Œuvres de Albert Glatigny/Gautier à l’Académie

Œuvres de Albert GlatignyAlphonse Lemerre, éditeur (p. 248-250).


VII

Gautier à l’Académie.


L’Académie était une masure au centre
De la ville, Paris la portait sur son ventre
Comme on porte un bijou grotesque au bal masqué,
Un sarcophage obèse ayant l’air efflanqué ;
Les degrés étaient vieux et la porte était laide.
Quand Alphonse Lemerre, en notre siècle l’aide
Et le Vincent de Paul des rimeurs, entra pour
Insulter le portier qui balayait la cour,
Il vit un homme noir qu’il prit pour un notaire.
Cet homme était bien mis et d’un aspect austère :
Gilet noir, habit noir, souliers noirs, pantalon,
Chapeau, tout était noir, moins la cravate. L’on
Se disait : « Maître un tel ! » En le voyant, Lemerre,
Sans même l’honorer d’un bonjour éphémère,
Lui dit : « Hé ? Plumitif, montre-moi le Portier…
— C’est à droite, fit l’homme avec douceur.

— Gautier !
Quoi ! s’écria Lemerre, est-ce vous ? Vous qu’on nomme
Dans le camp romantique un vaillant, un prud’homme ?
Vous, le beau chef de clan, c’est vous qu’ainsi je vois
Venant piteusement solliciter les voix

De ces spectres que l’aube atrophie et menace ?
Seigneur ! quand je vous vis, moi, libraire au Parnasse,
Vous étiez le Gautier héroïque et puissant,
Le maître chevelu, le lion rugissant ;
Vous n’aviez, ô Gautier ! qu’à publier un livre
Pour que dans tous les rangs de la presse on fût ivre.
Baudelaire chantait votre nom ; Saint-Victor
Admirait votre front de Jupiter Stator ;
Banville vous jetait des roses au passage ;
Vous étiez l’impeccable et le souverain sage ;
Même les gens obscurs qu’épouvantent les vers,
Les Veuillot, les Magnard, tous ces êtres pervers
Devant vous refermaient en grognant leur mâchoire ;
Tant vous apparaissiez comme dans une gloire.
Hugo planant, superbe, auguste et radieux.
Dans l’azur idéal où sont les demi-dieux,
Vous étiez le premier de tous. Votre bannière
Faisait rentrer les vieux d’à côté dans l’ornière.
Ah ! vous étiez vraiment un Gautier flamboyant ;
Et qui vous avait vu s’en revenait ayant
La joie au cœur et prêt à braver les tempêtes. »
Gautier dit : « Je n’étais là que chez les poètes.

— Mais, fit Lemerre, quoi ? Que s’est-il donc passé ?
J’arrive et je vous vois tout roide et compassé,
Parlant bas, tout de noir habillé, l’air timide
D’un enfant qui revêt sa première chlamyde,
Faisant rimer tambour avec gouvernement,
Vous dont la rime avait l’éclair du diamant !

Vous trouvez tout aimable, et vous vous laissez dire
Par tous ces refroidis indignes de vous lire :
« Ah ! jeune homme, c’est vous ! Bien, je sais ce que c’est ! »
— Fils, dit Gautier, je suis maintenant chez Doucet. »


Beaumesnil, mars 1870.