Amours et priapées/Texte entier

Amours et priapées (1869)
Amours et priapéesPoulet-Malassis (p. 1-139).


PROLOGUE


Ovide et Jean Second, Martial et Pétrone,
Maîtres en l’art d’aimer, qu’on relira toujours,
Pour ceindre, comme vous, mon front d’une couronne,
Comme vous, j’ai fêté Priape et les Amours.

Mon luth plus chaste, ailleurs fut un écho de l’âme,
Et dans l’azur des cieux j’ai cueilli d’autres vers ;
Mais pour me consoler du mal que fait la femme,
J’ai voulu la chanter sur un rhythme pervers.

Chers poëtes, que n’ai-je et la force et la grâce
Dont vous avez tressé vos poëmes en fleurs !
De loin, d’un pied boiteux, j’ai suivi votre trace.

Jadis on vous aimait. Aujourd’hui les siffleurs,
Hypocrites ou sots, troupeau servile et triste,
Insulteront d’en bas le poëte et l’artiste.



À L’AMOUR


Amour, supplice heureux, rêverie enflammée,
Toi qui sous le soleil tiens la terre pâmée,
Dieu de la volupté, des sanglots et des pleurs,
Sur tes brûlants autels coule le sang des cœurs.

N’es-tu pas, dans les mains de l’homme et de la femme,
Un miroir où chacun vient regarder son âme ?
N’es-tu qu’un vaste abîme, où nous courons jeter
Notre moëlle, nos jours, nos nuits, sans rien compter ?


Je fus longtemps, Amour, ta proie et ta victime ;
Un ver piqua les fruits de ma jeunesse intime,
Et mon cœur est blessé par sa maturité.

Rêvant les voluptés multiples d’un satrape,
J’orne le front cornu de l’antique Priape
Des myrtes délicats de la perversité.



À PRIAPE


Priape, dieu vivant, tombé d’un ciel impur,
Protecteur des jardins, j’ai dans un coin occulte
Gardé pieusement les rites de ton culte,
Et j’aime ton phallus qui monte vers l’azur !

Dégoûté des amours, dont le mensonge enivre,
L’imagination meurtrie et le cœur las,
Je suis venu vers toi, toi qui me révélas
Des plaisirs clandestins où l’on se sent revivre.


Moi qui veux deviner tout symbole inconnu,
Poëte agenouillé devant ton front cornu,
J’ai ceint de fleurs ton buste et ton ventre difforme.

Mais il est pour le cœur un autel plus sacré ;
Dans la joie ou les pleurs, sous le saule ou sous l’orme,
Tu peux m’attendre, Amour : demain je reviendrai.



LE CLITORIS


Le clitoris en fleur, que jalousent les roses,
Aspire, sous la robe, à l’invincible amant ;
Silence, vents du soir ! taisez-vous, cœurs moroses !
Un souffle a palpité sous le blanc vêtement.

Béatrix, Héloïse, Ève, Clorinde, Elvire,
Héroïnes d’amour, prêtresses de l’art pur,
Chercheuses d’infini, cachez-vous dans l’azur !


D’astre en astre montez, aux accents de la lyre,
Loin des soupirs humains ; plus haut, plus haut encor,
Volez, planez, rêvez parmi les sphères d’or !

Le printemps fait jaillir les effets hors des causes ;
La lune irrite, ô mer ! ton éternel tourment,
Et le désir en flamme ouvre amoureusement
Le clitoris en fleur que jalousent les roses.



VÉNUS CALLIPYGE


Ô Vénus Callipyge, ô reine de beauté !
Qu’un sculpteur grec baigna d’une grâce inconnue,
Sur le sable des mers, debout et demi-nue,
Tu souris aux contours de ta divinité.

Déesse, rêve heureux de l’impudeur antique,
Tu détournes la tête, et tu sembles aimer
Les troublantes rondeurs que l’art sut enflammer,
Puisque, pour les mieux voir, tu lèves ta tunique.


Tout poëte t’adore, immobile et rêvant ;
Son regard, ce baiser des cœurs forts, a souvent
Brûlé d’un vain baiser tes deux fesses de marbre.

Il voudrait emporter dans ses bras éperdus,
Et cueillir sur tes reins des plaisirs défendus,
Car en lui le désir se dresse comme un arbre !



ECCE HOMO


Parfois, lorsque l’esprit, comme un roi sans couronne,
Vers un lointain exil et des cieux inconnus
S’enfuit, la chair docile aux conseils de Vénus,
Flot rouge et débordé, se révolte et frissonne.

Alors les désirs fous, meute qu’on emprisonne,
Montrent leurs yeux ardents et tordent leurs bras nus ;
Hors du cercle où l’esprit les avait contenus,
Ils brûlent tout, pareils à la mort qui moissonne.


L’homme et la femme, las de leur accouplement,
Vont cueillir au hasard les voluptés de Rome
Et les lubricités où se berça Sodome.

Priape, demi-dieu de l’abrutissement,
Lève son fier phallus vers le bleu firmament,
Et s’écrie : — « À genoux ! adorez ! voici l’homme ! »



LA LECTURE


Une enfant de quinze ans, une rose entr’ouverte,
À l’ombre d’un buisson en fleurs, lisait, un jour,
Un conte du vieux temps, une histoire d’amour,
Et sa jambe lascive irritait l’herbe verte.

De sa poitrine ronde un soupir s’envola ;
Elle serra les dents, et sa bouche de fraise
Sous des baisers absents sembla se pâmer d’aise ;
Son œil, clos à demi, soudain étincela.


Sur son cœur frémissant, comme un être qu’on aime,
Vaincue, elle pressa le cher et doux poëme,
Que son désir avait lu d’une seule main.

On eût vu sur ses pieds tomber sa jupe blanche,
Lorsque son cri charma les oiseaux sur leur branche :
— « Conteur, je relirai ton beau conte demain ! »



LES ROSES


À Manon


De ta bouche, rose vermeille,
Lorsque ta langue sort, pareille
Au dard enivré d’une abeille,
Le cœur ouvre l’aile, et s’éveille.

Mais le sang court à flots troublants,
Quand l’essaim des baisers brûlants
Sur tes seins, coteaux ronds et blancs,
Mouille et mord tes boutons tremblants.


Une ardente et mystique rose
Que le feu de jeunesse arrose,
Tressaille et jamais ne repose

Sous les touffes d’un frais bosquet…
Que ne puis-je, en ton lit coquet,
Des trois roses faire un bouquet !



HERMAPHRODITE

I

INVOCATION


Combien de fois, statue à l’amour interdite,
Mon désir entoura ton marbre, Hermaphrodite !
Ton beau marbre endormi, qui, depuis deux mille ans,
Offre aux yeux ses contours audacieux et blancs !

