Œuvres de Albert Glatigny/Rondels

Œuvres de Albert GlatignyAlphonse Lemerre, éditeur (p. 240-244).

V

Rondels.


I.

Pour la bonne Amie.


Venez qu’on vous baise, mon cœur,
La nuit est doucement venue,
Et Va-haut, derrière la nue,
La lune pâme de langueur.

Quittez vite cet air moqueur,
Ça, ne faites plus l’ingénue,
Venez qu’on vous baise, mon cœur.

Oui, non, suis-je votre vainqueur ?
Pourquoi tant de retenue ?
Avez-vous peur que diminue
Ma tendre et constante vigueur ?
Venez qu’on vous baise, mon cœur.


II

Sur Thérèse.


Thérèse est blonde, elle a raison.
Avec ses sourcils noirs, Thérèse
À la lèvre couleur de fraise,
Et puis des jasmins à foison.

Sa poitrine dans la prison
De la chemise bat à l’aise.
Thérèse est blonde, elle a raison.

On aime à lui parler, mais on
Craint ses yeux ardents comme braise.
Moins qu’une fauvette elle pèse :
Son babil emplit la maison.
Thérèse est blonde, elle a raison.


III.

La Route à suivre.


Allons avec les amoureux,
Leur route est la meilleure encore.
Quand en avril le ciel se dore,
Quand l’oiseau chante, c’est pour eux.

Surcharge d’ennuis ténébreux,
Mon cœur à l’espoir veut éclore,
Allons avec les amoureux.

La haine, les soucis véreux,
Cela nous ronge et nous dévore.
Au bois que le printemps décore
Les ramiers sont vraiment heureux.
Allons avec les amoureux.


IV.

Les Moineaux.


Qu’ils sont jolis, les moineaux francs,
Les effrontés, que je les aime !
Peuple insoucieux et bohème,
Ils sont crânes et conquérants.

Petits, ils se moquent des grands.
Ils nargueraient l’aigle lui-même,
Qu’ils sont jolis, les moineaux francs !

Sous les vastes cieux transparents
Que la nuit d’étoiles parsème,
Le rossignol dit son poème.
Gavroches au soleil errants,
Qu’ils sont jolis, les moineaux francs !


V

Dans la Coulisse.


Scapin, mets ton habit rayé.
Pour te voir les poings sur les hanches
Arpenter a grands pas les planches,
Ce soir les bourgeois ont payé.

Le gai printemps s’est déployé,
Tendre et reverdissant les branches ;
Scapin, mets ton habit rayé.

Pourquoi donc cet air ennuyé ?
La coquette aux yeux de pervenches
À, de ses petites mains blanches,
Fait saigner ton cœvr effrayé ;
Scapin, mets ton habit rayé.


VI.

Envoi


À Valéry Vernier.


Vive la Muse et les rimeurs !
Ô mon ami, nous sommes sages
De fuir dans les bleus paysages

La prose vaine et ses clameurs.
Aimons les gentils écumeurs
De lys, d’étoiles, de feuillages.
Vive la Muse et les rimeurs !

Pour les donner aux imprimeurs,
Écrivons nos vagabondages
Sans fin au pays des nuages.
S’il ne faut plus rimer, je meurs.
Vive la Muse et les rimeurs !


Bayonne, novembre 1867.