Al-Cheil et Esou-Li

Anonyme
Al-Cheil et Esou-Li ou vengeance d'une égyptienne
Conte oriental
Traduction par Achille Laurent.
Chez l'auteur.

Dans la cité du Kaire habitait Esou-Li,
Jeune et d’une beauté d’un mérite accompli.
Chacun en l’admirant s’arrêtait devant elle.
Pour la légèreté, c’était une gazelle,
Et par sa taille svelte, au doux balancement,
Ressemblait au palmier agité faiblement ;
Son œil ardent et vif, à la brune paupière,
Était, de tous les cœurs, la flèche meurtrière.
Esou-Li possédait ce charme qui séduit,
Quand apparaît la lune à sa quinzième nuit.
Son esprit enjoué brillait par ses malices ;
Mais, malgré ce travers et de nombreux caprices,

On croyait voir en elle une de ces Houris1,
Que Mohammed2 promet en son beau paradis.


Un certain Musulman3 d’un joyeux caractère,
Était, comme Esou-Li, dans la ville du Kaire ;
C’était un homme aimable : il se nommait Al-Cheil.
Pour aimer les plaisirs, il était sans pareil ;
Mais tout en possédant le cœur le plus sensible,
Aux charmes de l’amour il restait inflexible.
Tous les jours ses amis chez lui le venant voir,
On fumait le chibouck4 du matin jusqu’au soir ;
Chacun des assistans, d’humeur très agréable,
Pour éloigner l’ennui racontait une fable.
En mâchant le hachihh5, un jour ces Musulmans
Étant presque enivrés, tombent sur les divans :
Tous sentent son pouvoir qui n’épargne personne,
Le délire est au comble, enfin on déraisonne.
Des femmes, l’un vantait la perspicacité,
Et leur esprit tendu vers la malignité.
Un autre prétendait que l’homme est trop novice,
Pour d’un cœur féminin connaître la malice.

Je conçois, dit Al-Cheil, quand on est amoureux,
Qu’une femme aisément vous fascine les yeux :
Un véritable amour veut de la confiance,
Les femmes à ce mot appliquent leur science.
Leur éternel refrain c’est d’être confiant :
Et le premier trompé, c’est le crédule amant !
Soyez-en convaincus, la femme est bien moins fine
Que, généralement, l’homme se l’imagine.
Et pour tout dire enfin, notre crédulité
Fait toute sa finesse et sa sécurité.
Soyez sans abandon, et de la plus rusée,
Vous connaîtrez bientôt le fond de la pensée.
Oh ! non ! dit Moustapha, ce n’est pas mon avis ;
Je crois qu’Al-Cheil a tort. Écoutez mes amis :
C’est en ruses d’amour que la femme est féconde !
On sait que sur ce point, sa science est profonde :
Elle possède l’art de captiver un cœur,
Et l’homme le plus fin trouve en elle un vainqueur.
J’en jure par ma barbe ! Al-Cheil au fond de l’ame,
Voit bien que mieux que lui je sais juger la femme !
Eh ! bien ! reprit Al-Cheil, je vais, dans un moment,
Joindre les actions à mon raisonnement :

Je veux confondre, ici, Moustapha qui me brave !
En achevant ces mots, il appelle un esclave :
Lui parlant à l’oreille il ressortit soudain,
Après que sur sa tête il eut porté sa main6.
Ne pouvant concevoir le but de cette absence,
Tous les amis d’Al-Cheil attendent en silence
Une explication ; mais il n’en dit plus rien,
Et, prenant le moka, changea cet entretien.
De chaque minarèh7 de la ville du Kaire,
Entendant du Mezzin8 retentir la voix claire,
Tous cessant de fumer et de se divertir,
Se virent à regret obligés de partir.
Sur la porte en sortant, grande fut leur surprise
D’y trouver une enseigne aussi promptement mise ;
Et leur étonnement fut bien plus grand encor
En y lisant ces mots tracés en lettres d’or :
Grace à toi, Mohammed, l’homme par son adresse
L’emporte sur la femme en malice, en finesse.
En éclatant de rire et jurant par Alla
Qu’Al-Cheil était un fou, chaque ami s’en alla.

Plongé dans l’Océan l’astre de la lumière
Des prières du jour9 indiquait la dernière ;
Après avoir chanté deux versets du Koran10
Rentré dans son harem11 chaque vrai Musulman
Jusques à son sommeil, de ses belles Almées12
Considère, en fumant, les danses animées.


La maligne Esou-Li qui se rendait au bain,
Dans le quartier d’Al-Cheil passa le lendemain.
En lisant son enseigne, elle sentit dans l’ame
Désir de se venger, naturel à la femme.
Cet insensé croit donc, dit la belle en courroux,
Pour avoir de la barbe, être plus fin que nous !
C’est ce qu’il faudra voir ! Sans l’aide du Prophète,
D’avance je prévois sa prochaine défaite.
Oui, bientôt ses amis se moqueront entr’eux
D’un Musulman si fier et si présomptueux,
En le voyant soudain se condamner lui-même.
Il se repentira de son audace extrême,
Car je veux le forcer, pour sa punition,
A mettre sur sa porte une autre inscription.

Au sortir de son bain, Esou-Li parfumée,
Couverte d’un borghot13, galamment costumée,
Chez l’orgueilleux Al-Cheil à l’instant se rendit.
Mille projets divers vinrent à son esprit.
Dans l’embarras du choix long-temps elle balance,
Enfin le plus bizarre obtint la préférence,
Et sans plus différer l’exécute soudain.
Elle entre chez Al-Cheil et frappe dans sa main14.
Un esclave à ses yeux aussitôt se présente.
Va dire à ton seigneur que son humble servante,
Au nom de Mohammed, vient pour lui demander
Un moment d’entretien, s’il veut me l’accorder.
L’esclave, sur-le-champ, va prévenir son maître
Qui devant Esou-Li s’empresse de paraître.
— Allah Kérim15 est bon, miséricordieux ;
Il me pardonnera ma présence en ces lieux !
Je suis en ce moment très loin de ma demeure :
D'el ssabah namazy16 déjà s’avance l’heure,
Il reste peu de temps pour mes prostrations17 ;
Puis-je avoir ce qu’il faut pour mes ablutions18 ?
Allah te le rendra ! De notre grand Prophète,
Reprit alors Al-Cheil, la volonté soit faite !

