ; exprimera la somme des résistances que le sang peut y rencontrer.

35. Il y aura inflammation de la substance des poumons, dans le cas de  ; la masse sanguine sera accumulée dans les vaisseaux veineux de ces viscères ; elle communiquera son mouvement accéléré à celle qui la précède immédiatement, et qui sera portée dans le ventricule gauche du cœur et dans le tronc de l’aorte, auquel il communique. Il y aura accumulation de la masse sanguine dans le système artériel ; elle paraîtra refoulée vers l’intérieur du corps, quoiqu’on ait effectivement alors et que la marche de la fièvre soit évidemment positive. Il est très-ordinaire, en effet, que la péripneumonie, au plus haut de son état inflammatoire, paraisse sous les apparences d’une fièvre négative, et on en voit la raison dans la simple application des principes généraux que nous venons de poser. Dans l’état oppose de le sang sera accumulé dans les canaux artériels de ce viscère ; les ondes amenées successivement par le tronc de la veine cave, y trouveront une résistance supérieure à celle qui aurait lieu dans l’état naturel ; le sang sera donc accumulé dans le système veineux, et conséquemment la maladie, quoiqu’on ait présentera l’apparence trompeuse d’une fièvre positive et inflammatoire ; mais la force vitale des vaisseaux n’en sera pas moins inférieure à la somme des résistances. La difficulté d’établir, dans les inflammations des poumons, un pronostic certain, en suivant les règles ordinaires que prescrit la séméïotique dans tous les autres cas, et l’exception formelle que présentent, à cet égard, les affections inflammatoires du système pulmonaire, ont été reconnues, de tout temps, par les véritables maîtres de l’art. Le système, très-simple, que nous venons d’établir en rend suffisamment raison.

36. En conséquence des théorèmes que nous venons d’avancer, on peut donc regarder comme prouvé que la cause prochaine de toutes les affections morbitiques, tant générales que topiques, qui sont connues sous le nom de pyrexies, réside dans le défaut d’égalité parfaite entre la somme des forces vitales des vaisseaux et la somme des résistances désignée par Désignant par la vitesse de l’onde, prise dans le sens que nous lui avons donné au n.° 4, la condition nécessaire à l’état de santé sera ou et le grand problème de soumettre la marche entière de toute cette classe nombreuse de maladies au régime de l’analise, et de lui donner le caractère de la certitude et de l’évidence mathématique, se réduit à l’intégration de l’équation intégration que nous reconnaissons être infiniment au-dessus de nos forces actuelles, et que nous nous bornons conséquemment à recommander aux Médecins-Géomètres des siècles à venir.


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