Dans ton corps jeune et froid, qui tente mon envie,
Que ne puis-je verser la pourpre de la vie,
Voir tes lèvres s’ouvrir comme une rouge fleur,
Et sentir de ton sein la mouvante chaleur !


Être mystérieux, pourquoi ta beauté double
Brûle-t-elle le sang de mon cœur qui se trouble ?
Pourquoi sur ton coussin ne t’éveilles-tu pas ?

Je t’aime ! Lève-toi, jeune fille ou jeune homme !
Dis-moi l’étrange nom dont il faut qu’on te nomme,
Et quel baiser pourrait dénouer tes deux bras ?



II

VIERGE


Le charme est accompli, virginale maîtresse,
Et pour m’aimer, ton marbre est sorti de la mort ;
Et ma langue gémit dans ta bouche qui mord ;
Et j’arrose tes flancs du miel de mon ivresse !

Sous les coups du phallus de chair qui te caresse,
Ton clitoris, ô femme ! est humide et se tord,
Tandis que sur mon ventre, ardente et sans remord,
Ta verge, adolescent, comme un serpent se dresse !


Ma bouche veut encor, folle de volupté,
Presser le dur rameau de ta virilité,
Et boire jusqu’au sang sa sève défendue !

Pour doubler les plaisirs d’une trop courte nuit,
Occupe aussi ta lèvre, et savoure le fruit
Que mon désir présente à ta bouche éperdue !



III

ÉPHÈBE


Tes fesses ont l’odeur du lys, et la pudeur
De la rose au matin, blanc jeune homme, et ma verge
Qui veut cueillir deux fois les primeurs d’un corps vierge,
Rêve de se plonger entre leur profondeur.

Tourne tes reins ! Pendant que ma force virile
Les baignera d’un flot qui monte jusqu’au cœur,
Mes mains, jouant autour de ton jardin nubile,
De tes sens enflammés attiseront l’ardeur.


Je t’aime, Hermaphrodite, et je soupire encore !
Viens ! apaise à ton tour le feu qui me dévore ;
C’est un secret nouveau ; viens, et sois mon époux !

Ma fesse peut sans honte et sans remords jaloux
S’ouvrir à ton phallus, comme un œillet qui s’ouvre…
— Beau marbre, adieu ! retourne à ton coussin du Louvre !



AMOUR, OÙ VAS-TU


— « Amour, où vas-tu, la nuit ?
— Je ne dors pas : je voyage ;
Mon aile sur mon passage
S’ouvre légère et sans bruit.

» Quand des cœurs, fraîche vendange,
Je caresse le contour,
La vierge dit : C’est un ange !
La femme dit : C’est l’Amour !


» Des virginités je cueille
Le fruit, la fleur ou la feuille,
Selon l’heure et la saison ;

» Et de mes flèches volages
Je blesse les pucelages
Dans leur rouge floraison. »



LA COUPE


Coupe de rose au fin contour,
Quel artiste t’a ciselée ?
D’un frais duvet qui t’a voilée ?
Est-ce la pudeur ou l’amour ?

Comme un sourire, tout autour
Court une guirlande annelée,
Dont l’odeur est renouvelée
Par les chauds baisers, nuit et jour.


Coupe où l’humanité vient boire !
Coupe où le cœur perd la mémoire
Dans le vin brûlant du plaisir !

Je veux que ma lèvre jumelle,
Ivre d’une soif éternelle,
Te tarisse en un long soupir !



ODOR DI FEMMINA


Ô femmes ! le désir se traîne sur vos pas ;
Vous tenez dans vos mains les pleurs et le sourire ;
Votre œil nous blesse ; un mot nous met dans le délire,
Jusqu’à l’heure où l’amour nous berce dans vos bras.

Quand, après les baisers, les sens s’endorment las,
La rêverie arrive, et le poëte admire
Vos cheveux, votre cou, votre sein qui soupire ;
Sans parler des beautés qu’on doit nommer tout bas


Vos membres délicats, moites sous les caresses,
Pour donner à l’amant de nouvelles ivresses,
Exhalent un parfum qu’il savoure longtemps.

Sur vos corps blancs et nus, jaspés de veines roses,
Comme dans un jardin où foisonnent les roses,
On respire une odeur d’amour et de printemps.



CIRCÉ


Les compagnons d’Ulysse, égarés sur les mers,
Ont jeté vers les dieux leurs sanglots en détresse,
Et leur navire aborde, au vent qui les caresse,
Dans l’île de Circé, la déesse aux yeux pers.

Ô femme ! ta beauté rend les hommes pervers !
Les matelots, baisant de loin l’enchanteresse,
Sur un rhythme indolent, ou que le désir presse,
Secouaient leur phallus au bord des flots amers.


En vils pourceaux Circé changea tout l’équipage.
Seul près d’elle, le roi d’Ithaque, fort et sage,
Songeait à Pénélope, et défendait son cœur.

Mais les pourceaux pâmés d’amour, grognant en chœur,
Pour soulager encor le feu qui les inonde,
Sur l’herbe ou les rochers frottaient leur ventre immonde.



CONSEIL


Sous les berceaux ou sur les tombes,
Colombes,
Soupirez et becquetez-vous !

Entrelacez, ô tourterelles !
Vos ailes,
Pour dormir dans vos nids si doux !


Vierge toute en fleur, qu’effarouche
Le jour,
L’amour
Rit dans ton cœur, rit sur ta bouche.

Ouvre aux baisers du bien-aimé
Ton âme,
Ô femme !
Tes bras et ton sein parfumé !



LA BOHÉMIENNE


Au temps du carnaval, le front couvert d’un masque,
On la voit dans la rue ; et ses lourds cheveux blonds
Tombent en tresses d’or jusque sur ses talons,
Lorsque son doigt bondit sur le tambour de basque.

Sa danse et sa chanson, d’une allure fantasque,
Entrelacent gaîment les notes et les bonds ;
Puis, retroussant sa manche autour de ses bras ronds,
Aux passants généreux elle tend un vieux casque.


Serré par une écharpe, un frêle vêtement
Dessine de ses reins la cambrure et le galbe,
Modelés avec art comme une Vénus d’Albe.

Sa robe sur son corps flotte amoureusement ;
Et les cœurs, entraînés par le chant de sa danse,
Suivent ses pieds légers qui courent en cadence.



LA BACCHANTE


Lève-toi, les seins nus ! Couronne-toi de fleurs !
Sois pleine de ton dieu, fière bacchante antique !
Entr’ouvre sur tes flancs les plis de ta tunique !
Étale de ton corps les païennes rondeurs !