En t’envoyant chez moi remplir un saint devoir,
En faveur d’un croyant sa grâce se fait voir.
Sois donc la bienvenue ! Ici, de toutes choses,
Au gré de ton désir, je veux que tu disposes !
Avec intention la coquette Esou-Li
Montre d’abord un pied extrêmement joli ;
Levant son chakséïann19, cette ame féminine
Ensuite laisse voir une jambe divine ;
En roulant avec art ses manches du khafftan20,
La perfide présente aux yeux du Musulman
Un bras plus blanc qu’ivoire et d’un parfait modèle ;
Du henné21 la rougeur rendait sa main plus belle ;
Elle ôte son borghot et son voile22 argenté,
Et découvre un visage éclatant de beauté.
La rose, de son teint était l’image même ;
Un arc, de son sourcil semblait être l’emblème ;
Elle avait l’œil d’un lynx, des lèvres de corail ;
La perle, de ses dents n’égalait pas l’émail ;
De chaque joue aussi, la couleur purpurine
Etait plus vive encor que n’est la cornaline.
Sa khamiss23 laissait voir la blancheur de son sein
Surpassant en éclat la lune dans son plein.

Esou-Li possédant tant d’appas en partage,
Était du grand Allah le plus parfait ouvrage.


Le cœur du pauvre Al-Cheil, calme jusqu’à ce jour,
Est enflammé soudain du plus ardent amour.
Par les charmes nombreux qui s’offrent à sa vue,
Il éprouve à l’instant une ivresse inconnue.
Faisant pour résister d’inutiles efforts,
Il exprime en ces mots ses amoureux transports :
L’aspect de tes attraits vient d’embraser mon ame
D’un sentiment nouveau, d’une brulante flamme.
O divine Houri ! quel est donc ton projet ?
De ta présence ici quel est donc le sujet ?
Pourquoi me montres-tu le céleste assemblage
De ces mille beautés dont brille ton visage,
Qu’aux étrangers jamais, tu dois bien le savoir,
Le Koran te défend de laisser entrevoir ?
D’une telle faveur j’aurais l’ame ravie,
Si tu viens pour charmer le reste de ma vie,
En comblant mes désirs. De grace explique-toi !
Veux-tu que je t’épouse ? ou qu’attends-tu de moi ?...



Voyant que dans ses lacs elle tient ce rebelle,
Elle pousse plus loin sa vengeance cruelle.
Tu vas, dit Esou-Li, connaitre la raison
Qui me fait, maintenant, être dans ta maison.
Il faut te l’avouer : c’est l’amour qui m’inspire !
Oui ! pour toi, dès long-temps, en secret je soupire.
Mon père est bien connu, c’est Mahmoud Effendi ;
Du quartier Lesbékir24 tu sais qu’il est khâdi25 :
Je suis sa fille unique, et, ce qui n’est pas rare,
Mon père est à la fois très riche et très avare :
Je dois désespérer de voir changer mon sort
Par la crainte qu’il a d’ouvrir son coffre-fort.
Lorsque pour m’épouser quelqu’un chez lui s’annonce,
D’un air que l’on croit franc, il fait cette réponse :
« De tes intentions tu me vois enchanté ;
» Mais je dois, avant tout, dire la vérité.
» Un pareil choix m’honore ; au sein de ta famille
» Je consens volontiers à faire entrer ma fille,
» Si dans tes sentimens je te vois persister,
» Après tout ce qu’ici je vais te raconter.
» Je suis sans aucun bien, sans aucune ressource,
» Et je ne pourrais pas te donner une bourse26 ;

» Tu dois, sans hésiter, croire ce que je dis,
» On sait le peu d’argent que gagnent les khâdis.
» Et quant à mon enfant, la grace du Prophète
» Pour elle n’a rien fait ; car elle est contrefaite,
» Sa bouche est de travers, d’une énorme grandeur,
» Et l’absence d’un œil complète sa laideur.
» C’est la vérité pure, il faut que je la dise ;
» Tu dois apprécier cet excès de franchise.
» Si, d’après ces aveux, ma fille plait encor,
» Je veux de son époux vingt bourses pleines d’or,
» Dont dix bourses pour moi, lors de la signature,
» Et dix bourses après, pour dot de la future. »
Al-Cheil ! je t’en fais juge et dis la vérité !
En moi remarques-tu quelque difformité ?
On croit, de bonne foi, tout ce que dit mon père ;
Voilà précisément ce qui me désespère !


Comment ! reprit Al-Cheil, ton père ose tenir
Un langage si faux ! Je dois en convenir,
Et j’en prends à témoin notre divin Prophète,
Que jamais je n’ai vu de femme plus parfaite !

Remettant son borghot, la maligne Ésou-Li
Quitta le pauvre Al-Cheil, le cœur d’amour rempli,
Et s’applaudissait bien du succès de sa ruse !


Hélas ! presque toujours l’homme ici bas s’abuse !
Et celui qui se croit difficile à tromper,
Aveuglé par l’amour est facile à duper.


Par tout ce qu’il venait et de voir et d’entendre,
Al-Cheil au Lesbékir à l’instant veut se rendre.
Prenant dix bourses d’or, endossant son beurnouss27,
Couvert à la Nizam28, d’un très ample tarbouss29
Ayant un beau kandjar30 passé dans sa ceinture,
Monté sur un coursier éclatant de dorure,
Précédé d’un Sahis31, enfant de Mamelouck,
Qui tenait d’une main un superbe chibouck,
Et de l’autre un assah32, servant, suivant l’usage,
À frayer à son maître un facile passage,
En écartant tous ceux qu’il trouvait en chemin :
Chez le khâdi Mahmoud, Al-Cheil arrive enfin.



