Œuvres de Albert Glatigny/Paresse

Œuvres de Albert GlatignyAlphonse Lemerre, éditeur (p. 114-115).



Paresse.



Sais-tu bien, ma petite amie,
Que, m’oubliant dans nos amours,
J’ai laissé la Muse endormie
          Pendant huit jours ?

J’ai dans tes deux bras jeté l’ancre,
Et le papier blanc ne connaît
Plus ni ma plume, ni mon encre,
          Pas un sonnet !

Sais-tu que c’est vraiment un crime ?
Qu’est-ce que les peuples diront ?
Pas un seul vers portant sa rime
          Altière au front !

Qu’ont-ils fait pour qu’on les malmène,
Ces rêveurs épris de hasard ?
Je n’ai pas lu cette semaine
          Mon doux Ronsard.


Qui me retient ? Qui donc m’empêche
De chanter en vers séduisants ?
Ah ! c’est toi, c’est l’odeur si fraîche
          De tes seize ans ;

C’est ton sein dont la gorgerette
Me dévoile la blanche chair,
C’est ta lèvre en fleur où s’arrête
          Un rire clair ;

C’est ta chevelure divine,
Le son de ta voix entendu ;
C’est ta prunelle où je devine
          Un ciel perdu !

C’est toi seule qui m’inquiètes,
Toi, qui demain me trahiras.
Tiens, je suis lâche, et les poètes
          Sont des ingrats !

À la grande Muse éternelle
Ils préfèrent un frais chiffon,
Aux chants sacrés, la ritournelle
          D’une chanson.

Mais cette chanson est charmante,
Et fait si bien valoir ton cou,
Ce joli chiffon est l’amante
          Dont on est fou.