Veuve Duchesne (p. 206-208).


XXXIXme LETTRE.

Miſtreſs Goodness,
à Betsy Goodness ſa Fille ;
à ***.


Tu es ſans doute étonnée, ma Belle, que je te laiſſe ſi long-temps à *** ; mais il eſt eſſentiel à nos projets de fortune que tu y demeures encore. Par le moyen de cette Fille que tu as gagnée, & dont il eſt néceſſaire de conſerver les bonnes grâces par de nouvelles généroſités, il faut que tu découvres ſi ta rivale n’étoit pas en commerce de Lettre avec un certain Mylord Clarck, que je ne connois point, ni toi non plus. Malgré cela, une de ſes Lettres ſurpriſe & entre nos mains, nous vaudroit cinq cents guinées : j’en ai la parole d’une femme qui m’a déjà prouvé qu’elle ne la donnoit pas vainement.

Voici en deux mots ce dont il s’agit. Mylady Ridge, chez qui tu m’as dit de porter une Lettre peu favorable à Émilie ſa Fille cadette, en a une autre qui devoit épouſer & qui aimoit beaucoup ce Clarck, Jeune-homme extrêmement riche par les bienfaits d’une Couſine qui l’aime à la folie ; il a vu par malheur, Émilie, & par un malheur encore plus grand, il en eſt devenu amoureux. De ce moment il a tout rompu avec l’aînée ; c’eſt de là, ſans doute, que vient la haine de la Mère pour ſa cadette. Mylady m’a fait venir avant-hier. — Vous m’avez apporté une Lettre, il y a quelques jours, ſavez-vous qui l’avoit écrite ?…… Vous héſitez… Parlez-moi avec ſincérité. Je commence par vous dire que l’on m’a rendu ſervice, & finis par vous aſſurer que j’ai dans ma bourſe cinquante guinées à votre ſervice, ſi vous m’accuſez la vérité. Je crus devoir convenir du fait. — Votre Fille eſt donc une ruſée créature ? peut-on compter ſur ſon adreſſe ? — Oh ! Mylady, c’eſt un lutin pour l’eſprit & la malice. — Voilà les cinquante guinées promiſes ; à préſent il ne tient qu’à vous d’en gagner cinq cents. Je ne doute pas que Mylord Clarck n’écrive à Émilie ; il arrivera ſûrement des Lettres pendant ſon abſence, car je vous préviens qu’elle eſt à préſent fort loin d’ici. Que votre Fille tâche de ſurprendre une Lettre de Clarck & les cinq cents guindés ſont à vous……

Elle me raconta enſuite ce que je t’ai mandé en commençant. J’ai aſſuré Mylady qu’elle ſeroit contente de nous. — En ce cas, vous n’aurez point à vous plaindre de moi, & je vous employerai ſouvent. J’aurai, quand je vous connoîtrai mieux, une grande confidence à vous faire, vous me ſervirez pour plus d’un objet. Adieu, travaillez pour vous & pour moi.

Je ne t’ai point écrit tout de ſuite pour prendre ici quelques renſeignemens ; je n’ai rencontré perſonne qui connoiſſe Émilie & ſon galant ; mais on parle beaucoup de Miſs Ridge & de Mylord Buckingham. Il paroît que cette Famille a d’aſſez bonnes diſpoſitions, c’eſt peut-être la force de l’exemple, c’eſt comme toi. Mais, chut ! il ne faut pas médire de ceux qui nous donnent de l’argent ; donnons-nous en revanche carte blanche ſur les autres. Adieu, ma Belle, tu ſais combien je t’aime.

Sophie Goodness.
De Londres, ce … 17

P. S. Tu dois avoir quelques guinées de reſte ſur les vingt-cinq que je t’ai laiſſées pour achever de ſéduire la Fille favorite de Miſtreſs Bertaw.