Œuvres posthumes (Verlaine)/Nos poètes

Œuvres posthumesMesseinSecond volume (p. 292-294).

NOS POÈTES

par jules tellier


Un livre enfin de critique compétente et sympathique vient de paraître : Nos Poètes[1], par Jules Tellier, qui est lui-même un poète. L’auteur, partant de Leconte de Lisle pour arriver au Décadisme, examine les évolutions du genre d’écrire qualifié poésie accomplies depuis cette époque jusqu’à cette époque : de quelle attention tour à tour filiale et fraternelle toujours et toujours confraternelle ! ce n’est rien que de le dire.

Après un adieu respectueux à M. Leconte de Lisle, historien et philosophe, un hommage affectueux, cordial et sincère à ce Théodore de Banville qui compte pourtant dans le rhythme de la vie absolue des fiers et désintéressés livres de vers de cette époque décisive, après Coppée, exquis, et Sully-Prudhomme, noble témoin, salués, Jules Tellier aborde enfin les Modernes.

Rustiques, Psychologues, Lyriques, Baudelairiens habiles, passés, non sans malice douce-amère, en revue, Jules Tellier s’inquiète à son tour, qui est le bon, du mouvement actuel. Et largement, malgré les étiquettes sans nul doute voulues telles de sa table des matières, il veut bien rendre compte au public, ce public auquel il faut à la fin rendre compte, — ce public, entendons-nous, choisi, trié, exclusivement servi et exclusif qui serait donc le nôtre, — de sa sollicitude pour les seuls efforts sérieux de ce commencement de fin de siècle littéraire-ci.

Bouchor et son puissant effort incontestable vers les sommets symboliques de l’esprit humain, la jeune pléiade belge (si consolante dans notre décadence française pourtant encore lîère) dont Rodenbach, Giraud, Séverin, seraient les chefs acclamés si le choix n’était défié par tout ce talent collectif, enfin Moréas, subtil et brutal si bien, Kahn, Vignier, qu’il nous serait utile de défendre contre des scrupules peut-être un peu bien sévères, Guigou, « étrange et sincère », Raymond de la Tailhade, prédit grand poète et déclaré bon poète, Tailhade, somptueux et pervers — « j’en passe et des meilleurs », comme dit Hugo, d’ailleurs excessivement admiré dans le livre de Nos Poètes — apparaissent ou plutôt paraissent « pleins de grâce et de vérité » dans ce livre substantiel auquel il faut acquiescer, en dépit des justes réserves que lui doit le Décadisme (ou ce qu’on nomme ainsi) en raison de quelques injustices.

  1. Dupont, éditeur, 3, Rue de Médicis.