Amours, galanteries, intrigues, ruses et crimes des capucins et des religieuses/09

Tome 2. Chapitre IX.



CHAPITRE IX.

Le père Séraphin et Adélaïde.


Pendant que tout cela se passait à Paris, le père Durolet reçut une lettre de sa sœur Adélaïde, qui lui rappelait les promesses qu’il lui avait faites, et le priait de ne pas perdre un instant pour venir la voir, s’il ne voulait pas qu’elle se livrât au plus cruel désespoir. Le père Durolet ne balança pas, malgré les larmes de sa maîtresse, d’aller au secours de sa sœur, et arriva à Blaye dix jours après la date de la lettre.

Adélaïde tressaillit de joie en voyant un frère qu’elle attendait avec tant d’impatience. Elle n’avait point trompé l’espérance qu’il avait conçue de ses agréments, quand l’âge les aurait développés, et malgré la pâleur et l’air abattu qu’elle avait, il la trouva si charmante, qui si elle n’avait pas été sa sœur Joséphine aurait pu être oubliée pour elle. Quand les premiers moments furent passés, le père dit à son fils :

— Tu ne pouvais venir nous voir, mon ami, dans un moment où tu pusses nous apporter des consolations plus nécessaires. Vois cette Adélaïde que tu aimes tant, elle nous a couverts d’opprobre, et au moment où elle allait faire un mariage avantageux sa honte a éclaté d’une manière si désolante pour nous que je ne sais ce qui l’a sauvée de mon courroux. M. Baret, fils du procureur du roi, la recherchait depuis un an, et ses refus ne paraissaient qu’une fantaisie d’enfant. Je n’en allai pas moins en avant ; on signe le contrat, et je donne à cette occasion un grand repas à toute la ville. On danse, et au beau milieu d’une contredanse, elle se laisse tomber ; sa chute eut un effet si prompt que personne ne put douter de son état, que nous étions loin d’imaginer. À ses cris, aux convulsions qu’elle éprouvait, je crus qu’elle s’était tuée. Mais hélas ! ô désespoir pour une famille si vertueuse que la nôtre, au lieu de mourir, elle donne le jour à un enfant, qui, né avant terme, expire presque aussitôt, mais dont la venue au milieu de cette assemblée l’a déshonorée pour jamais, d’autant plus qu’elle s’est obstinée à ne point vouloir en nommer le père. Peut-être auras-tu plus de crédit sur son esprit ; et quel qu’il puisse être, je trouverai bien le moyen de le lui faire épouser.

Pendant ce récit, Adélaïde fondait en larmes. Son frère s’approcha d’elle pour la consoler, et lui demanda de lui parler avec confiance ; mais voyant qu’elle s’obstinait à garder le silence, il l’engagea à passer dans une chambre voisine, et après l’avoir assurée qu’il ne l’abandonnerait pas et qu’il l’emmènerait avec lui à Paris, où il trouverait un parti avantageux, si elle ne pouvait épouser celui qui l’avait rendue mère, elle se détermina à ne lui rien cacher.

Hélas ! mon frère, dit-elle, tous ceux de votre ordre n’ont pas les mœurs aussi pures que les vôtres. — Quoi ! ma sœur, est-ce que votre malheur est un tour séraphique ? — Hélas ! oui, mon frère ; et voilà ce qui fait que je me suis obstinée à ne pas nommer le père de l’infortuné qui n’a vécu que pour m’ôter l’honneur. — Dites la réputation, ma petite, car pour l’honneur il est clair que c’était chose faite avant sa naissance. Mais quel est le capucin indigne que vous avez trouvé digne de vos faveurs ? — Mon frère, c’est le père Séraphin, qui est venu s’établir ici en revenant d’Espagne. C’est en ne me parlant que de vous, en me vantant votre amitié pour lui, en me racontant l’histoire d’une certaine Joséphine, d’un cabinet où il vous avait servi de truchement, qu’il m’a monté la tête ; et enfin je me suis trouvée grosse quand M. Baret m’a demandée en mariage. Je ne voulais pas consentir à l’épouser ; mais le père Séraphin me dit tant que c’était la seule manière de me tirer d’affaire, que je le crus. Mon père vous a conté le reste ; mais ce qu’il ne vous a pas dit, c’est qu’il n’y a pas de jour où il ne veuille me tuer ou me chasser de la maison, et il l’aurait déjà fait, si ma mère ne l’en avait pas empêché. C’est elle qui m’a conseillé de vous écrire. — Ne pleure pas, mon enfant, c’est un accident qu’il faut oublier et tâcher par un meilleur choix de réparer cette sottise. Mais ne crois pas cependant que je laisse impuni l’outrage que Séraphin t’a fait, et je lui apprendrai qu’on doit au moins respecter les sœurs de ses confrères.

