Œuvres de Albert Glatigny/L’art poétique de Thérèse

Œuvres de Albert GlatignyAlphonse Lemerre, éditeur (p. 107-108).



L’Art poétique de Thérèse.



Hier, penchant sur moi ta mignonne tête
Blonde, où tout sourit et paraît joyeux,
Tu me regardais écrire, inquiète,
Et sur le papier promenant tes yeux.

Tes bras nus sortaient a demi des manches,
Et tu demandas d’un ton enjoué,
Me voyant noircir tant de feuilles blanches,
« Si je travaillais pour un avoué ? »

Non. Les avoués, ma chère petite,
De ce travail-là seraient mécontents,
Et sauraient purger leur maison bien vite
D’un être qu’on voit perdre ainsi son temps.

Car ce que j’écris, on le considère
Autant qu’un liard qui n’a plus de cours,
Sa valeur encore est plus secondaire ;
C’est une chanson faite pour des sourds.

J’exerce un métier rude et difficile :
Lorsque l’on veut bien faire ce métier,
On se voit traiter partout d’imbécile,
On ne trouve plus à se marier.


Dis, te souvient-il de la tragédie
Que nous avons vue un soir ? Te pinçant
Pour te réveiller, et tout engourdie,
Tu me dis : « Cela n’est guère amusant ! »

Voilà, sans pousser aussi loin les choses
Cependant, voilà tout ce que je fais.
J’accouple des mots jaunes, bleus ou roses,
Où je crois trouver de jolis effets.

Ces lignes tantôt petites ou grandes
Qui semblent marcher toutes de travers
Et sur le papier défilent par bandes,
On appelle ça quelquefois des vers.

Sais-tu, maintenant, quel est leur usage ?
Je l’aime beaucoup, n’est-ce pas ? Eh bien !
Je devrais baiser ton joli visage
Cent fois et toujours, mais je rien fais rien.

Je m’assieds, je prends une plume neuve,
Et, le nez en l’air, chante nos amours,
Pendant qu’à l’écart, ainsi qu’une veuve,
Tu m’attends, hélas ! seule, tous les jours.

Et ceux-là pour qui justement j’apprête
Ces amours chantés avec tant d’éclat
Disent, en hochant gravement la tête :
« Ça n’est pas utile au bien de l’État ! »