Œuvres de Vadé/Les Troqueurs
LES
TROQUEURS
LUBIN, Amant de Margot.
LUCAS, Amant de Fanchon.
MARGOT, Fiancée avec Lubin.
FANCHON, Fiancée avec Lucas.
Scène PREMIÈRE
Quand sur ses vieux jours un garçon
Devient le mari d’un Tendron,
Un Galant rit de sa folie ;
Le reste est bientôt projeté :
Mais qu’un bon vivant se marie,
Les rieurs sont de son côté.
On ne peut trop tôt
Se mettre en ménage :
J’ai beaucoup d’ouvrage ;
Et le mariage
Est mon vrai ballot.
Un Contrat m’engage,
J’épouse Margot.
Son humeur volage
Est presque le gage
D’un mauvais lot.
Mais contre l’orage
On met en usage
Les moyens qu’il faut.
Une femme est sage
Quand l’homme, en un mot,
N’est pas un sot.
Scène II
Nous voilà fiancés par un double contrat :
L’indolente Fanchon va devenir ta femme.
L’égrillarde Margot va te mettre en état
De chanter chaque jour une amoureuse gamme.
Compère, es-tu content de ton marché, dis-moi ?
Et toi, compère ?
Et toi ? dis.
Es-tu bien satisfait ?
Montrant Lubin au doigt.
Pour Margot tout de feu ?
Es-tu bien satisfait ?
Compère, es-tu bien aise ?
Mais, dis auparavant.
Je ne sais : mais Fanchon est lente et paresseuse.
Margot, morbleu,
Est par trop joyeuse ;
Elle est jaseuse,
Gausseuse ;
Pour peu
Qu’on la mette en jeu,
Elle prend feu. (Fin.)
La voilà quinteuse.
Grogneuse,
Fâcheuse.
Dites-lui
Oui,
Elle répond
Non ;
Oui,
Non,
Non,
Oui,
Un démenti
Vous met en colère :
Prend-on le parti
De la faire taire :
Le bruit double encor,
Jamais d’accord.
On se désole ;
Soufflets vont leur train,
On les rend soudain,
Et le bonnet vole.
Margot, etc.
Le défaut de Fanchon me fait maigrir la trogne ;
Son air froid, engourdi, m’a désolé vingt fois.
Tiens, nous avons été par trop vite en besogne.
Margot te convient mieux.
C’est bien dit, je le crois.
Je m’accommoderais de Fanchon à merveille.
Troquons.
Va.
Tope.
Allons.
Le changement réveille ;
Troquons, troquons,
Changeons, Compère,
Point de façons ;
Point de Notaire.
Tiens, déchirons !
(ils déchirent leurs contrats.)
Ce biau chiffon.
Troquons, troquons,
Changeons, compère.
Rien n’est si bon.
Mais de chacun de nous s’avance la future.
Faisons-les consentir.
Va. Nous allons conclure.
Scène III
Bonjour, Margot.
Fanchon, bonjour.
Tu te trompes.
Non, ma chère.
Mais, finis donc.
Veux-tu te taire !
À ton ami peux-tu jouer ce tour ?
Margot va m’en vouloir.
Fanchon sera jalouse.
Écoute, c’est moi qui t’épouse.
C’est moi qui serai ton mari.
Eh ! non, c’est lui.
Eh ! non, c’est moi.
Nous nous unirons aujourd’hui.
Pas avec toi ;
C’est avec lui.
C’est moi qui serai ton mari.
C’est lui.
Moi. moi.
Lui, lui.
Eh ! non, c’est lui.
Eh ! non, c’est moi.
D’un Amant inconstant
L’Amour se venge,
Même à l’instant
Que son cœur change,
Il n’est pas content ;
C’est où ce Dieu l’attend.
Des feux d’un volage
On est peu flatté ;
Le plus doux langage
Est toujours rejeté.
Quand il est l’hommage
De la légèreté.
Sans alarmer Flore,
Le badin Zéphir
Vole avec plaisir
Sur les fleurs qu’elle fait éclore.
Un tendre soupir
Bientôt le rappelle ;
Il revient près d’elle
Sur l’aile du Désir.
D’un Amant, etc.
On dit que l’hymen est bien doux ;
Pour moi, c’est un mystère :
Qu’importe l’un ou l’autre Époux ?
Pourvu que l’on soit femme, voyez-vous !
Le choix ici n’est pas fort nécessaire ;
Tous deux ne valent guère.
Margot, si tu m’en crois, nous les laisserons faire.
Bon, bon ; Fanchon entend déjà raison.
- (Pendant ce temps Fanchon et Margot se parlent à l’oreille.)
Je l’en dégoûterai. (Haut.) Terminons donc l’affaire.