La volupté sourit à tes folles ardeurs,
Elle entraîne le vol de ta danse impudique ;
Et ton thyrse et le pampre, aux fêtes de l’Attique,
Enlacent leur caprice et leurs vives rougeurs.


Triomphe de Vénus, nonchalante déesse !
Que tes bonds effrénés, furieux de jeunesse,
Allument de tes yeux l’insolente beauté.

Dans la coupe d’onyx, où Bacchus indompté
Versa les gais poisons dans sa divine ivresse,
Bois à longs traits le vin de l’immortalité !



LA PAUVRESSE


Tu vas par les chemins, chantant sur ta guitare
Les airs et les chansons d’un pays inconnu ;
Tes cheveux crespelés, qu’une tresse sépare,
Tombent en noirs anneaux qui baisent ton bras nu.

Ton œil vif ouvrirait le coffre d’un avare,
Et l’adolescent rêve à ton rire ingénu ;
Moi, j’aime ton allure et ta grâce barbare,
Et tes haillons flottant sur ton torse charnu.


Les frissons de la chair courent sous ta guenille
Qui moule tes contours et qui te déshabille,
Comme un voile léger couvre un marbre sculpté.

Bohémienne au front brun, par le soleil dorée,
Tu portes fièrement ta robe déchirée,
Qui, sous ses plis fanés, ébauche ta beauté !



LA CEINTURE DE CHASTETÉ


Un comte de Nevers, qu’on appelait aux armes,
Comme en un coffre-fort on cache ses bijoux,
Sous l’or d’une ceinture et d’un fermoir jaloux
Scella le clitoris de la comtesse en larmes.

À quelques jours de là, sous les murs du château,
Un troubadour passa, qui venait de Provence.
Sa viole soupira sa plus tendre romance,
Qui vers la dame ouvrit ses deux ailes d’oiseau.


Le beau chanteur, au soir, est assis auprès d’elle :
— « Madame, vous pleurez ! contez-moi votre ennui ? »
Elle baisse les yeux et se penche vers lui.

— « Je t’aime ! dit l’enfant ; ta ceinture rebelle
Tombera sous mes dents qui sauront la briser… »
Et l’aube les surprit, perdus dans un baiser.



À UN AMOUREUX TIMIDE


Pourquoi ces soupirs ? Ta flamme est craintive ;
Hâte-toi d’aimer : l’heure fugitive
Emporte en son vol la nuit et le jour…
Ta bien-aimée est mûre pour l’amour.

Nage sur son lac, si c’est un blanc cygne ;
Cueille son fruit d’or, si c’est une vigne ;
Si c’est une ruche, épuise son miel ;
Si c’est un rayon, suis-la dans le ciel ;


Si c’est une rose entr’ouverte et belle,
Bois-en le parfum qui va s’exhaler ;
Si c’est une branche, endors-toi sur elle ;

Si c’est un oiseau prêt à s’envoler,
Coupe sans blessure un bout de son aile ;
Si c’est une perle, il faut l’enfiler.



LA SORCIÈRE


Lorsque le vent d’hiver de ses quatre ailes bat
Le ciel, les bois, les monts et la plaine étendue,
La sorcière, dont l’âme à Satan est vendue,
Enfourche un balai sec, et part pour le sabbat.

Voyageuse doublant l’horreur des ombres mornes,
Sœur du hibou qui rêve au sommet d’une tour,
Elle sème partout ces fléaux de l’amour,
La syphilis mignonne, et les grotesques cornes.


Entend-elle passer des sanglots inconnus ?
Non ; mais, comme un troupeau de lubriques Vénus,
La sorcière rugit, de chaleurs opprimée,

Voudrait voir dans ses flancs entrer toute une armée,
Et, pour se consoler, haletante, affamée,
S’enfonce son balai jusqu’au fond de l’anus !



LA BAIGNEUSE


Elle est là, dans son bain ! Sa bouche purpurine
S’ouvre, comme une fleur, aux frais baisers de l’air ;
Son teint, blanc et rosé, rappelle l’églantine ;
Entre ses longs cils bruns rayonne un double éclair.

L’onde amoureusement lui lèche la poitrine,
Et le désir paraît frissonner sur sa chair,
Quand, du bout de son pied, dans sa joie enfantine,
Elle agace, en riant, le flot limpide et clair.


Elle n’a pas quinze ans, et la grâce couronne
Ce visage coquet, dont l’ovale contour
Sera bientôt mouillé des lèvres de l’amour.

De sa beauté plus mûre elle est fière et s’étonne,
Et voyant de son sein le sentier mieux tracé,
Dit : « Depuis le printemps que ma gorge a poussé ! »



DÉVOTION


Ta bouche est un vivant ciboire
Coloré par un sang divin ;
C’est là, femme, que l’on vient boire
L’amour, doux et mystique vin.

Ta langue est une chaude hostie
Où le cœur aspire en tremblant,
Et l’on reçoit l’eucharistie
Sur tes genoux, cet autel blanc.


Ô femme ! courtisane ou vierge,
Vers toi l’homme porte son cierge,
Pour éclairer votre union.

Ton lit est l’odorante église
Où tout amant s’emparadise
Dans l’humaine communion !



LE RÊVE


À une jeune fille


Tu ne t’en doutes pas, — j’ai dormi dans la couche
Où la prière vient fermer ton grand œil bleu ;
Et le lin virginal, qui chaque nuit te touche,
Enveloppa mon corps dans des replis de feu.

Je mordais l’oreiller où je cherchais ta bouche ;
Pour t’avoir sur mon cœur, j’aurais renié Dieu…
Pardonne ! chaste enfant qu’un regard effarouche,
Qu’un baiser fait rougir, si j’ai dormi bien peu.


Le sommeil vint changer la rêverie en rêve…
Tu te laissas tenter, Ô blanche fille d’Ève !
Le plaisir ou l’amour t’enferma dans mes bras ;

Je t’accablai des noms qu’on donne à sa maîtresse,
Et ton lit fut témoin de ma dernière ivresse ;
Mais, le réveil venu, je ne t’y trouvai pas !



LES TRIBADES


(D’APRÈS UNE GRAVURE)

Ces filles de Lesbos dorment entrelacées,
Comme deux jeunes fleurs sur un même rameau ;
Elles dorment ! Leur sein éblouissant et beau,
Se gonfle au souvenir de leurs folles pensées.

D’un mutuel amour leurs lèvres caressées
Semblent prêtes encor pour un baiser nouveau ;
Et demain dans ce lit, voluptueux tombeau,
Le plaisir rouvrira leurs corolles lassées.


Leurs corps n’est entouré d’aucun voile jaloux ;
J’écoute soupirer leur souffle, et je me penche
Pour mieux voir les contours de leur nudité blanche.

