Aline et Valcour/Lettre XIV

LETTRE QUATORZIÈME.


Valcour à Aline.

Paris, 14 Août.


Vous rassurer !… qui, moi ? Ah ! vous avez raison, je tremble autant que vous, le caractère de l’homme dont il s’agit, est bien fait pour nous alarmer tous les deux ; cette sécurité où sa promesse vous tient, enveloppe peut-être un piége dans lequel il veut vous surprendre. Il voudra voir si votre solitude est exacte, si je ne m’avise point de troubler… et qui sait s’il n’amènera pas son d’Olbourg ? cependant il n’est pas vraisemblable qu’on exige tout de suite, de vous, un serment qui vous cause autant de répugnance ; n’est-on pas convenu de vous laisser du tems ?… si l’on vous contraignait, n’en doutez pas, cette mère qui vous adore, et que nous chérissons si bien tous les deux, prendrait alors votre parti avec une chaleur capable de vous obtenir de nouveaux délais… hélas ! je vous rassure et je frémis moi-même ; je veux calmer des troubles qui me dévorent, je veux consoler Aline et je suis plus affligé qu’elle.

Il est vrai que je me suis opposé aux recherches que me proposait Déterville, et d’après ce que vous m’apprenez, je m’y oppose encore plus fortement ; nous pouvons souffrir des torts de ceux auxquels la nature nous à asservit, mais nous devons les respecter ; si madame de Blamont ne se trouvait pas liée, comme nous, dans cette recherche, j’oserais dire que ce soin la regarde ; mais si l’association soupçonnée est sûre, elle ne le peut plus. Non qu’elle ne le dût, si elle était incertaine ; mais si la chose est prouvée, le silence est son lot. Que faire ? que devenir ? qu’imaginer grand Dieu ! au moins votre cœur me reste, Aline, j’ose être sûr d’y régner. Que cette consolation m’est douce ! je n’existerais pas sans elle. Conservez-le moi ce sentiment qui fait mon bonheur ; soyez toujours l’unique arbitre de mon sort ; opposons à cette multitude d’obstacles, la fermeté que donne la constance et nous triompherons un jour ; mais si vous faiblissez, si les persécutions vous déterminent… si le malheur vous abat, Aline, envoyez-moi la mort ; elle me sera bien moins cruelle.