Ah ! quel bonheur ? Margot pense comme Fanchon.
Changeons, ma chère ;
Troquons, troquons.
Troquons, troquons ;
Changeons, ma chère
Troquons, troquons ;
Changeons, compère.
Troquons, troquons ;
Changeons |
|
compère. ma chère. |
Scène IV
Vive Margot, j’aime son caractère.
Oui, tu vas l’éprouver.
Que nous serons heureux !
Tu me parais charmant.
Que tu sais bien me plaire !
Je brûle d’être à toi.
Viens donc combler mes vœux.
Ah ! qu’il me tarde
De te voir mon époux !
Surtout prends bien garde
D’être jaloux.
Quand un galant me flatte,
Je ne suis pas ingrate.
Si tu raisonnais,
Tu verrais
Ce que je serais.
J’aime la dépense ;
Ainsi je pense
Que tu sauras gagner
De quoi faire régner
Chez moi l’abondance,
Les jeux et la danse ;
Car autrement,
Je fais serment
Que le tapage,
L’outrage,
La rage,
Feront ravage
Dans ton ménage.
C’est mon dernier mot.
À ce prix, nigaud,
Épouse Margot.
Jusqu’au revoir, magot,
Magot, magot,
Magot.
Scène V
Va, va, j’épouserais, morbleu ! plutôt le diable.
Ah ! Fanchon, qu’à présent tu me parais aimable !
Pauvre Lucas,
Quelle est ta peine !
Une femme hautaine,
Ne te va pas.
Sans cesse la gène,
L’aigreur, l’altercas.
Les cris, le tracas,
Les pleurs, le fracas,
Sept fois la semaine,
Joueront une scène
Où, tout hors d’haleine,
Tu chanteras :
Hélas ! hélas ! hélas !
Sortons d’embarras.
Fanchon est ma Reine,
Je cours de ce pas
Reprendre ma chaîne ;
Ah ! quelle a d’appas !
Scène VI
J’ai cru faire un beau coup en changeant de future
Margot était mon fait ; peste soit du marché !
Avec Fanchon, hélas ! il faudra donc conclure !
Qui ? moi garder Fanchon ! J’en serais bien fâché.
Sa nonchalance
Ferait mon tourment :
Une heure elle balance
Pour dire froidement :
Oui-da… Vraiment !…
Plaît-il ?… Comment ?…
Chaque mot est si lent
Que j’en perds patience,
Ou bien en silence,
D’un pas chancelant.
Elle s’avance ;
Puis marche endormant ;
Et rit en bâillant.
Quelle différence
De ce tempérament
A la pétulance
De celle que j’attends.
Scène VII
Margot ?
Eh ! bien ?
Rends-toi, j’ai reconnu ma faute.
Tout beau, tu comptes sans ton hôte.
Sans rire, comment va le désir conjugal ?
Mal.
Oh ! Dès ce soir, tu porteras mon nom.
Non.
Va, tu ne penses pas ainsi.
Si.
Méprises-tu mon tendre effort ?
Fort.
Cesse d’être fière à ce point.
Point.
Tu veux donc mon ennui ?
Oui.
Fais-moi plutôt un amoureux défi.
Fi.
Ta cruauté me désole !
Va, cours, fuis, sors, vole
Sur les pas de Fanchon : je m’en tiens à Lucas.
Reçois mon repentir.
Scène VIII
Ne me rebute pas.
Oh ! laisse-moi ; voilà la tienne
Non, c’est la mienne.
Voilà la tienne.
Non, c’est la mienne.
Je prends le mien.
Chacun le sien.
Le Diable t’emporte !
Ah ! quel embarras !
Tu m’épouseras.
Peut-on, hélas !
Me punir de la sorte ?
Tu m’épouseras.
Le Diable t’emporte !
Tu m’épouseras.
Ah ! Margot.
Ah ! Fanchon.
Quel accès te transporte ?
Reprends-moi,
Que je sois ton époux !
Vous avez fait la loi.
Je t’en prie à genoux.
Fanchon ! Ah ! ah ! ah ! ah ! ah !
Margot ! Ah ! ah ! ah ! ah ! ah !
Cruelle !
Traîtresse !
Pardonne-nous.
Pardonne-nous.
Fileras-tu doux ?
Je filerai doux.
Au logis je serai maîtresse.
Maîtresse.
Et tu m’obéiras sans cesse.
Sans cesse.
Fanchon, je me résous
Margot, je me résous.
Fanchon, quelle allégresse !
Margot, quelle allégresse !
Remettez-vous.
Quelle tristesse !
Fanchon !
Margot !
Cédons.
Cédons.
Quelle allégresse !
Levez-vous.
Nous en ferons, ma foi, de commodes époux.
Quelle allégresse !