Mais je ne suis qu’un homme, et je pleure à genoux :
Sur elles, pour tromper ma flamme inapaisée,
Mon désir verse à flots sa brûlante rosée.



ARCADES AMBO


Deux garçons de quinze ans, cœurs à peine entr’ouverts,
Bras dessus bras dessous, et beaux comme des femmes,
L’un aux cheveux dorés, l’autre à l’œil noir de flammes,
S’en allaient, accouplés, sous les feuillages verts.

Sous un vieux chêne, d’où pleuvaient l’extase et l’ombre,
Ils s’assirent, les yeux fixes, et tout songeurs :
L’un riait à demi, l’autre avait le front sombre,
Et le vent caressait leurs rêves voyageurs.


Pareils au blond Narcisse amoureux de lui-même,
D’une fiévreuse main chacun se dit : je t’aime !
Et le lait du plaisir mouilla cet entretien.

Un cri de volupté jaillit de leur poitrine !
— « À qui donc pensais-tu ? » demanda l’un. — « À Dine. »
L’enfant brun répondit : — « Moi, je ne pense à rien. »



MISS VERVEINE


Sur sa bouche qui semble une double cerise,
Glisse une fraîche voix, plus molle que la brise,
Et de son cou baigné de neigeuse pudeur,
S’exhale comme un flot de virginale odeur.

Miss Verveine a des airs d’ange et de tourterelle ;
La rose est moins fragile, et le lys est moins frêle ;
Quelle grâce ! on a peur que le poids d’un baiser
L’incline sur sa tige, et vienne la briser.


Jamais, dit-on, l’amour n’ose approcher son âme,
Et chacun se demande : Est-elle vierge ou femme ?
Tant son indifférence effarouche l’espoir !

Sous ce sein délicat veille un ardent supplice :
Savez-vous ce qu’elle aime ? Un taureau blanc et noir,
Qu’elle a vu dans les prés saillir une génisse.



LA LOUVE

I

LÉONA


Les yeux creux, Léona, plus pâle que la lune,
Tout le jour, erre seule, au hasard, et remplit
Les sentiers et les bois de sa plainte importune.

La solitude accroît encor son infortune ;
La nuit, elle soupire et déserte son lit,
Pour rafraîchir au vent sa gorge ardente et brune.


Quel est son mal ? Elle aime ! Elle aime, et veut mourir,
Car elle sait le gouffre où se débat son âme :
L’objet de son amour, horreur ! c’est une femme,
Dont pour elle les bras ne doivent pas s’ouvrir.

Elle sèche et languit, elle crie aux étoiles :
« Toi que j’aime aujourd’hui, que j’aimerai demain,
Vierge, oh ! viens, sois à moi ! Mes lèvres et ma main
De ta virginité déchireront les voiles ! »


II

ALINE


Aline sommeillait, un matin. Léona,
Voyant la blonde vierge en fleur et demi-nue,
Dans ses veines sentit une force inconnue
Courir, comme la foudre éclatant sous la nue.

Sa folle passion soudain se déchaîna ;
Elle trembla, rougit, pâlit. Ivre et farouche,
Elle enlaça sa proie, et lui ferma la bouche
D’un baiser. Lors l’enfant se dressa sur sa couche !


— « Aline, mon cher cœur et mon rêve adoré,
Va ! ne crains rien, c’est moi, ta Léona ! Je t’aime
Et brûle d’infuser mon amour en toi-même !

Mes lèvres vont cueillir ton fruit tant désiré ! »
La victime, n’osant fuir l’œil noir qui la couve,
Se taisait sous les dents puissantes de la louve.



III

VOLUPTÉ


Léona l’entoura de ses jambes, baisa
Ses yeux, sa chevelure et sa langue vermeille.
La vierge, dont le cœur en souriant s’éveille,
À ces souffles de feu par degrés s’embrasa.

Suçant les boutons durs de sa gorge pointue,
La louve sur son corps promenait tous ses doigts ;
On eût dit qu’elle avait vingt lèvres à la fois…
Aline se pâmait à ce jeu qui la tue.


— « Ouvre ta cuisse blanche et ronde, mon enfant ;
Ton clitoris, blotti dans sa toison dorée,
Veut les tendres fureurs d’un baiser triomphant ! »

Ivre de volupté, mais non désaltérée,
Léona savourant son virginal trésor,
À la coupe d’amour, le soir, buvait encor.



L’EUNUQUE NOIR


Le grand eunuque noir, venu d’Abyssinie,
Fils de Cham, et martyr de la race de Sem,
Loin du pays natal mène son agonie,
Et surveille à huis clos les péchés du harem.

Mais il n’est plus un homme et n’est pas une femme :
Sous les ciseaux jaloux de la riche Stamboul
Ont péri deux trésors, où retentissait l’âme,
Et ce n’est pas pour lui que soupire boulboul.


Il sent, voyant au bain les odalisques nues,
De stériles ardeurs, des flammes inconnues,
Et sa chair de désirs sans espoir a frémi.

Sur un tapis de Perse il s’assied, tout en larmes,
Et veut en vain gonfler, le cœur plein de leurs charmes,
Son membre qui retombe, à jamais endormi.



L’EUNUQUE BLANC

I

NÉGRESSE


Un eunuque d’Asie, enivré de paresse,
Joue avec le collier d’ambre d’une négresse,
Écoute les jets d’eau pleuvoir dans les bassins,
Et fume le chibouk, couché sur des coussins.

De loin, une odalisque, aussi blanche qu’un cygne,
L’appelle d’un sourire, et du doigt lui fait signe.
L’esclave, obéissant, lève son front pâli.
Mais la négresse a vu le rendez-vous d’Ali,


Et dans ses yeux la haine a remplacé la joie.
Comme un chat-tigre auquel on arrache sa proie,
Jalouse, elle leur lance un défi triomphant :

— « Sous les flots du Bosphore, à la première étoile,
Iront dormir, cousus dans un grand sac de toile,
La sultane amoureuse et l’amoureux enfant ! »



II

LE BOSPHORE


— « Viens ; sous ces orangers fuyons l’ardeur du jour,
Dit la sultane émue ; esclave que j’adore,
Je connais des plaisirs qui te restent encore ;
Le maître est à la guerre, et je languis d’amour.

» Tes deux yeux sont de jais, ta poitrine est d’ivoire,
Et souvent, je l’ai vu, ta bouche m’a souri ;
Je veux te dévoiler mes beautés de péri,
Et t’ouvrir un calice où tes lèvres vont boire. »


Ali s’étonne, et suit sous les bosquets en fleur.
Il sent dans un baiser se perdre sa douleur,
Pendant que sous sa langue elle meurt et se pâme.