Près d’une cassolette, au milieu de la chambre,
Répandant un parfum et d’aloës et d’ambre,
Se tenait le khâdi, couché sur un divan :
Fumant le narghiler33, il tenait le Koran,
Et paraissait sortir d’un agréable rêve.
Apercevant Al-Cheil, lentement il se lève ;
Al-Cheil, en s’inclinant, répond à cet honneur,
Et, reportant sa main de sa bouche à son cœur34,
Lui dit : Sélam âleik35 ! qu’Allah te soit en aide !
O le plus grand khâdi que l’Égypte possède !
Tu vois en moi le fils d’Al-Cheil Abou Bédouinn,
Il est, comme tu sais, le chéïk36 d’El-Kassinn37 ;
Je possède déjà soixante dromadaires,
Je suis depuis cinq ans agha38 des janissaires39 ;
Je suis bien en faveur, très aimé du Sulthan40 ;
Je deviendrai Pacha41 , car j’ai place au Dhyvan42 !
Ma fortune, tu vois, peut s’augmenter encore.
Je voudrais épouser ta fille que j’adore !
En m’accordant sa main, que je veux obtenir,
Six mille talaris43 pourront t’appartenir.
— Aleik sélam, Al-Cheil, et qu’Allah te conserve !
Que d’avoir des regrets sa bonté te préserve !

Ta fortune et ton rang surpassent tous mes vœux ;
Mais je dois, avant tout, te faire des aveux
Que mon devoir m’impose et que ta vue inspire...
je sais, reprit Al-Cheil, tout ce que tu vas dire,
Croyant me détourner de mon intention,
Mais rien ne changera ma résolution,
J’y suis bien décidé : je veux être ton gendre.
Dix bourses que voici, que d’abord tu dois prendre,
Et dix bourses après, qué tu dois exiger,
En signant le nikakh44 que tu vas rédiger.
Tu vois que je sais tout ! — A tes vives instances
J’ai peine à résister, mais dans tes espérances
Si tu te vois plus tard trompé cruellement,
Tu n’en accuseras que ton aveuglement !
— Je ne m’en prendrai pas à d’autre qu’à moi-même,
Consens donc à unir à la femme que j’aime ;
Je ne m’en plaindrai point, j’en jure par Alla !
— Quoi ! malgré la laideur dont le ciel l’accabla,
Malgré tous ses défauts, tu consens à la prendre !
— Oui, de ta fille enfin mon bonheur doit dépendre.
— Tu peux donc l’épouser, puisqu’il en est ainsi :
La volonté d’Allah se manifeste ici !

Voyant qu’il obtenait sa charmante conquête,
Al-Cheil, ivre d’amour, faillit perdre la tête.
Le khâdi, très surpris de le voir si joyeux,
Pour le bien regarder se fatiguait les yeux ;
Plus il réfléchissait, moins il pouvait comprendre
Ce qui lui plaisait tant à devenir son gendre.


Devant quatre témoins le nikakh fut signé.
Pour compléter l’apport par Mahmoud désigné,
Rentré dans son sérail45 l’heureux Al-Cheil s’empresse
D’envoyer au khâdi la dot de sa maîtresse.


La belle fiancée, au coucher du soleil,
En cortège brillant se rend auprès d’Al-Cheil.
On aperçoit de loin les torches enflammées
Que portent des fellahs46 éclairant des Almées
Qui dansent en chantant tout le long du chemin ;
Sur un chameau trotteur, un riche palanquin
Cache la mariée aux regards des profanes ;

Puis viennent les parens, tous montés sur des ânes47.

Les habitans du Kaire, en admiration,
Témoignent leur plaisir par acclamation.


L’impatient Al-Cheil, sur le seuil de sa porte,
Maudissait la lenteur de la brillante escorte :
Le cortège approchait et son cœur palpita
Lorsque le palanquin devant lui s’arrêta.
Le chameau s’agenouille et promène sa tête,
Semblant avec dédain regarder cette fête.
Par un eunuque noir, dans son harem brillant,
La fille de Mahmoud est conduite à l’instant.


Recevant le sélam de cette multitude,
Al-Cheil lui témoigna toute sa gratitude :
Aux parens, aux amis il offrit le hachihh,
Puis à tout le restant fit donner le bakchihh48.
Chacun se retira content de sa largesse,
Célébrant cet hymen par des chants d’allégresse.


Al-Cheil est libre enfin ! Dans son ravissement,
Il éprouve en son cœur ce doux frémissement

Qui devance toujours la délirante ivresse
Que savoure un amant auprès de sa maîtresse.
Al-Cheil, près de sa belle, est guidé par l’amour ;
Le bonheur va, pour lui, terminer ce beau jour.
De ses riches habits déjà sa fiancée
Par les soins d’une esclave était débarrassée,
Et se trouvait alors n’avoir de vêtement
Pour cacher ses attraits qu’un voile seulement.
Enlevant le tissu qui couvrait son amante,
Al-Cheil croyant rêver, recule d’épouvante
A l’aspect d’un objet d’une affreuse laideur,
Dont les difformités inspirent de l’horreur.
Il reste quelque temps comme un homme stupide,
Sans trouver la raison de ce tour si perfide.
De l’aveu du khâdi qu’il n’a pas écouté,
Il reconnaît, trop tard, toute la vérité.
En voyant que sa femme est un monstre en personne,
D’abord au désespoir son esprit s’abandonne ;
Puis, en bon Musulman, au sort qu’il doit subir
Il se résigne enfin, disant : Allah Kébir49 !



Au lever du soleil on vint, suivant l’usage,
Pour le complimenter sur son beau mariage.
Al-Cheil était rêveur et tout déconcerté ;
On ne lui voyait plus cette franche gaîté
Qui faisait envier son heureux caractère.
Son air triste et pensif cache quelque mystère ;
En vain tous ses amis espèrent-ils savoir
Quel en est le sujet ; il trompe leur espoir.
Al-Cheil se gardait bien, dans cette conjoncture,
De dire le motif de sa mésaventure.


