Œuvres de Albert Glatigny/Joie d’avril

Œuvres de Albert GlatignyAlphonse Lemerre, éditeur (p. 141-143).



Joie d’Avril.


À Georges Lafenestre.



      C’est un jour de printemps qui se lève ! Sais-tu
Qu’aux prés la terre brune a déjà revêtu
Sa belle robe verte et que tout ressuscite ?
Arrière le chagrin ! C’est l’herbe parasite
Gênant l’éclosion des libres fleurs du cœur !
Aimons ! la sève au bois monte ! l’archer vainqueur
Se dresse étincelant et chasse les nuées.
Vans les plaines du ciel méchamment obstruées
Par les brumes, l’azur luit magnifique et beau.
     Ô Pétrarque ! ô Ronsard ! Sannazar ! ô Bembo !
Des vers ! vite des vers pour célébrer ces choses !
Est-ce demain ou bien aujourd’hui que les roses
Jaillissent des boutons sacrés ? Je ne sais pas.
Mais je sais qu’il est bon de vivre, et qu’on est las
D’avoir lutté pendant trois mois avec la pluie ;
Que le premier rayon m’a fait l’âme éblouie ;
Que l’écorce de l’arbre est pleine de serments,
Et qu’il faut n’avoir pas de cœur, en ces moments,
Pour nier l’espérance et pour nier la joie !
     Le ciel est un railleur et souvent nous envole

Du brouillard, de la neige, et nous dit : « C’est l’hiver !
Tout est fini pour vous, enfants ! » et prend son air
Le plus rébarbatif, tout en riant sous cape
De la mine que font les marmots qu’il attrape.
Mais quand nous le prenons par trop au sérieux,
Quand nous avons vraiment des larmes dans les yeux,
Il ouvre le boudoir frais où la violette
Achève justement sa première toilette,
Et nous dit, en laissant le bouton d’or briller :
« Donnez donc à ces fleurs le temps de s’habiller ! »
Au bois ! au bois ! tant pis, ma foi, si les fleurettes.
Ne nous attendant pas, ne sont point encor prêtes !
Quand les lilas auraient quelques feuilles de moins,
Beau malheur ! À quoi bon prendre ces petits soins ?
     Les poëtes ne sont pas d’humeur exigeante.
Pourvu que d’un rayon de soleil l’eau s’argente,
C’est bien ! et l’horizon en fête resplendit.
Puis, le printemps est né ! Le moineau me l’a dit
En battant, ce matin, de l’aile à ma fenêtre.
Ah ! comme dans les champs nous allons reconnaître,
Mille bons vieux amis dont le salut chantant
Réveille l’herbe au bois et les joncs dans l’étang !
      Pour moi, je veux aller tout seul dans la campagne,
Car je sens que déjà le vertige me gagne,
J’ai besoin de grimper aux arbres, de courir,
De voir joyeusement près de moi tout fleurir !
La présence d’un être animé me torture ;
Un amour bestial me vient pour la nature
Et je veux être seul, tout seul dans la forêt !

Car dans la source, où mon image m’apparaît,
Je vois que je deviens faune, que mes oreilles
Se terminent en pointe, et deux cornes, pareilles
Aux cornes d’un chevreau, se dressent sur mon front !
C’est pour moi que les fruits sauvages mûriront
Désormais, et voici que, par les échappées
Lumineuses du bois, les riantes Napées
M’agacent en fuyant sous les chênes branchus,
Et je danse dans l’herbe avec des pieds fourchus !