Ibnah les épiait : l’alkovan sur les flots
Entendit, vers le soir, deux cris sourds, deux sanglots…
Le Bosphore implacable avait puni leur flamme.



LE NYMPHÆA


Les fleurs ont leurs amours. Fleurs du sol, fleurs des eaux,
Or, azur, pourpre et neige, où l’insecte voltige,
Elles sentent frémir leur calice ou leur tige,
Lorsque l’été nubile enivre les rameaux.

Le pâle nymphæa par degrés se colore,
S’entr’ouvre feuille à feuille, et sort de son sommeil,
Prend la vie et la force, et mûrit au soleil
Qui de ses chauds rayons l’enveloppe et le dore.


Bientôt, du fond des flots, le pollen amoureux,
Comme un baiser humain, monte au cœur de la plante,
Monte pour féconder la corolle tremblante.

Fleurs, avez-vous une âme et des désirs heureux ?
Si vous aimez, souvent votre tige est brisée,
Et pour pleurs, nymphæas, vous avez la rosée.



COLUMBATIM


Dans ce lit, aux molles clartés
Tombant d’une lampe d’albâtre,
Voyez s’entrelacer, s’ébattre
Deux serpents, deux jeunes beautés.

Des serpents ! non, ce sont des cygnes
Par la grâce et par la fraîcheur ;
L’aile frémit en sa blancheur,
Brisant les ombres et les lignes.


Pourquoi ces soupirs, ces sanglots,
Couple ardent, dont le sein palpite ?
La fureur de Sapho t’agite :

Ensemble vous videz à flots
Vos coupes de chair, loin de l’homme,
Ô précieuses de Sodome !



LE SATYRE


— « Toute amour de femme est chose amère, inféconde,
Qui laisse derrière elle une odeur de remord :
Que peut-elle donner ? deux heures en ce monde,
L’une à son lit de noce, et l’autre au lit de mort.

» Fuyons ce vil troupeau, qui, pour forger nos chaînes,
Nous fait suer de l’or, des larmes et du sang ;
Fuyons ! puisque nos cœurs sont forts comme ces chênes
Que sur les Apennins bat l’aquilon puissant. »


Ainsi parlait Robert, dressant sa tête brune.
André, timide et doux, blond comme un clair de lune,
L’écoutait, palpitant sous un prochain affront.

Il sentit, feu dompteur, des caresses de lierre
L’enlacer, le brûler, et vaincre sa prière ;
Puis le rideau voila la rougeur de son front.



À UNE BLONDE


Vous partez ; c’est dommage, en vérité, la belle !
Peut-être fuyez-vous pour ne plus revenir.
Reviendrez-vous bientôt, voyageuse hirondelle ?
C’est beaucoup, mais trop peu, que votre souvenir.

Je ne puis même pas te nommer infidèle :
Je n’ai que dans tes yeux butiné le plaisir ;
Quoiqu’une larme tremble au bord de ma prunelle,
J’ai grand’peur, Régina, de ne pas en mourir.


Délaisse-nous, au moins, avec coquetterie,
Et chasse de ton front la pâle rêverie :
Pour le cœur le regret parfois est un danger.

Moi qui n’ai pas le temps d’aller au bout du monde,
Ne fût-ce qu’une fois, avec toi, belle blonde,
Au pays des amours je voudrais voyager.



LES COTEAUX DE L’AMOUR


Ô contours veloutés, mamelles féminines,
Dont une coupe grecque a moulé la rondeur,
Une robe nous cache et votre exquise odeur
Et de vos deux boutons les fraises purpurines.

Les beaux seins rebondis creusent sur les poitrines
Un amoureux vallon, où fleurit la pudeur ;
Un souffle égal et tiède, ou haletant d’ardeur,
Mystérieux volcan, soulève les collines.


Là nous buvons le lait, la force et la santé ;
Notre sang, pur et chaud, sort du sein de la femme,
Et plus tard par l’amour nous lui rendons notre âme.

L’amant, las de baisers, pose avec volupté
Entre ces blancs coteaux sa tête nonchalante,
Et s’endort, écoutant le cœur de son amante.



LE ROI ROUGE


Son front est couronné de lys et d’oranger,
Où le coquelicot, comme une flamme, éclate ;
Sur son épaule il jette un manteau d’écarlate,
Quand l’aile de ses pieds s’ouvre pour voyager.

Portant dans sa main gauche une lance d’ivoire,
Où luit un serpent vert qui siffle et qui se tord,
Il court du sud à l’est et de l’ouest au nord,
Et perce de ses coups la femme, blanche ou noire.


Les vierges de douze ans dorment, croisant les bras :
Le Roi Rouge survient, qui, soulevant les draps,
De leurs nubilités ensanglante la rose.

La jeune fille pleure, et tout son cœur se fond ;
Mais, essuyant sa lance, il rit et lui répond :
« Demain tu béniras cette métamorphose. »



COQUETTERIE NOCTURNE


Tout repose, tout dort. Seule, Saphica veille.
Écartant ses cheveux avec ses jolis doigts,
Guette-t-elle l’espoir d’une lointaine voix ?
Aux plaintes de la nuit prête-t-elle l’oreille ?

Non, les heures vont vite, et la terre sommeille.
Un souvenir d’amour, d’hier ou d’autrefois,
Semble errer sur sa bouche et sourire à la fois,
Comme autour d’une fleur joue une blonde abeille.


Elle quitte son lit, et court à sa psyché,
Se balance, coquette, et de l’œil se câline,
Comme cet enfant grec qui sur les flots s’incline.

Son front, qu’elle étudie, avec art est penché ;
Pour des combats nouveaux renouvelant ses armes,
Elle essaie au miroir la force de ses charmes.



ÈVE ET SATAN


Raphaël nous a peint, dans sa fresque sublime,
Le Démon, sur l’arbre où la femme se suspend,
Avec la tête d’Ève et le corps d’un serpent :
De loin, le tentateur ressemble à la victime.

Sous le voile charmant de ce mythe caché,
Déjà sourit le Mal, cette fleur de la terre,
Qui rappelle à nos cœurs, sous son symbole austère,
Le pouvoir de la queue, et le premier péché.


Ève accepta le fruit de Satan ; et la pomme,
Coupée en deux, forma, femme, tes seins, où l’homme
Boit le vin du remords, s’enivre et se suspend ;

Pendant que, chérissant ta faute primitive,
Tu veux chercher encor, virginale ou lascive,
Dans le membre viril l’image du serpent.



LES CHEVEUX DE LA FEMME


Savez-vous quelque chose au monde
D’aussi beau que de beaux cheveux,
Qu’une tresse châtaine ou blonde,
Que des bandeaux noirs et brumeux ?

Boucles où le caprice abonde,
Crespelures au jet fougueux,
Nattes légères comme l’onde,
Folâtrent sur les cols neigeux.