Sortant d’une moskèh50, Al-Cheil vit, par hasard,
La perfide Esou-Li qui venait d’un bazar51.
En la reconnaissant à sa mise élégante,
Et surtout à son pied, à sa taille charmante,
Il l’aborde en disant : quel génie infernal
A donc pu te pousser à me vouloir du mal ?
Je ne te connais pas ! Ainsi rien, je le pense,
Ne peut justifier ton affreuse vengeance.
— Ta seule inscription excita ma fureur !
— Quoi ! c’est pour cet écrit que tu fais mon malheur !

Je suis donc le jouet d’un horrible caprice !
Mais pour m’en bien venger, le moment est propice.
Je te tiens à présent, chez moi tu vas venir,
Et comme esclave enfin, tu vas m’appartenir !
— Tu ne m’obtiendras pas ! Et pour que je te plaigne,
Il faut faire changer cette maudite enseigne :
Car tu pourras sortir de ta position,
Si je lis sur ta porte une autre inscription.
Tu connaîtras alors ce dont je suis capable ;
Je serai jusque là toujours impitoyable,
J’en jure par mon voile ! Ainsi vois si tu veux
Rester en cet état ou devenir heureux.
Te vois-je, dit Al-Cheil, pour me tromper encore,
Te jouer de nouveau d’un amant qui t’adore,
En abusant toujours de ma crédulité ?
Non ! je ne dois plus croire à ta sincérité.
Par ce que tu m’as fait, entre nous je confesse
Que je serais bien fou de croire à ta promesse.
Mon enseigne, il paraît, te tourmente bien fort.
Tu dis qu’en la changeant tu changeras mon sort
C’est un piège nouveau que tu voudrais me tendre,
Je te connais trop bien pour m’y laisser reprendre.

Je veux savoir d’avance où tu veux en venir.
Pourquoi ce changement que tu veux obtenir ?
Au khâdi j’ai juré de ne jamais me plaindre,
Et j’ai fait un serment que rien ne peut enfreindre.
Tu vois mon embarras ! Explique-moi comment
Tu peux changer mon sort sans trahir mon serment ?
Enfin, dit Esou-Li, de toi tout va dépendre ;
Je te dirai plus tard comment tu dois t'y prendre.
Tu vois ce que je veux : tu ne sauras plus rien,
Le reste est mon secret ; mais si tu m’aimes bien,
Comme à l’instant encor tu viens de me le dire,
Tu dois m’être soumis. Fais ce que je désire,
Tu seras satisfait : car, comblant tous tes vœux,
Si j'ai fait ton malheur, je puis te rendre heureux.
Al-Cheil réfléchissait, ne sachant que résoudre,
Il paraissait frappé comme d’un coup de foudre :
De son saisissement lorsqu’il fut rétabli,
Il ne vit plus alors la cruelle Esou-Li.
En rentrant il disait : si c’est un stratagème
Qu’ai-je à craindre à présent ?... Je suis toujours à même
De pouvoir replacer ma bonne inscription,
Si je ne change pas de situation :

Je ne risque donc rien ! D’après cette pensée
Son enseigne, à l’instant, se trouva remplacée.
Il fit peindre ces mots : L’homme se croit rusé ;
Mais, hélas ! bien souvent il est désabusé !
S’il a reçu d’Allah le courage et l’audace,
En finesse d’esprit la femme le surpasse.


Tous les amis d’Al-Cheil, surpris étrangement,
Tâchent de s’expliquer un si prompt changement.
Ils se disent entre eux : « A mettre une autre enseigne
» Il faut, n’en doutons pas, que l’amour le contraigne.
» De cet écrit nouveau ne soyons plus surpris,
» C’est que sa femme est belle et qu’il en est épris.
» Dans la première lune avec femme jolie,
» Le trop d’ardeur, parfois, dégénère en folie :
» Il croyait de l’amour être toujours vainqueur,
» Al-Cheil voit à présent qu’il était dans l’erreur,
» Puisque enseigne et gaîté, tout vient de disparaître !
» Il cherchait une femme, il a trouvé son maître !
» Hier le mariage était blâmé par lui,
» Nous pouvons tous du sien nous moquer aujourd’hui.

» On épouse une femme, on en épouse quatre,
» Ce n’est pas sur le nombre ici qu’il faut débattre,
» Le koran le permet : ce que l’on doit blâmer,
» C’est que par une femme on se laisse charmer.
» Entre la femme esclave et la femme épousée,
» Clairement, entre nous, disons notre pensée .
» Une femme nous plaît, nous voulons l’obtenir !
» C’est ainsi que l’amour se doit bien définir.
» Or, comment pouvons-nous ressentir en notre ame
» Un sentiment d’amour en prenant une femme !
» Nous ne la voyons pas52. Ainsi donc sans l’aimer
» A l’épouser d’abord il faut nous conformer.
» Si cette femme est bien, d’un visage agréable,
» Son humeur, très souvent, la rend insupportable.
» Si cette femme est laide, au sort soyons soumis,
» Pour la répudier, ce cas n’est pas admis.
» Mais quand nous achetons une esclave nouvelle
» Nous pouvons la choisir aussi jeune que belle,
» En l’examinant bien, d’avance nous savons
» Si nous devons aimer celle que nous prenons ;
» Car l’habile marchand qui l’offre à notre vue,
» Pour nous mieux engager, la montre presque nue.

» Quand elle nous déplaît, nous avons l’agrément
» De pouvoir la revendre assez facilement.
» Il n’en est pas de même à l’égard de l’épouse
» Que nous répudions dans notre humeur jalouse.
» Quand nous rendons la femme, ayons raison ou tort,
» Nous donnons des sequins53 pour mettre tout d’accord.
» Entre chacune on voit la grande différence ;
» On trouve avec l’esclave un avantage immense ! »
Se donnant le sélam, ces joyeux musulmans
Terminèrent ainsi, tous leurs raisonnemens.