Quant à Joséphine, elle s’en est tirée beaucoup mieux que toi ; et malgré l’enfant dont je suis le père, elle a épousé un très-honnête homme de mari, qui ne connaît rien qui lui soit plus agréable que de me savoir avec elle. Tu juges combien il faut que je t’aime pour l’avoir quittée, mais j’espère que ce ne sera pas pour longtemps, et que mon père et ma mère, qui me croient un saint, ne feront pas de difficulté pour me permettre de t’emmener avec moi. Cependant, je te déclare que c’est avec l’assurance que cette première aventure t’aura servi de leçon, et que tu te conduiras bien. Je hais qu’on affiche les mauvaises mœurs, et j’exige même de ma maîtresse la plus extrême décence ; jugez de ce que je veux que soit ma sœur.

Adélaïde lui jura de se conduire par ses avis, et de garder le plus profond secret sur tout ce qu’elle avait appris par Séraphin. Et rentrant avec son frère dans la salle où étaient son père et sa mère, elle leur demanda mille pardons du chagrin qu’elle leur avait causé, et la permission de les débarrasser de son odieuse présence, en suivant son frère à Paris, qui la mettrait en pension chez une jeune dame très-respectable, qui avait épousé un de ses camarades de collège. Le père y consentit avec grand plaisir, et il fut décidé qu’ils partiraient dans trois jours.

Durolet alla le lendemain aux capucins, où il fut reçu avec considération, comme un prédicateur célèbre. Il demanda le père Séraphin ; on lui dit qu’il était sorti. Fâché de ne pas le trouver pour lui manquer son mécontentement, il revenait chez son père en côtoyant la Garonne lorsqu’il aperçut le père Séraphin sur un rocher qui s’avançait au-dessus des flots. Celui-ci, qui ne se doutait pas qu’Adélaïde l’eût nommé à son frère, l’embrassa très-affectueusement. Séraphin lui demanda des nouvelles de Joséphine. — Elle se porte bien, répondit le vindicatif capucin ; mais vous, pourriez-vous me dire comment se porte Adélaïde ? — Je crois que tu dois le savoir mieux que moi, puisqu’elle est ta sœur. — Comment as-tu pu croire que je pardonnerais de l’avoir exposée à la risée publique, par l’événement qui a fait rompre son mariage ? — Quoi ! elle t’a dit que c’est moi ? — Oui, sûrement elle me l’a dit ; tu dois t’attendre à mon ressentiment. — Bon ! tu plaisantes, et ne te devais-je pas cette espiéglerie pour n’avoir pas tenu tes conventions ? Si tu m’avais laissé partager ton bonheur avec Joséphine, je n’aurais pas cherché à séduire ta sœur ; mais enfin c’est une chose faite. — Que je trouve très-mauvaise. — Je ne m’en soucie guère. — Ah ! tu ne t’en soucies pas, répéta-t-il en lui sautant à la barbe ; je t’apprendrai les égards qu’on se doit quand on porte la même robe. Séraphin voulut se défendre.

Ils étaient arrivés sur la pointe du rocher en se tenant à bras-le-corps. Durolet était beaucoup plus fort que Séraphin ; et comme il était venu à bout de le terrasser, celui-ci fit un mouvement et se débarrassa de son adversaire ; mais malheureusement pour lui il avait plu, le terrain était glissant et en pente ; il ne put se raffermir sur ses jambes, que quelques bouteilles de vin avaient rendues plus faibles. Il roula jusqu’à l’extrémité du rocher et de là dans la Garonne, qui, en cet endroit, est très-rapide ; il ne reparut plus. Durolet en fut fâché, mais en pensant cependant qu’il avait son secret et celui de Joséphine, et qu’il avait déshonoré sa sœur, il s’en consola promptement, et vint rejoindre sa famille. Il ne parla pas à Adélaïde de sa triste aventure ; mais pensant qu’elle pourrait avoir des suites, il hâta son voyage et partit dès le lendemain pour Paris avec la veuve.

Joséphine reçut avec un plaisir extrême la sœur de son amant. Durolet dit à Fontaine qu’il espérait qu’il trouverait bon qu’elle demeurât chez lui et qu’il lui assurait d’avance qu’elle ne lui serait pas plus à charge que son neveu. Fontaine y consentit volontiers. Elles étaient toutes deux fort jolies ; mais leurs attraits avaient assez de différence pour ne pas se nuire. Joséphine était grande, d’une taille svelte, et tout en elle inspirait la volupté. Adélaïde était petite, mais pour être un peu plus grasse elle n’en était que plus fraîche. C’était une rose ; la main et le bras étaient superbes ; du reste elle était enjouée, vive comme toutes les femmes des provinces méridionales. Elle était musicienne, et sa voix était douce et sonore ; enfin son frère ne pouvait s’empêcher de dire : c’est un morceau de roi. Peut-être, malgré les leçons de décence qu’il lui avait données, il aurait trouvé fort bon que le monarque qui régnait alors, et qui passait pour avoir beaucoup de goût pour les jolies femmes, laissât tomber un regard de bonté sur Adélaïde. Alors il eût été évêque, cardinal, que sait-on ? mais le ciel ou plutôt le diable en décida autrement.