Ô fraîches têtes féminines,
Vous avez des odeurs divines,
Comme les champs au mois de mai.

Je mourrais, ma mie, avec joie,
Si dans tes longs cheveux de soie
Mon corps pouvait être embaumé ?



À UNE DANSEUSE


Camara, les deux mains qui sortent de tes manches
Comme deux oiseaux blancs semblent prendre leur vol,
Lorsque, d’un pied fougueux, tu bondis sur le sol,
Ouvrant ta bouche rose, et montrant tes dents blanches.

Ton buste, qu’en dansant avec langueur tu penches,
Module la cadence et le rhythme espagnol ;
Ton écharpe dans l’air joue autour de ton col,
Et ta jupe lascive est folle sur tes hanches.


Jetant les bras au vent, tordant tes reins cambrés,
Tu dardes les éclairs de tes yeux enivrés,
Dans les nerveux élans de ta danse hardie.

Le désir mord les cœurs qu’a vaincus ta beauté,
Car, pour laisser la foule ivre de volupté,
De ta robe déborde une épaule arrondie.



LA STÉRILITÉ


La fécondité vient blesser le plus beau flanc,
Et l’arbre maternel sous ses labeurs se fane ;
Tandis que l’oreiller frais de la courtisane
Exhale pour les cœurs un arome puissant.

Garde, sans la briser, ta couronne stérile,
Femme ! c’est ton honneur, c’est notre volupté.
Va, ne disperse pas les fleurs de ta beauté
Aux flagellations d’un amour inutile.


L’Amour, l’inexorable Amour, est le seul roi,
Le jardinier brûlant des grands cœurs, et l’effroi
Du phallus languissant, qui fume comme un cierge.

Votre ventre a des plis, mères ! Mais mon désir,
Qui n’est point un glaneur dans les champs du plaisir,
Veut, en la moissonnant, croire la moisson vierge.



LES LÈVRES


De sa bouche surtout une femme est parée :
C’est une rose rouge, où l’amour fait fleurir
Le sourire jouant dans sa conque adorée,
Qui s’ouvre, langoureuse, aux souffles du zéphyr.

Par la blancheur des dents la corolle est nacrée ;
Sa fraîche haleine exhale un parfum de plaisir ;
Sous ses humides plis, d’une teinte empourprée,
Va butiner gaîment l’abeille du désir.


Si l’on boit un baiser dans son tiède calice,
On goûte, volupté, ton enivrant supplice,
On y suspend son âme, et l’on se sent pâmer.

Ô femmes ! votre cœur sur vos lèvres soupire,
Et l’amant qui vous aime à la hâte respire
Cette fleur que l’oubli tôt ou tard doit fermer !



LE BAISER


L’humain baiser,
Orage en flamme,
Flagelle l’âme
Sans la briser.

Éclair ou lave,
Foudre ou torrent,
Le baiser rend
Le cœur esclave.


Son feu puissant
Brûle le sang
D’étranges fièvres,

D’ardents frissons,
Quand nous pressons
Les quatre lèvres.



LÉDA


Orné de la blancheur des neiges de l’Ida,
Pour croître le trésor de ses métamorphoses,
Sur le clair Eurotas, parmi les lauriers roses,
Le cygne olympien a nagé vers Léda.

Sur le miroir troublé de la rivière bleue,
Il glisse doux et fier ; son plumage tremblant
S’enfle et frissonne ; on voit l’orgueil de son cou blanc
Se dresser vers la rive, et tressaillir sa queue.


Léda, qui dans le flot baignait ses beaux pieds nus,
Sent ses veines brûler des fureurs de Vénus,
Soupire, tend les bras, amoureuse de l’onde ;

Quand l’oiseau-dieu, chanté par le rapsode grec,
L’enlace de son aile ardente, et de son bec
Mord sa bouche, la baise, et deux fois la féconde.



SOUS LES ARBRES


C’était la saison des amours !
C’était le temps où la colline
Se fait belle pour les beaux jours.
L’air tiède, effleurant l’aubépine,

Apporte au rêveur qui chemine
Un parfum renaissant toujours,
Et la brise de l’herbe fine
Courbe à peine le frais velours.


L’amour invite à la paresse,
Et je m’assis, et ma maîtresse
Me dit : « Les oiseaux amoureux

« Se becquètent sous la feuillée…
Tes doux baisers m’ont réveillée ;
Aimons ! Vois comme ils sont heureux ! »



À BERTHA


Je connais ta beauté de la nuque à l’orteil,
Bertha ! j’ai respiré ta chevelure blonde,
Léché tes yeux mi-clos, sucé ta gorge ronde,
Baisé tes dents qu’entoure un sourire vermeil.

J’ai bu même, emporté par d’amoureuses fièvres,
Le sang pur de ton cou par le peigne blessé,
Et ma langue savante a souvent caressé
Le bouton qui frémit entre tes quatre lèvres.


L’un dans l’autre perdus, nous n’avons pas goûté
Tous les secrets brûlants de l’âcre volupté :
Nous avons dans nos jeux oublié quelque chose.

Tourne-moi le trésor de tes reins assouplis,
Couche-toi mollement : sur tes trente-deux plis
Mon baiser veut, lascif, faire feuille de rose.



SAGESSE


Puisque la femme est infidèle,
Que son cœur est une hirondelle
Qui part et brise d’un coup d’aile
Le nid de ses amours,

Sans nous donner des airs moroses,
N’aimons rien, aimons toutes choses,
Butinons lys, verveine et roses,
Qui verdissent toujours.


Aux corolles brunes ou blondes
Laissons nos lèvres vagabondes
Courir et s’embraser ;

Et nos cœurs, lascives abeilles,
Faire mourir les fleurs vermeilles
Sous le dard du baiser.



LE DERNIER VÊTEMENT


Demi-nue, elle dort, et sa chemise fine
De plis capricieux l’enlace mollement,
Sans cacher les rondeurs de sa ferme poitrine,
Peut-être vierge encor des baisers d’un amant.

La hanche s’épaissit, et la chair se devine
Sous le tissu léger du jaloux vêtement
Qui moule de ses reins la courbe florentine ;
Sa jambe se replie et dort nonchalamment.


Sur sa bouche entr’ouverte un paisible sourire
Voltige ; son sein rond s’enfle, tremble et respire ;
Ses cheveux dénoués baisent ses blancs genoux.

C’est le sommeil divin d’une déesse antique,
D’un marbre revêtu d’une blanche tunique…
Ô mortelle ! ô Diane ! a-t-il neigé sur vous ?