Ent thaïeb, ia sidi54 ! qu’Allah toujours t’accorde
Ses bénédictions et sa miséricorde !
Dit la belle Esou-Li, chez Al-Cheil en entrant ;
De toi je suis contente, et tu vois maintenant.
Qu’en suivant mes avis je sais en tenir compte ;
Si, pour changer ton sort, tu veux que je sois prompte,
Il faut aveuglément t’en rapporter à moi !
Voici donc le projet que j'ai conçu pour toi.
On trouve, tu le sais, près de la citadelle,
Du côté des bazars, une place nouvelle ;

On y voit des jongleurs, quelques uns font des tours,
Les autres font danser des singes et des ours ;
Emporte de l’argent, rends-toi sur cette place,
Et, là, je te dirai ce qu’il faut que tu fasse.
Aux désirs de sa belle Al-Cheil obéissant,
À l’endroit indiqué se rendit à l’instant.
Suivant tous les conseils de sa belle maîtresse,
À chaque bateleur il remet une pièce ;
Recommandant à tous de se bien conformer
Aux ordres très formels qu’il va leur intimer.
Étant bien convenus de ce qu’ils doivent faire,
Al-Cheil leur donne encor le bakchihh ordinaire ;
Exigeant, sous serment, que chaque baladin
Irait au Lesbékir le lendemain matin.
D’une si bonne aubaine ayant peu l’habitude,
Chacun d’eux l’assura de son exactitude.


Demain, dit Esou-Li, chez toi je me rendrai :
Tu sais ce qu’il faut faire ; et je t’appartiendrai.
De son prochain bonheur bénissant le Prophète,
Al-Cheil revint chez lui l’ame plus satisfaite.

Le quartier Lesbékir, au lever du soleil,
D’un spectacle nouveau présente l’appareil.
Le bruit des instrumens d’une troupe nomade
De nombreux baladins annonce la parade :
On se presse pour voir de savans animaux
Conduits par des jongleurs, montés sur des chameaux,
Qui mettent en émoi tout ce quartier du Kaire.
Al-Cheil, en ce moment, était chez son beau-père ;
Entendant ce tumulte, il fait l’homme surpris,
Et demande à Mahmoud : D’où viennent tous ces cris ?
— Mon fils, par mon turban, j’en ignore la cause :
Allons à la fenêtre en savoir quelque chose.
Apercevant Al-Cheil, aussitôt les jongleurs,
En s’approchant de lui, cessèrent leurs clameurs.
Le reiss55 de cette troupe, un singe sur l’épaule,
Commença de la sorte à débiter son rôle :
Sélam âleik, Al-Cheil, notre très cher cousin,
Reçois le compliment de chaque baladin,
Nous nous faisons honneur d’être de ta famille ;
Du grand khâdi Mahmoud tu possèdes la fille !
Nous partageons ta joie, ô veine de nos yeux !
Nous prions tous Allah pour que tu sois heureux !

Gloire à toi, cher cousin, plus beau que tous les astres :
Al-Cheil, après ces mots, leur jette quelques piastres56.
Suis-je bien éveillé ? dit Mahmoud en fureur,
Quoi ! j’apprends que mon gendre était un imposteur !
Al-Cheil ! tu m’as trompé ! ces jongleurs sont tes frères !
Tu n’es pas, je le vois, Agha des Janissaires,
Ni le fils d’un chéïk, comme je le pensais ;
J’ai cru trop franchement ce que tu me disais !
C’est vrai, reprit Al-Cheil, je sais que c’est infâme,
Mais j’adorais Témire et la voulais pour femme,
Et je devais m’attendre, en parlant sans détour,
A me voir refuser l’objet de mon amour.
D’un langage trompeur devant toi je m’accuse ;
Mon amour pour Témire est mon unique excuse.
Maintenant tu sais tout : montre-toi juste et bon,
En m’accordant enfin un généreux pardon.
— Comment te pardonner ! Ne crois pas que j’y songe,
Je saurai te punir de ton affreux mensonge.
Je ne veux pas pour gendre avoir un bateleur,
Un mauvais baladin, un ignoble jongleur !
— Ta fille est à présent ma femme légitime,
Et la répudier me semblerait un crime.

Pour mon cœur amoureux, Témire est un trésor ;
Depuis qu’elle est à moi, je l’aime plus encor.
Pour un de ses cheveux je donnerais ma vie ;
Et rester avec elle est toute mon envie.
Je trouve le bonheur à toujours l’adorer .
Aucun pouvoir humain ne peut m’en séparer !
— Al-Cheil, par mon turban, soit de gré, soit de force,
Tu vas signer, ici, ta demande en divorce,
Si tu veux m’éviter d’employer mon pouvoir !
À l’ordre de Mahmoud, qui comblait son espoir,
Al-Cheil feignit, d’abord, de ne pas condescendre,
Ensuite à ses désirs il finit par se rendre,
En signant le contrat qu’exigeait le khädi.
Il renvoya Témire à Mahmoud Effendi ;
Remerciant Allah qui venait à son aide,
Pour le débarrasser d’une femme si laide.


Esou-Li chez Al-Cheil vint peu de temps après,
De sa nouvelle ruse apprenant le succès,
Lui donna cette fois le vrai nom de son père.
Enfin aux vœux d’AI-Cheil le sort devint prospère :

La charmante Esou-Li, dont il est possesseur,
Partage son amour et sa brûlante ardeur ;
Au comble de l’ivresse, il se croit pour la vie
L’amant toujours aimé d’une femme chérie.


En vain contre l’amour un mortel veut lutter :
C’est au puissant Allah prétendre résister !
Sur l’esprit féminin espérer l’avantage,
C’est prendre pour le Nil un effet de mirage57.
La coquette à son gré donne et reprend son cœur,
Tourmenter un amant est son plus grand bonheur ;
Elle hait par caprice, et par caprice elle aime !
Une coquette enfin est l’inconstance même !
Lorsque dans le désert vient souffler le Khamsinn58,
Du sable tous les grains, passant sur El-Kassinn,
Se peuvent mieux compter que tous les artifices
Qui traversent le cœur d’une femme à caprices !

