Agnès de Navarre-Champagne - Poésies, 1856.djvu/Chansons balladées

Poésies d’Agnès de Navarre-Champagne, dame de Foix
Texte établi par Prosper Tarbé (p. 25-32).


CHANSONS BALLADÉES.




i.


Si d’amer me repentoie.
Ne faignoie,
Trop feroie
Contre mi ;
Car tout mon bien se perdroie,
Que n’aroîe
Jamais bon jour ne demi.

Si veiL amer mon ami
Loiaument, où que je soie,
Et avoir le cuer joli,
Gay, chantant et plein de joie,
Ne pour chose que je voie,

Ne que je oie,
Ne le qui ers mettre en oubli ;
Car s’autrement le faisoie,

Mort l’aroie
Sans cop ferir et trahi.

Si d’amer… etc. (27)

~ 26 —

Il m’a longuement servi
Si bien que miex ne vorroie :
N’onques en li riens ne vi
De quoi resprendre le doie,
M’onneur vuet plus que la soie.

Qu’en diroie ?
Secrès et biaus est si
Que je souhaidier voloie…

Je faurroie,
A souhaidier miex qu’en li.

Si d’amer ».. etc.

Chascuns dit que c’est celi
Qui miex tient la droite voie
Pour avoir des biens le tri,
Que nature aux siens ottroie :
Pour quoi donc ne l’ameroie ?

Trop aroie
Le cuer divers et failli,
S’il m’aime et ne l’amoie

Et créoie,
Quant il l’a bien desservi.

Si d’amer… etc.

II.

Cilz ha bien foie penser,
Qui me cuide ad ce mener,
Que celui où suy donnée,
Laisse pour un autre amer.

Ce ne porroit avenir
Que guerpir

— 27 —

Le puisse nullement,
Ne qu’en moy puist venir

Le plaisir
D’autre amer, car vraiement
En s’amour suy si fermée
Et mise sans deslivrer,
Que pour créature née
Ne le porrois oublier

Cilz ha bien… etc.

Mi penser, mi souvenir

Mi désir,
Et m’amour entièrement
Sont en li sans départir ;

Qu’avenir
Ne puis à joie autrement.
Car sans li riens ne m’agrée ;
Sans li tout doulz m’est amer :
D’autre ne quiers estre amée
Fors de lui, qu’aim sans fausser.

Cilz ha bien… etc.

Ne plus qu’on porroit tarir

Et tenir,
L’amer sans nul mouvement,
Ne porroit on repentir,

N’alentir
Mon cuer d’amer loyaument
Luy, qui dessus tout m’agrée
S’en doy bien amour loer,
Quant je suis énamourée
Dois milieur qu’on puist trouver.

Cilz ha bien… etc.

28 —

m »

Moult suy de bonne heure née,
Quant je suis si bien amée

De mon doulz ami,
Qu’il ha toute amour guerpi
Et son cuer à toute vée

Pour l’amour de mi.

Si que bonne amour graci

Cent mille fois, qui
M’a si très bien assenée
Que j’aim la fleur et le tri

De ce monde ci,
Sans part et sans déceurée,
Pour sa bonne renommée,
Qu’est cent fois de tout loée

Plus que ne le di,
Qui mon cuer ha. si ravi
Qu’onques mais énamourée

Dame ne fu si.

Moult suy… etc.

Nos cuers en joie norri,
Sont si, que soussi
Ne riens que nous désagrée
N’avons, pour ce qu’assevi

Sommes de mercy,
Qu’est soufïîsance eppelée.
Un délir, une pensée,
Un cuer, une ame est entée
En nous : et aussi

— 29 —
De voloir somes uni.
Onques plus douce assénlbléé,
Par ma foy ! ne vi.

Moult suy… etc.

Non pourquant je me deûri

Seulette et gémi
Souvent à face esplourée,
Quant loingtaiDe suy de li
Qu’ay tant enchiéri ;
Que sans li riens ne m’agrée.
Mais d’espoir suy confortée,
Et très bien asseurée

Que mettre en olibli
Ne me porroit par nul si ;
Dont ma joie est si doublée >

Que tous maulz oubli.

Moult suy… etc.

ÏV.

Le mesdisans en accort (28)
Sont pour moy grever à tort,

G’est par leur envie,
Car desservi ne l’ay mie :
Pour ce de leur jenglerie

Bien me resconfort.

Mais pour les mettre en esmay>
Plus que ne sueil je seray

Joieusé et jolie-
Et si aray le cuer gay,

— 30 —

Et sagement me tenray

Sans faire folie.
Ainsi ferai leur déport
Muer en grand desconfort.

Et si ay de m’aie
Bonne volenté et lie
Et loyauté dont garnie

Suy jusqu’à la mort.

Le mesdisans… etc.

Ainsi me déporteray

De tout ce que dire orray ;

N’en merancolie
Jà mon cuer ne metteray,
Pour ce que pure me say

De leur tricherie.
Me cuer ? qui est de bon port,
Ne doit douter leur raport,

Plein de félonnie.
N’onques en jour de ma vie
Ma pensée en vilennie

Ne prist son ressort.

Le mesdisans… etc.

Pour ce de rien ne m’esmay,
Qu’en loyauté fiance ay,

Et quoy que nulz die,
Tant com mon devoir feray,
Leur parler ne doubteray,

Qui pas ne deffie
Et en derrier point et mort ^
Mais quant leur jengle plus fort

Seur moy se deslie,

— 31 —

Tant sui je plus envoisie,
Car Diex scet où je me fie,
Comment je me port.

Le mesdisans… etc.

v.

Dès que premiers oy retraire (29)
De vous, doulz amis débonnaire,
La valeur et la, grant bonté,
Mon cuer fut si en vous enté,

Qu’onqs puis ne l’en po retraire.

Jaçoit ce qu’onqs congnu >

Ne vous eusse ne veu,
Vous fist amours mon cuer donner —,

Et si n’eusse pas creu
Que tout mon temps eusse peu
Sans voir, nul homme tant amer •
Mais bonne amour le me fist faire ;
Et le renom de vostre affaire
Qui a. mon cuer entalanté
Si fort, que j’ai eu volenté
De vous amer sans riens meffaire.

Dès que premiers oy retraire
De vous, doulz amis… etc.

VI.

Ne vous estuet guermenter,
Très doulz amis, ne doubter
D’estre en esmoi,

10

— 32 —

Quar vos dolours muerai

Par bien amer
Et par doucement parler

Quant vous verrai.

Quar certes volenté hay
De tout quant que je saray

Qui conforter
Porra vostre doulz cuer vrai,
Sachiez que je le ferai,

Et sans tarder.
Si ne devez espérer
Que nul mal doies porter

Tant com je serai
En présent quers bien saray

Vos maulx saner,
Et pour vous confort donner,

Mire en seray.

Ne vous estuet guermenter,
Très doulz amis, etc.