HONESTA MERETRIX


« Mes cheveux sont à moi comme la feuille à l’arbre,
Et c’est un voile d’or qui rit sur mes pieds nus ;
Mes seins, que le corset n’a jamais contenus,
Sont ronds comme l’orange, et durs comme le marbre.

» De mes yeux nul pinceau n’a bruni le contour ;
Mon col, vierge de fard, est un cygne d’amour ;
Mes lèvres, rouge œillet, de perles sont nacrées.


» Le bain, que mon corps seul parfume, en s’y plongeant,
Ne lave aucune poudre ou de riz ou d’argent :
L’eau frissonne, en léchant mes formes désirées.

» Mes deux jambes, chemin d’un frais mont de Vénus,
Mènent, parmi les lys, à cette rose moite,
Prête aux baisers, qui n’a besoin, pour être étroite,
Ni de vinaigres fins, ni de sels inconnus, »



À UNE PETITE FILLE


Petite fille, un jour, tu seras grande et belle !
Alors de ta beauté tu sauras la douceur ;
Quelque vague soupir envolé de ton cœur,
Trahira les trésors cachés dans ta prunelle.

Deux boutons fleuriront sur ta double mamelle,
Et les femmes en toi reconnaîtront leur sœur ;
Tes yeux seront voilés, et la fraîche pudeur
Ornera ton front blanc d’une grâce nouvelle.


Ton regard, plus rêveur, caressera les cieux,
Tu trouveras moins doux les baisers de ta mère,
Ta bouche suspendra ta distraite prière ;

Et dans ton sein gonflé, nid rose et gracieux,
Quand luira pour ton cœur la saison printanière,
L’amour viendra chanter, oiseau mélodieux.



MYRTA


Sur le gazon couchée, une vierge romaine,
L’indolente Myrta fuit le soleil d’été :
Elle sent, aux ardeurs qui brûlent son haleine,
S’épanouir la fleur de sa nubilité.

Livrant sa gorge nue aux brises de la plaine,
Pour apaiser les feux de sa virginité,
Elle se penche et boit à l’eau d’une fontaine,
Dont le flot transparent reflète sa beauté.


Un Priape, à travers le feuillage d’un arbre,
Ouvrait, en souriant, ses prunelles de marbre ;
Et la vierge, le sein enflé d’un doux émoi,

S’approche, rougissante et la joue enflammée,
Entoure de ses bras la statue, et pâmée,
S’écrie : « Oh ! je me meurs ! Vénus, pardonne-moi ! »



LA CHÈVRE BLANCHE


Promenant le trésor de ses mamelles pleines,
La chèvre svelte saute à travers les buissons ;
Sa robe est une neige errante sur les plaines,
Et les oiseaux pour elle ont gardé leurs chansons.

Cette chèvre appartient au troupeau de Sylvie,
Bergère qu’aime en vain Tircis, le beau berger ;
Elle a tout refusé, les fruits de son verger,
Ses lèvres et son cœur, et dans son cœur sa vie.


Sylvie, il t’aime encor, mais il ne t’aime plus :
Il lève sa tunique, il souffre, il a la fièvre ;
Il jette vers ton sein des soupirs superflus ;

Et, pour punir Eros dont la rigueur le sèvre,
Baisant son poil lustré dans l’eau de l’Ilyssus,
Sur la bruyère en fleurs il épousa la chèvre.



À UNE VIERGE DE SEIZE ANS


Jeune vierge, l’amour dans un sein printanier
Tôt ou tard s’éveille ;
Il rôde autour du cœur, comme vole une abeille
Au bord d’un rosier.

Il pique doucement le désir qui sommeille
Et qui, prisonnier,
Prend son vol, agaçant d’un soupir familier
La bouche vermeille.


Le bouton s’ouvrira sous l’effort de la fleur.
Vainement ta mère
Protége le trésor de ton chaste bonheur.

De ta virginité sois moins sûre et moins fière :
De l’amour, ma chère,
Tes deux seins rondelets défendent mal ton cœur.



LA CHEVELURE DE ROSINE


Ondée autour du front, sa brune chevelure
Se moire des reflets de l’aile d’un corbeau ;
De son peigne d’écaille, impuissante morsure,
S’échappe sur son cou plus d’un rebelle anneau.

Le soir, à son coucher, cette riche parure
Enveloppe son corps dans un large réseau,
Quand, nue, elle dénoue, au miroir, sa coiffure
Qui traîne sur ses pieds comme un vivant manteau.


De ses boucles s’exhale une odeur printanière,
Mélange de verveine et de myrtes fleuris,
Que respire l’amour dans l’ivresse des nuits.

Mais ces longs cheveux noirs dont elle était si fière,
Dont sa pudeur pouvait se faire un vêtement,
Sont tombés sous la main jalouse d’un amant.



LE TIGRE


Un bruit sourd emplissait d’épouvante les jungles.
La tigresse, les crins hérissés, écoutait
Une lutte terrible, et son flanc haletait,
Pendant que dans le sol elle enfonçait ses ongles.

La femelle, attendant le mâle, était en rut,
Et ses rugissements courbaient le lourd feuillage,
Lorsque le tigre, au loin poussant un cri sauvage,
Comme une flèche ailée et vivante, accourut.


La tigresse vers lui bondit, pleine de joie,
Le caressa d’un œil fauve de volupté,
Et lécha du vainqueur le poil ensanglanté.

Il la mena, tranquille, à pas lents, vers sa proie,
Ouvrit le ventre chaud encor d’un éléphant,
Pour baigner dans le sang son amour triomphant !



LE COUSSIN


Sur vos seins blancs et ronds, fontaines du plaisir,
Ô femmes que j’aimais, regrettables maîtresses !
Vous m’avez abreuvé du lait de vos tendresses :
J’en ai tari la source, et l’âge va venir.

Ô fleurs ! où butina mon volage désir,
Courtisane aux longs crins, vierges aux longues tresses !
Pour sauver de l’oubli vos rapides caresses,
Ma main a sur vos corps cueilli le souvenir.


J’ai de vos beaux cheveux respecté la couronne ;
Mais les trésors crépus que l’amour abandonne,
Boucles d’ébène ou d’or, anneaux luisants et doux,

Odorante moisson qui fait encor ma joie,
Je les ai rassemblés dans un coussin de soie,
Où je viens tous les soirs poser mes deux genoux.



LE RAYON DE LUNE


Le front de myrtes couronné,
Il dort, le berger de Carie,
Sur le gazon de la prairie,
Comme un épi non moissonné.

De fleurs il est environné ;
Et pour que sa bouche sourie,
Sur son rêve ou sa rêverie
Le vent du soir a frissonné.


Pœbé, la pudique déesse,
Se lève blonde à l’horizon,
Et regardant Endymion

Beau de grâce et beau de jeunesse,
Lui verse, invisible caresse,
Tout son amour dans un rayon.