NOTES EXPLICATIVES

DES

EXPRESSIONS ORIENTALES EMPLOYÉES DANS LE CONTE

D'AL-CHEIL ET ESOU-LI



1. HOURIS.— C’est le nom que les Orientaux donnent aux femmes que les fidèles Musulmans doivent trouver au Ferdous (mot arabe qui signifie Paradis). Voici ce qu’on lit dans le Koran au chapitre de La Vache, contenant 287 versets : tous les vrais croyants qui feront de bonnes œuvres jouiront des graces immenses du Ferdous du septième ciel dans lequel coulent plusieurs fleuves ; ils y trouveront des fruits plus beaux et plus savoureux que ceux qu’ils avaient sur terre ; ils y auront des femmes constamment belles et toujours vierges ; etc., etc.

2. MOHAMMED. — Signifie : louéglorifié. C’est le nom que les Musulmans donnent à leur Prophète que les Occidentaux appellent improprement Mahomet.

3. MUSULMAN. — Vient du mot turc Mozlemann, qui signifie soumis à Dieu (en sous entendant lillah à Dieu).

4. CHIBOUCK. — C’est une pipe en usage dans tout l’Orient et dont la tige varie de longueur depuis deux jusqu’à six et sept pieds : elle est ordinairement en bois de jasmin, de rosier, où de cerisier, et souvent garnie d’or. Ce qui en fait la principale beauté , c’est le bouquin qui est en ambre jaune ou gris, ou en corail, et fort souvent enrichi de pierres précieuses et de peintures très fines. La cheminée est d’une terre rougeâtre dorée et ciselée très délicatement. Il y a une sorte de chibouck dont la tige est entourée d’étoffe en soie plissée tout autour. Ce chibouck est toujours en bois extrêmement tendre : on mouille l’étoffe qui l’entoure, ensuite en soufflant par une ouverture qui se trouve pratiquée dans un des plis du haut, on la fait gonfler, et par ce moyen le bois conserve longtemps une humidité qui donne de la fraîcheur à la fumée que l'on aspire.

5. HACHIHH.— C’est le nom que les Arabes donnent au chanvre : ils donnent encore ce nom à des pillules dont la base principale est une des parties de la plante du chanvre mêlée avec de l’opium, des pavots, de l’aloës et diverses épices : on y ajoute aussi des aromates et des essences. Presque tous les Orientaux en font usage ; ils en prennent plusieurs fois dans la journée, ayant soin de boire ensuite un verre d’eau ou une tasse de café. L’emploi de ces pilules enivre l’esprit d’illusions voluptueuses. Ceux qui en abusent deviennent abrutis : mais ils ont parfois des lueurs de raison et même quelques saillies d’esprit ; les Turcks les nomment Tériaky. Ceux qui usent modérément de ces pilules sont appelés Hachjichjiss : en passant par l’organe des Grecs, qui ne peuvent pas prononcer le j et le ch, changent ces sons en z et s, ce mot s’est changé en celui d’assassins ; association célèbre et redoutée du temps des Croisades. Le chef des Hachjichjiss (assassins), ou fanatiques exaltés par l’usage du Hackihh (chanvre) ; était désigné sous le nom de Vieux de la montagne, parce qu’il habitait le mont Liban.

6. PORTER LA MAIN SUR LA TÊTE. — Signifie que l’esclave répond sur sa tête de l’exécution des ordres qu’il vient de recevoir.

7. MINARÈH. — C’est une tourelle mince et élancée servant de clocher aux moskèhs (voir la signification de ce mot au n°50), et qui renferme un escalier par lequel le muezzin (voir la note n°8) monte à la galerie qui règne tout autour vers les deux tiers du minarèh, et d’où il chante l’Ezan ou annonce les heures des prières de la journée.

8. MEZZIN OU MUEZZIN. — C’est le crieur sacré qui annonce aux croyans les heures de prière. Il s’arrête à chacune des quatre faces de la galerie du minarèh (pour la signification de ce mot, voir ci-dessus) ayant les yeux fermés, les mains ouvertes et les pouces dans les oreilles, le visage tourné du côté de la Mekke. Voici ce qu’il dit en chantant l’Ezan, d’une voix mélodieuse : La illah illa Allah où Mohammed reçoul Allah, etc. Ce qui signifie : Il n’y a qu’un seul Dieu qui est Dieu, et Mohammed est son prophète ; venez à la prière au temple du salut : grand Dieu, il n’y a qu’un seul Dieu. À la suite de l’Ezan du matin, le muezzin ajoute : La prière est préférable au sommeil. ( Pour la signification du mot Ezan, voir à la fin du n°7.)

9. PRIÈRES. — Les Musulmans ont cinq prières de rigueur dans l’espace de vingt-quatre heures. Savoir :

Première prière : Ssabah mamazy ou prière du matin. Elle se fait depuis que les étoiles commencent à disparaître jusqu’à midi.
Deuxième prière : Oilah namazy où prière de midi. Elle se fait au moment où le soleil passe au méridien.
Troisième prière : Akïndy namazy ou prière de l’après-midi. Elle se fait lorsque le soleil est aux trois quarts de sa course.
Quatrième prière : Alcham namazy ou prière du soir. Elle se fait dans le moment où l’on ne voit plus assez clair pour distinguer un fil blanc d’avec un fil noir.
Cinquième prière : Yatzn namazy ou prière de la nuit. Cette prière n’a pas de temps désigné, il suffit de la faire après la quatrième et avant de se coucher.

10. LE KORAN.— Les Arabes prononcent Al korann : Le Koran renferme tous les dogmes de l’islamisme (ce mot vient d’Islamy, qui veut dire : unique, pacifique). C’est un recueil d’environ 6,000 vers arabes dictés par Mohammed à ses disciples qui les écrivaient sur des feuilles de palmier, qu’ils déposaient ensuite dans un coffre. Après la mort de ce Prophète on a publié tous ses préceptes réunis sans ordre et sans liaison, sous le titre d’El Forkann qui signifie : qui distingue le bien d’avec le mal. Depuis on a changé cette dénomination en celle actuelle d’Al korann ou recueil de préceptes.

11. HAREM.— Signifie : sanctuaire. C’est la partie la plus reculée et la moins accessible d’un sérail ; et spécialement réservée aux femmes.

