Œuvres de Albert Glatigny/Pour une Comédienne

Œuvres de Albert GlatignyAlphonse Lemerre, éditeur (p. 21-23).



Pour une Comédienne.



Vos traits hardis, mais sans rudesse,
Semblent vous donner, à la fois,
L’air d’une jeune druidesse
Que l’on révère au fond des bois,

L’air d’une douce nonchalante
Faite à manier l’éventail,
Et laissant, de sa bouche lente,
Tomber quelques mots en détail.

Vous avez la sauvage allure
De ces filles qui, sous le ciel,
Vont dénouant leur chevelure
Que Rubens arrose de miel,

Et vous avez la grâce exquise
D’une coquette de salon,
Qui, dans sa robe de marquise,
S’emprisonne jusqu’au talon.

Les sons divins de la mandore
En vos rires ont un écho ;
La joie ardente vous adore,
Marie, Impéria, Marco !


Or, en ce temps de gorges plates
Et de réalistes mesquins,
Où l’on nous fait aimer des lattes
Qui flottent dans leurs casaquins,

C’est un bonheur pour nous, Marie,
Que de vous voir, vous qui pouvez
Montrer à notre idolâtrie
Des bras aux contours achevés.

Laissez les femmes qui sont maigres
Grimper au plus haut de leur cou
Et vous suivre de leurs cris aigres
Comme une trompette d’un sou !

La beauté clémente et sereine
N’a pas de trésors inconnus :
Comme l’esclave dans l’arène,
Elle expose ses charmes nus.

En plein jour, comme dans l’alcôve,
Elle montre tout simplement
Sa jambe et sa crinière fauve,
Et son torse grec ou flamand.

Je sais bien que l’on nous objecte
Quelques mots vagues de vertu…
Qu’importe à la forme correcte,
Au profil de grâce vêtu ?




La vertu n’est souvent qu’un songe
Bien plus bref que les nuits d’été,
Marie, et tout songe est mensonge :
Votre gorge est la vérité !


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