Veuve Duchesne (p. 9-10).


LVme LETTRE.

Sir Charles Clarck,
à Sir William Fisher ;
à Londres.

Cruel Ami, tu obſerves trop ſcrupuleuſement la prière que je t’ai faite de ne plus me parler d’Émilie ; pas un ſeul mot dans ta Lettre qui ait rapport à elle ; tu la crois donc bien coupable ? Mon cœur a beau plaider ſa cauſe, la raiſon eſt ſon ennemie ; il faut abſolument renoncer à toute idée de bonheur ; cette affreuſe certitude abrégera les jours de ton pauvre Ami.

Pour me guérir, ou au moins me diſtraire, j’ai abandonné ma retraite ; j’ai cherché le monde, j’y trouve de l’ennui, de la fatigue & pas un ſoupçon de plaiſir. Une ſeule maiſon où je vais plus aſſidûment, me préſente quelque ſujet de diſſipation ; je ſuis fort lié avec le plus jeune des Fils du Seigneur Barrito, homme riche & puiſſant de ce pays. Sa famille eſt compoſée de deux Filles & de deux Garçons ; il eſt veuf depuis pluſieurs années ; il a veillé en perſonne à l’éducation de ſes enfans, qui ſont parfaitement bien élevés. Une de ſes Filles eſt mariée, & loge avec lui. Son Fils aîné eſt auſſi marié, & habite le même Hôtel, ce qui forme une ſociété charmante ſans être obligé d’aller chercher ailleurs. Le Chevalier Barrito eſt un Cavalier à qui il ne manque aucune qualité ; aux agrémens naturels il réunit tous les talens poſſibles, &c… & ſa Sœur Suzanna (celle qui n’eſt pas mariée) eſt l’exact modèle de ce charmant Garçon. Tu vois que je fais mon poſſible pour chaſſer de mon eſprit celle qui régnera éternellement ſur mon cœur. On ne guérit jamais d’un amour tel que le mien. Souffrir toute ma vie, voilà le ſort de ton ſincère Ami

Charles Clarck.

De Naples, ce … 17