12. ALMÉES. — Les Almées sont des danseuses que l’on fait venir chez soi moyennant une légère rétribution. Leur danse est extrêmement voluptueuse. Elles s’accompagnent en dansant avec des petites cimbales en fer de la grandeur des castagnettes, et qui sont fixées au pouce et à l’index de chaque main. En dansant elles détachent peu à peu toutes les parties de leurs vêtements et finissent par se trouver entièrement nues : alors elles viennent demander le bakchihh (pour boire) aux spectateurs.

13. BORGHOT. — C’est un morceau de mousseline blanche ou bleue, ou noire, suivant la condition de la femme qui le porte : il a la forme d’une barbe de masque de domino et a ordinairement deux pieds de longueur : il pend depuis la naissance du nez jusque vers le milieu du ventre et quelquefois jusqu’aux genoux. Il est soutenu sur la tête par un fil de laiton posé en croix. Le borghot, sans lequel une Musulmane ne peut sortir de chez elle, ne laisse voir absolument que les yeux.

14. FRAPPER DANS LA MAIN.— C’est la manière d’appeler un esclave dans presque tout l’Orient.

15. ALLAH KÉRIM. — Ces mots arabes signifient : Dieu libéral.

16. EL SSABAH NAMAZY.— Mots turcks qui signifient : La prière du matin. (Voir aux prières, n. 9.)

17. PROSTRATIONS. — Voici les prostrations exigées pendant chaque prière. (Pour les prières, voir le n. 9.)

1o On se tient debout dans le recueillement le plus respectueux, toujours tourné du côté de la Mekke : puis haussant les deux mains, les doigts entr’ouverts, on porte le pouce sur la partie inférieure de l’oreille, et l’on récite le Tekbyr (oraison préliminaire) ;

2o On pose les deux mains au-dessous de la ceinture, la main droite toujours sur la main gauche : baissant les yeux vers la terre, on récite le Fatéthah (ou préface, oraison tirée de l’exorde du koran) ;

3o On s’incline fort bas, de manière à mettre la tête et le corps dans une position horizontale, en posant les doigts bien entr’ouverts sur les genoux, et l’on récite une prière ;

4o On se relève un moment, puis on fait une prostration la face contre terre, de manière que les doigts des pieds, les mains, le nez et le front touchent la terre ;

5o On se relève, on se remet comme à la deuxième position, et l’on récite une prière ;

6o On fait une seconde prostration comme à la quatrième position, puis on reste un instant assis sur les talons, ayant les mains posées sur les cuisses ;

7o On fait une troisième prostration, puis on se re lève en faisant une première salutation à droite et une seconde à gauche, pour saluer les anges gardiens qu’on a toujours à ses côtés. L’un pour l’exciter au bien et l’autre pour le charger du mal qu’on pourrait commettre.

18. ABLUTIONS.— Avant chaque prière on est obligé de faire les principales ablutions qui consistent à se laver les pieds jusqu’à la cheville, les mains jusqu’au coude, et la figure entièrement. Sans les ablutions la prière ne serait pas bonne.

19. CHAKSÉÏANN.— C’est le pantalon en étoffe de soie que toutes les femmes portent en Orient.

20. KHAFFTAN.— C’est une pelisse sans fourrure, à manches très longues et très larges, et qui est ordinairement en brocard d’or pour les femmes, et en drap pour les hommes. C’est le vêtement principal des Orientaux.

21. HENNÉ.— C’est une composition dont les femmes se servent dans leur toilette pour se teindre les mains en rouge.

22. VOILE.— Les Musulmanes portent par-dessus le borghot un grand voile en mousseline qui tombe jusqu’à terre ; celui d’une mariée est ordinairement rouge et brodé or ou argent.

23. KHAMISS.— Mot arabe qui signifie : chemise. Les chemises des femmes sont ouvertes jusqu’à la ceinture, ainsi que le khafftan (voir la signification de ce mot, au n.20), de sorte que le voile et le borghot étant ôtés la poitrine est entièrement découverte.

24. LESBÉKIR.— C’est dans ce quartier du Kaire que l’on voit le monument élevé à la mémoire du général Kléber.

25. KHADI.— C’est un juge des causes civiles. Il remplit aussi les fonctions de notaire.

26. BOURSE.— Une bourse valait autrefois 500 piastres et la piastre turque valait 3 francs.

27. BEURNOUSS.— C’est un manteau oriental, avec un capuchon, fermant sur la poitrine ; on le met en le passant par—dessus la tête, comme une chasuble dont il a à peu prés la forme.

28. NIZAM.— Nizam djedid milice turque créée par Selim III, après la campagne des Français en Égypte, pour l’exercer aux évolutions européennes : ce corps n’existe plus. Le Pacha d’Égypte à adopté pour lui et sa garde le costume à la Nizam comme étant plus propre au service militaire par la simplification du costume oriental.

29. TARBOUSS.— Avec le costume à la Nizam. (Voir ci-dessus pour signification de ce mot.) On ne porte pas de turban, mais simplement une calotte en drap rouge, ornée d’un gland très long en soie bleue. Entre ce turban et la peau (les Musulmans ont la tête rasée), on porte une autre petite calotte en coton blanc nommée takya.

30. KANJDAR.— Mot turk qui signifie : poignard.

31. SAHIS.— C’est le nom de l’esclave chargé uniquement du soin des chevaux : il court devant son maître quand il sort à cheval.

32. ASSAH.— Mot arabe qui signifie : bâton.

33. NARGHILER.— C’est une pipe persane dont les tuyaux très flexibles ont plusieurs aunes de longueur, et qui diffère en outre des autres en ce que la fumée traverse un bocal rempli d’eau de rose. Ce bocal a à peu près la forme d’une carafe. L’ouverture en est fermée par une cheminée (ou noix de pipe) remplie de tumback en feuilles : on pose dessus un charbon ardent, et, au moyen d’un petit tube qui passe dans l’eau, on aspire une fumée constamment fraîche et fort agréable.

34. Porter sa main à son turban d’abord, ensuite de la bouche à son cœur, est la manière de saluer une personne pour laquelle on a de la considération.

35. SÉLAM ALEIK. — Locution ordinaire des Arabes, qui signifie mot à mot : salut à toi ; la réponse est toujours : Aleëk es Sélam, à toi le salut. Donner ou recevoir le Sélam, c’est donner ou recevoir le salut.

