Œuvres de Albert Glatigny/La Blessure de l’orgueil

Œuvres de Albert GlatignyAlphonse Lemerre, éditeur (p. 169-172).
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La Blessure de l’Orgueil.



Comme un autre dans sa joie,
Je marche dans ma douleur,
Cueillant au gré de la voie
L’ortie aiguë ou la fleur.


Ce qui féconde ou qui tue
Fait sur ma tranquillité
Ce que sur une statue
Produit r hiver ou l’été.

Tel l’arbre garde sa force,
Malgré les coups de couteau
Labourant sa rude écorce
Transformée en écrit eau,

Et des passions vivaces
À qui chaque heure de deuil
Ouvrait de larges crevasses,
Il ne reste que l’Orgueil.

L’Orgueil, le roi solitaire
Qui, dans l’ombre de mon cœur,
Traite de haut le mystère,
Sans avouer le vainqueur !

Il règne, être tyrannique,
Sans courtisans, à l’écart,
Et mon sang, pourpre ironique,
Teint son manteau de brocart !

Mais cependant un reptile
Aux clairs yeux de diamant
Par une pente subtile
Glisse vers lui lentement.


Comme un long filet de glace,
Il se traîne sur le corps,
Et solidement l’enlace
De ses nœuds souples efforts.

Lâche Orgueil ! crie, et pressure
La plaie ouverte à ton flanc.
Sens-tu la froide morsure ?
Sens-tu la lèvre de sang ?

Ô guerrier invulnérable,
Où donc est ta force, dis ?
Laisse donc, misérable !
Jaillir tes sanglots maudits !

Cette vipère assassine,
Qui jusqu’à toi s’est fait jour,
Et dont l’œil froid te fascine,
Imbécile ! c’est l’Amour !

C’est la dernière misère
Que tu pouvais redouter,
La blessure nécessaire
Pour te faire sangloter ;

La meurtrissure au cadavre
Ressuscité tout exprès,
Et tiré, pour qu’on le navre,
De son trou sous les cyprès !


C’est le soufflet sur la joue
Au condamné frémissant,
Le dernier coup sur la roue
Achevant l’agonisant.

Va, maintenant ! Fuis et passe !
Le tourmenteur enchanté
Qui t’a fait demander grâce
Est sûr de ta lâcheté.

Et si tu faisais parade
De ta résignation,
Il te crierait : « Camarade,
Un peu moins d’ambition ! »

Puis, t’arrachant de l’épaule
Le vêtement imposteur,
Il découvrirait, vieux drôle !
Les ulcères de ton cœur !