Actes du Congrès international de philosophie scientifique/I. — XVII. La Lutte contre l’idéalisme

Congrès international de philosophie scientifique ( et al.)
Hermann & Cie (Ip. 79-80).




XVII


La lutte contre l’idéalisme.
Léon CHWISTEK.


Les idées générales étant vagues et obscures, il est dangereux de les prendre comme les fondements de la philosophie. On risque d’introduire dès le début les préjugés et les illusions d’un certain milieu scientifique. L’idéalisme aboutit toujours à un dogmatisme nuisible au libre développement de la pensée humaine. La lutte contre l’idéalisme telle que l’ont engagée les pragmatistes, présente un danger encore plus sérieux. Elle nous conduit à accepter des fictions et des mensonges évidents au nom de l’utilité. Mais l’idée d’utilité est très vague et très obscure. Elle peut donner lieu à tous les abus, maniée par des individus égoïstes et cyniques. C’est là un danger du mouvement rétrograde de l’humanité.

Je pense que l’unique moyen d’une lutte raisonnable contre l’idéalisme est la construction d’un système de science objective, indépendante des idées personnelles de son auteur. Cette science doit être libre de tout idéalisme. Or, la science actuelle est imbue d’un idéalisme latent. En particulier c’est le cas des mathématiques modernes, qui sont encore loin d’être libérées des hypothèses idéalistes.

Une lutte sérieuse contre l’idéalisme doit avoir lieu d’abord sur le terrain des mathématiques. Ou bien nous réussirons à construire un système des mathématiques libre de tout idéalisme, ou bien l’idéalisme restera toujours vainqueur.

Or, il n’y a pas d’autre moyen d’éliminer l’idéalisme des mathématiques que de s’appuyer sur une science beaucoup plus générale que j’ai proposé de nommer la sémantique. Cette science ne connaît d’autres objets que des signes tels que *, c et des expressions construites à l’aide de ces signes. Ces signes et ces expressions étant des objets concrets, tels que les pierres ou les oiseaux, on voit que la sémantique est bien indépendante de tout idéalisme. D’autre part elle est complètement indépendante de toute hypothèse arbitraire, ces axiomes n’étant que de simples descriptions d’opérations qu’on peut effectuer sur des expressions construites d’après des règles données d’avance. Notons encore que ces axiomes sont construits sans l’aide des variables apparentes.

Comme la sémantique rationnelle nous permet de reconstruire toutes les mathématiques, nous pouvons constater que l’idéalisme a été éliminé d’une façon radicale du domaine qui a été jusqu’à présent son refuge le plus commode.

Le système d’une science objective, libre de tout idéalisme, une fois donné, nous pouvons nous en servir comme modèle de toute science rationnelle. Dans ce travail nous devons nous appuyer sur le bon sens ordinaire, ainsi que nous l’avons fait au début de la sémantique.

Le rôle de notre système-modèle sera ici plutôt négatif. Il s’agira tout simplement d’éviter les hypothèses arbitraires et l’hypercriticisme trop raffiné.

Cette méthode nous mène à constater qu’aucune théorie de la réalité ne peut devenir une partie essentielle de la science objective. En effet, nous pouvons montrer que toute théorie générale de la réalité doit être relative. Néanmoins il ne peut y avoir une réalité embrassant le sujet qui pense sur elle, ce qui nous fait aboutir dans tous les cas à une sorte de matérialisme. Cette méthode nous permet de retrouver tout ce qu’il y a de fécond dans la doctrine du matérialisme dialectique, tout en éliminant d’elle ses éléments irrationnels.