Œuvres de Albert Glatigny/La Joie

Œuvres de Albert GlatignyAlphonse Lemerre, éditeur (p. 55-57).



La Joie.


À Jean du Boys.



Robuste, les seins hardiment
Arrondis en pleine lumière,
Une déesse jeune et fière
Dresse vers le clair firmament
Sa belle tête printanière.



Lumineuse et pareille au feu,
Sa chevelure se déploie
Sur ses épaules, qu’elle noie,
Et dans son regard calme et bleu
Le ciel se mire. — C’est la Joie !

Non celle qui du haut des monts,
Naïade farouche et sanglante,
Nous vient dans l’onde étincelante
Des vins pourprés que nous aimons,
Tout ivre, à demi chancelante ;

Non celle qui nous suit auprès
De la pâle et chère maîtresse
Qui laisse dénouer sa tresse
Sous l’ombre des noires forêts,
Avec des larmes de tendresse !

Non pas cet ange fugitif,
Dont le vol parfois nous apporte
Une illusion jadis morte,
Mais celle qui naît sans motif
Comme une fleur sauvage et forte ;

La Joie aux éclatants reflets
Amante des gaités hardies,
Qui s’en va par les comédies,
Et fit entendre à Rabelais
Son rire plein de mélodies !



L’amazone qui court pieds nus
Par les prés refleuris qu’inonde
La clarté, folle et vagabonde.
Cherchant des sentiers inconnus,
Versant le rire sur le monde.

Envolez-vous du nid, chansons
À la rime sonore et pleine !
La Joie est ivre dans la plaine,
Et nos lèvres, quand nous passons,
Boivent les fleurs de son haleine.

Qu’importe, flâneurs indolents !
Les soucis graves et moroses
Et les tristesses et les choses
Qui nous font marcher à pas lents !
Allons voir éclore les roses.

Un jour que tout était soleil,
— Ah ! déjà dans mon cœur se creuse
Comme une fosse ténébreuse ! —
Un jour à celui-ci pareil,
J’ai rencontré mon amoureuse !




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