Œuvres de Albert Glatigny/Roman comique (Les Flèches d’or)

Œuvres de Albert GlatignyAlphonse Lemerre, éditeur (p. 92-95).
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Roman comique.



I



Ô comédienne ! Molière,
Le grand vagabond du bel art,
Eût fait de vous son écolière
Sur les chemins pleins de hasard.

Il vous eût donné le sourire,
Le charme et la grâce des pleurs,
Lame tendre qui se déchire
Par l’amour et par les douleurs.



Il vous eût donné cette fièvre
Qui suit les courageux travaux.
Ne voit-on pas, sur votre lèvre,
Causer Shakspeare et Marivaux ?

Mais à quoi bon ces dons ? Les fées,
Dès votre berceau triomphant,
D’avoine folle et d’or coiffées,
Vous avaient prise pour enfant.

Et, quand vous souleviez vos langes,
En agitant vos petits bras,
Vous entendiez déjà les anges
De l’amour vous parler tout bas !



II



Aujourd’hui les comédiennes
N’égarent plus leurs fins souliers
Au travers des routes anciennes
Où croissent les lys oubliés.

Leur génie est dans la tenture
Que le tapissier déploya ;
Il leur faut la littérature
Honnête de monsieur Laya.



Il leur faut ces calmes prodiges
Implantés par un art nouveau,
La passion et ses vertiges
Changés en rhume de cerveau.



III



Mais vous ! vous recherchez encore
Les tristesses et les sanglots,
Les cris dont la Lyre sonore
Épanche largement les flots.

Ô baladine énamourée !
Votre désir est que les vents
Soulèvent la masse adorée
De vos souples cheveux mouvants.

Les héroïques charmeresses
Qui dérobent avec douceur
Leurs seins sous la peau des tigresses,
Vous appellent leur jeune soeur.

Et, ravis au pays féerique
Que défendent les dieux jaloux,
Les fous, les poètes lyriques
Pleurent de joie à vos genoux.



Car la Muse en feu, de son aile,
Touche votre front, et vos doigts
Sur la grande Lyre éternelle
Retrouvent la chanson des bois,

La divine chanson chantée
Jadis dans le repos du soir,
Avant que ne fût inventée
La comédie en habit noir.


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