DIOGÈNE


Le philosophe de Sinope,
Qu’une vieille guenille à grand’peine enveloppe,
Au nez du peuple athénien,
Agite, sans rougir, son membre, comme un chien.

Par un tel exercice, en somme,
Diogène, à coup sûr, ne cherche pas un homme.
Sa lanterne est auprès de lui,
Pour railler le soleil qui sur elle avait lui.


Sous sa chlamyde de parade,
Vient à passer Alcibiade :
— « Que fais-tu là ? » lui dit le bel Athénien.

Le cynique alors prit sa lanterne en silence,
Et dit, en l’éteignant par le jet qui s’élance :
— « Je coupe la queue à mon chien. »



LA CHAPELLE


Par un soir froid d’hiver, se chauffait, solitaire,
Une vieille ridée, à l’œil noir et profond,
Regardant tour à tour l’alcôve et le plafond,
Qui semblait regretter et le ciel et la terre.

Elle était accroupie au coin du feu, levait
Ses jambes, où jadis fleurissaient tant de charmes,
Que de jeunes amants inondaient de leurs larmes,
De nocturnes baisers, où tout leur cœur rêvait.


La vieille alors pensive, éteignant sa chandelle,
Pour mieux voir du passé l’oublieuse hirondelle,
Sent dans son cœur trop plein l’amour se rajeunir.

Sa jupe est retroussée, et le bleu tison fume,
Et sa cuisse s’éclaire ; et dans son sein s’allume
Aux flammes du foyer le feu du souvenir.



L’ORAGE


— « Je tremble ! il tonne ! dit l’enfant pleine d’effroi.
— Qu’importe ! répondit le jeune homme ; l’orage
Au ciel gronde moins fort que mon amour pour toi.
— Laisse-moi dans tes bras retrouver le courage ! »

Quelques soupirs brisés, pareils à des sanglots,
Troublaient le marbre ardent de sa gorge oppressée,
Pendant que le tonnerre, assaillant les échos,
Roulait au firmament sa colère insensée.


La pluie à torrents lourds tombait, et, menaçant,
Le vent hurlait au loin son cantique en détresse ;
L’éclair faisait siffler ses vipères de sang.

— « Baise ! oh ! baise-moi ! dit l’amant à sa maîtresse ;
Sens-tu pas la douceur de ma dure caresse ?
L’éclair est dans mes yeux, la foudre est dans ton flanc ! »



L’ANGELUS


Allons ! éveillez-vous, ma mie !
Écoutez tinter l’Angelus !
Rouvrez votre bouche endormie,
Venez prier sur mon phallus !

Venez ! c’est la prière humaine
Qu’à Platon Socrate chanta,
Celle qu’en voyant Magdeleine,
Jésus sur la croix regretta.


Du sommeil chassez les mensonges :
Mon corps vous offre d’autres songes,
Où vous mourrez avant la mort.

Vous verrez ce que vaut l’extase
De ce doux Ave qui s’embrase
Sous votre lèvre qui le mord.



À UNE INHUMAINE


Vainement ton orgueil veut cacher ta beauté :
Mon œil, toucher lointain, plein de flamme et d’extase,
Soulève le velours, perce les plis de gaze,
Et ton corps m’apparaît en pleine nudité.

Comme le vendangeur, amoureux de ses vignes,
Parmi les pampres verts compte les grappes d’or,
Je visite les fruits de mon jeune trésor,
Et respire les fleurs qui parfument les lignes.


L’artiste et le poëte ont seuls ce don charmant
De déchirer de loin voiles et vêtement,
Pour baiser au grand jour la beauté toute nue.

J’ouvre l’écrin vivant de tes secrets bijoux ;
Mes doigts semblent palper ta cuisse, tes genoux,
Et jusqu’au clitoris ma langue s’insinue.



LA SYPHILIS


Sœur de la Mort et d’Aphrodite,
Je suis la reine Syphilis,
Qui d’une caresse maudite
Sèche les roses et les lys.

Les plus beaux fronts, je les dépouille ;
Je dévore les cœurs heureux,
Et mon doigt empoisonné souille
Le sang pur, et rend les yeux creux.


Brodant de perles ma guenille,
Je prends des airs de jeune fille,
Pour corrompre et stigmatiser.

Si je veux, guerrière sans armes,
Ouvrir des fontaines de larmes,
Je n’ai besoin que d’un baiser.



LES DEUX ANNEAUX


Un faune, son phallus gonflé vers l’horizon,
Contre un arbre appuyé, se caressait lui-même ;
Une nymphe, le front ceint d’un vert diadème,
Non loin, avec des fleurs jouait sur le gazon.

Le chèvre-pied lui dit : « Lydé, par ton adresse
Tu peux (vois s’il est beau !) gagner cet anneau d’or,
Pourvu qu’en douze fois et douze fois encor
Tu couronnes d’ici mon phallus qui se dresse. »


Elle lançait l’anneau, mais le disque impuissant,
Comme un oiseau moqueur qui s’enfuit sous les branches,
Manquant son but, en vain volait de ses mains blanches.

— « Moi, je suis plus adroit, dit le faune enlaçant
La vierge ; ton anneau, Lydé, chère à Cybèle,
Au premier de mes coups ne sera point rebelle ! »



LA ROBE


La robe est une ruche, où, comme un vif essaim,
S’en vont, jouant de l’aile et de leur dard de flamme,
Bourdonner nos désirs, du genou jusqu’au sein.

Butinant çà et là les grâces de la femme,
Ils folâtrent parmi le parfum des plis blancs,
Tantôt légers, tantôt hardis, tantôt tremblants.


— Que fais-tu là, frelon, sur ces boutons de rose ?
— Je suce un lait brûlant dont je me sens mourir.
— Abeille, à ce bosquet pourquoi vas-tu courir ?
— J’aime une fleur secrète, et mon amour s’y pose.

Combien d’autres désirs voltigent au hasard,
Sur la cuisse polie, autour des fesses rondes,
Sans savoir où fixer leurs fureurs vagabondes !
Plus d’un d’entr’eux y perd ou son aile ou son dard.


ÉPILOGUE


Le corps est un vaste poëme,
Aussi profond que l’âme même ;
On le devine, dès qu’on aime !

L’artiste, savant en amour,
Sait en éclairer tour à tour
Et les couleurs et le contour.

Vénus vaut l’austère Minerve.
Sagesse, abreuvoir des vaincus,
Ne mets jamais d’eau dans ma verve :
Les baisers sont fils de Bacchus.

Mon œuvre d’art, qu’on la pardonne !
Je la cueillis dans bien des yeux,
Sous le jupon blanc qui frissonne,
Et dans des lits chauds et soyeux.