Anatole (1815)
Michel Lévy frères, éditeurs (p. 263-264).


XLV


Voilà, dira-t-on, un trait d’héroïsme au-dessus du courage des femmes. Ce n’est pas dans l’amour qu’inspire un homme, dont les qualités brillantes rachètent une disgrâce qui ne le rend à charge à personne, qu’on doit admirer l’effort d’un si beau dévouement ; c’est dans la résolution de braver le ridicule attaché à un choix semblable, que se trouve tout le sublime d’une action si généreuse ! Madame de Saverny n’est pas à se repentir d’en avoir offert l’exemple. En la voyant devenir l’épouse d’Anatole, d’abord on pensa dans le monde qu’elle se sacrifiait à la reconnaissance ; mais bientôt la réalité de son bonheur vint prouver aux plus incrédules, que la certitude d’être constamment adorée peut suffire à la félicité d’une femme sensible ; et que, dans une union formée par l’amour, on s’entend toujours assez tant qu’on s’aime beaucoup.

M. de Nangis quitta Londres pour être témoin du mariage de sa sœur, qui se fit à Merville. Avant de se rendre à l’église, Valentine demanda à son frère la permission de lui présenter la gouvernante d’Isaure, l’amie intéressante dont les soins l’avait aidée à rappeler son enfant à la vie.

— Conduisez-moi vers elle, répond le comte, impatient de remercier celle à qui il croit devoir la plus douce consolation qui lui reste.

Au même instant, Valentine ouvre la porte d’un cabinet où madame de Nangis attendait en tremblant l’arrêt qui devait finir ou éterniser son supplice. Sans laisser aux deux époux le temps de se livrer aux différents sentiments qui les agitent, Valentine les conduit dans les bras l’un de l’autre, en disant :

— Le pardon de madame de Nangis est bien dû à la mère d’Isaure !

— Mais que dira le monde ? s’écria le comte, en essuyant les larmes qui s’échappaient de ses yeux.

— Restez ici près de nous, reprit Valentine ; et vous ne le saurez pas. Ce monde vaut-il donc la peine de tant lui sacrifier ? et la peur d’une raillerie doit-elle empêcher de pardonner des torts expiés par la douleur et le repentir ? Ah ! tout me le prouve : ce n’est pas dans les plaisirs bruyants de ce monde frivole qu’on peut trouver l’oubli de ses chagrins. Imitez-moi, mon frère ; ayez le courage d’être heureux. Qu’en arrivera-t-il ? On plaisantera de l’excès de votre bonté ; on rira de mon choix ; et l’on enviera bientôt notre bonheur.


FIN.