Œuvres complètes de Maximilien de Robespierre/Tome 1/L’homme champêtre


L’HOMME CHAMPÊTRE[1]


  Heureux l’homme de la nature
Qui, loin de l’homme faux, loin de l’homme de cœur,
Cultive un petit champ et peut, à son retour.
Manger en paix, dans sa cabane obscure,
Le pain que, sous le poids du jour.
Son travail généreux a gagné sans murmure !
Il voit avec plaisir sa femme et ses enfants
Préparer, de leurs mains diligentes et chères,
  Le mets simple et les vêtements
Qui lui sont devenus à la fin nécessaires.

  Qu’il est riche ! qu’il est heureux
  Celui qui vit dans l’indigence !
  Au ciel adresse-t-il des vœux ?
  Ils sont formés par l’espérance.

  Joyeux, les voit-ils[2] exaucés ?
  Aussitôt la reconnaissance
  Dit : Je vis, Dieu bon ! c’est assez
  Qu’ai-je besoin de l’opulence ?

  Son cœur pur ne connaît jamais
Les craintes, le tourment d’un misérable avare.
Si d’un travail trop long le dangereux excès
Le fatigue, l’épuise, eh bien ! la nuit répare
  Tous les maux que le jour a faits.
Il ne voit pas en songe une effrayante image,
  Et du meurtre et du brigandage,
  Il veille en sage, il dort en paix.

 La brillante rosée inonde et couvre encore
  Les fruits, la verdure et les fleurs.
  Du sommeil quittant les douceurs,
  Il se lève, il prévient l’aurore.
Et, saluant le jour qui vient blanchir les cieux,
Il reprend ses travaux et ses propos joyeux.

Il n’est point des remords la renaissante proie.
  Ni le crime, ni la terreur
Ne troublent un moment son innocente joie.
Chaque idée est pour lui l’image du bonheur ;

  Il vit, sa famille est contente.
Qu’a-t-il à désirer ? Rien. Pendant tout le cours
Du long jour de sa vie, il vit, travaille, et chante :
Lui seul peut être heureux, et lui seul l’est toujours.



  1. Cette pièce a été publiée une première fois par M. Jean-Bernard, dans La Révolution Française Revue historique, t. IX, 1885, p. 396 sous le titre : « Une poésie de Maximilien Robespierre » et, à nouveau, à la page 66 de son ouvrage : Quelques vers de Robespierre ; l’auteur fait précéder la poésie de ce commentaire : « Dans cette nature toute baignée de brillante rosée, il nous semble apercevoir la légendaire maison blanche de Rousseau, bâtie sur le coteau, avec les contrevents verts, aimés du poète genevois. « En songeant à la fin dramatique du futur conventionnel, ou ne peut se défendre d’un sentiment de mélancolie pour celui qui enviait cette vie simple, toute de travail paisible, égayée par des chansons, vie qu’il considérait comme le seul bonheur. »
  2. De la note qui accompagnait la première publication du poème, nous extrayons les lignes suivantes :

    « Cette poésie a été publiée pour la première fois dans Le Censeur universel anglais (p. 152) du samedi 12 août 1786. À cette époque, il y avait donc quatre ans que Robespierre avait été reçu avocat et qu’il exerçait à Arras. L’homme champêtre est dédié à miss Orptelia Mondlen, que Maximilien avait rencontrée, dit-on, à Paris et dont il avait été épris, comme il avait été du reste amoureux de Madame Dugazon.


    « L’homme champêtre, comme le madrigal à Orphelia, est signé M. Drobecq ; il est à supposer que Maximilien avait pris cet anagramme imparfait de son nom pour signer ces fantaisies poétiques n’ayant aucune prétention aux jugements de la postérité et qui n’ont d’importance pour nous que par le rôle considérable joué par le grand orateur dans les événements révolutionnaires. »


    Nous suivons l’édition de M. Jean-Bernard qui a, sans doute, reproduit les fautes du texte primitif.