36. CHEIK. — Mot arabe qui signifie : vieillard. On donne ce nom au chef d’un village.

37. EL-KASSINN. — Petit village à une lieue et demie du Kaire, sur le bord du Nil, vis-à-vis le désert de Libie.

38. AGHA.— Mot turk équivalant à commandant.

39. JANISSAIRES.— Janissaire vient du mot turc Yegnytchéri. Ce corps a été créé, en 1361, par Amurat Ier, en prenant le cinquième des prisonniers qui embrassaient l’islamisme. Cette milice était fixée dans le principe à 10,000 hommes, pendant long-temps on admettait dans ce corps que des sujets choisis ; mais par la suite on admettait tous ceux qui se présentaient sans distinction de religion ni de mœurs. Ce corps s’est toujours fait remarquer par son arrogance et son esprit constamment porté à la révolte.

40. SULTHAN.— Ce mot en arabe étant seul précédé de l’article âl (le) désigne l’Empereur. Sullhanum en turk équivaut à monsieur, et s’applique à tout le monde sans distinction.

41. PACHA.— Ce mot vient du persan Pâd-Chah qui équivaut à vice-roi. L’expression d’échec et mât vient de deux mots persans chah mât, qui signifient : le roi est mort. Les Arabes prononcent bacha, parce que comme presque tous les Orientaux , n’ayant pas de p dans leur langue, ils remplacent cette lettre, autant qu’il est possible, par le b.

42. DHYVAN.— Mot turk qui signifie : conseil. Le conseil impérial (ghalib dhyvan) se tient sous un dôme (coubbèh) dans la grande cour du Sérail, nommée la porte Auguste (bâb humayoun). Ce conseil est présidé par le Grand Vizir[1]. Tous les autres Vizirs y assistent également ; ils sont placés au dessus du Deffendar[2] et du Reiss-effendi[3]. Les Kalemdjiis[4] se tiennent debout, à côté. L’Agha des janissaires, celui des spahis et tous les autres officiers militaires se tiennent assis à la porte Bad-Humayoun, en dehors du Dhyvan. Le Sulthan entend tout ce qui se passe par une fenêtre qui est au-dessus du siége du Grand Vizir.

43. TALARIS.— Le talari est une petite pièce d’or frappée au Kaire qui vaut environ 5 francs ; ainsi les 6,000 talaris forment la même somme que les vingt bourses, c’est-à-dire 30,000 francs.

44. NIKAKH.— C’est l’acte que rédige le khâdi dans lequel on inventorie la dot et le trousseau de la future. Ce sont les seules reprises de la femme en cas de répudiation.

45. SÉRAIL.— Les Orientaux désignent sous ce nom une habitation tout entière dont le Harem n’est qu’une dépendance. Ainsi le mot sérail répond à palais, s’il est question de l’Empereur de Turquie ou du Pacha d’Égypte, et à hôtel pour les autres personnages.

46. FELLAHS.— Fellah en arabe veut dire laboureur. En Égypte on nomme ainsi des malheureux que l’on emploie toujours dans toutes les cérémonies, moyennant un très faible bakchihh (pour-boire)

47. ANES.— C’est la monture ordinaire des Egyptiens : au Kaire on voit très peu de chevaux. Les personnes de toutes les conditions se servent d’ânes.

48. BAKCHIHH.— Mot arabe qui répond à pour-boire.

49. ALLAh-KÉBIR.— Mots arabes qui signifient : Dieu est grand.

50. MOSKÈH.— C’est le nom que les Turcks donnent à leur temple. Les Arabes écrivent et disent Jamèh.

51. Bazar.— Est un endroit, soit place où rue, ou passage, spécialement affecté à une sorte de marchandise : ainsi il y a bazar des étoffes, bazar des armes, bazar des esclaves, etc.

52. NOUS NE LA VOYONS PAS ! — Un Musulman ne peut voir sa femme qu’après la cérémonie du mariage.

53. SEQUINS — Le sequin est une pièce en or de Venise, qui a cours dans presque tout l’Orient, et qui vaut environ 12 francs.

54. ENT THAIEB IA SIDI.— Cette phrase arabe signifie mot à mot : toi bien ô Seigneur !.

55. REISS. Mot arabe qui signifie : chef.

56. PIASTRE — La piastre d’Egypte vaut 35 centimes.

57. MIRAGE.— Le mirage est un phénomène que l’on voit fréquemment dans les déserts d’Egypte, et qui n’a lieu que dans le moment de la plus forte chaleur du jour. Le sable, échauffé par le soleil, rayonne une grande quantité de calorique, et, en échauffant la couche d’air qui lui est contiguë, la rarifie. L’azur du ciel vient se refléter sur cette couche d’air et présente à l’œil de celui qui la domine l’aspect d’un lac. En traversant les déserts on est souvent trompé par l’illusion du mirage : on aperçoit de l’eau, on veut se désaltérer, arrivé sur le lieu même, le lac a disparu et se remontre plus loin.

58. KHAMSINN.— Le Khamsinn est un vent brûlant qui souffle dans toute l’Egypte pendant cinquante jours. (Khamsinn en arabe signifie cinquante.) Le Xhamsinn enlève le sable du désert et le répand partout : c’est ce sable, souvent imperceptible, dont l’atmosphère est surchargée, qui occasione l’ophthalmie qui règne toujours à cette époque.

  1. Vizir vient du mot arabe vezir qui signifie porte-faix : on a donné ce nom au premier ministre de l’état pour désigner ses pénibles fonctions, puisqu’il supporte le poids des affaires.
  2. Deffendar chargé des affaires du dehors ou des finances. Ce mot vient du persan defter compte, et de dar, tenir ; ou du grec δφδερε, parchemin ou vélin sur lequel on écrit.
  3. Reiss-effendi, grand chancelier ou chef des écrivains : de reiss, chef, et effendi, écrivain.
  4. Kalemdjii, secrétaire : de kalem, nom du roseau dont se servent les Orientaux pour écrire.